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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 226

Le mardi 8 octobre 2024
L’honorable Raymonde Gagné, Présidente


LE SÉNAT

Le mardi 8 octobre 2024

La séance est ouverte à 14 heures, la Présidente étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

L’anniversaire de l’attaque du 7 octobre sur Israël

Minute de silence

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, il s’est écoulé un an hier depuis les horribles attaques contre Israël qui ont fait plus de 1 200 morts et 240 otages.

Veuillez vous joindre à moi pour observer une minute de silence à la mémoire de ceux et celles qui ont perdu la vie.

(Les honorables sénateurs observent une minute de silence.)

Les travaux du Sénat

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, il y a eu des consultations, et il a été convenu de permettre la présence d’un photographe dans la salle du Sénat pour photographier la présentation d’une nouvelle sénatrice aujourd’hui.

Êtes-vous d’accord, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

[Français]

Nouvelle sénatrice

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur d’informer le Sénat que la greffière du Sénat a reçu du registraire général du Canada le certificat établissant que Suze Youance a été appelée au Sénat.

Présentation

Son Honneur la Présidente informe le Sénat que la sénatrice attend à la porte pour être présentée.

L’honorable sénatrice suivante est présentée, puis remet les brefs de Sa Majesté l’appelant au Sénat. La sénatrice, en présence de la greffière du Sénat, prête le serment prescrit et prend son siège.

L’honorable Suze Youance, de Blainville, au Québec, présentée par l’honorable Marc Gold, c.p., et l’honorable Marie-Françoise Mégie.

Son Honneur la Présidente informe le Sénat que l’honorable sénatrice susmentionnée a fait et signé la déclaration des qualifications exigées prescrite par la Loi constitutionnelle de 1867, en présence de la greffière du Sénat, commissaire chargée de recevoir et d’attester cette déclaration.

(1410)

Félicitations à l’occasion de sa nomination

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au nom du Sénat pour souhaiter la bienvenue à notre nouvelle collègue la sénatrice Suze Youance.

Madame la sénatrice, vous vous joignez à cette Chambre en tant qu’ingénieure avec 25 ans d’expérience et professeure qui a travaillé comme chargée de cours et assistante de recherche à l’École de technologie supérieure (ÉTS) de Montréal depuis 2008. Vous avez aussi travaillé à la radio et à la télévision et avez animé deux émissions sur l’ingénierie et le développement durable.

Vous avez sans doute déjà constaté que le Sénat est un lieu de travail unique en son genre, mais l’expérience acquise au cours des décennies précédentes vous sera très utile.

Vous apportez aussi au Sénat une perspective importante en tant que présidente du conseil d’administration du Bureau de la communauté haïtienne de Montréal et membre du conseil d’administration de la Société d’habitation et de développement de Montréal. Votre voix et vos idées contribueront grandement à nos nombreux débats dans cette Chambre et nous en bénéficierons tous.

Je voudrais prendre un moment pour souligner vos années de travail vis-à-vis de la promotion des femmes dans les secteurs des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques, non seulement en tant que modèle professionnel pour beaucoup de femmes et de jeunes filles, mais aussi en tant que présidente du conseil scientifique pour la Chaire UNESCO Femmes et sciences pour le développement en Haïti. Je n’ai aucun doute que vous profiterez de votre rôle de sénatrice pour continuer d’inspirer d’innombrables femmes et jeunes filles à s’orienter vers les sciences, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques et, je l’espère, vers la politique.

Comme je l’ai déjà mentionné à plusieurs de vos collègues, nous avons tous été là où vous vous trouvez aujourd’hui, et même si cela peut sembler intimidant au début, sachez que chacun de vos nouveaux collègues sera heureux de répondre à vos questions, de vous donner des conseils ou de vous orienter dans la bonne direction.

Encore une fois, chère collègue, au nom du Sénat du Canada, je vous souhaite la bienvenue chez nous.

Des voix : Bravo!

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Roland Lubin, le mari de la sénatrice Youance, et de Chloé et Loïc, leurs enfants. Ils sont accompagnés de Pierrette Youance, Yves François Forges, Valérie Youance et Vanes Youance.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Les travaux du Sénat

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, en vertu de l’article 4-3(1) du Règlement, la facilitatrice du Groupe des sénateurs indépendants a demandé que la période accordée aux déclarations des sénateurs soit prolongée aujourd’hui afin que nous puissions rendre hommage à l’honorable Frances Lankin, c.p., qui quittera le Sénat plus tard ce mois-ci.

Je rappelle aux sénateurs que, en vertu du Règlement, leur intervention ne peut dépasser trois minutes, et qu’aucun sénateur ne peut parler plus d’une fois.

Cela n’inclut toutefois pas le temps alloué à la réponse de la sénatrice.


[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Hommages

L’honorable Frances Lankin, c.p.

L’honorable Raymonde Saint-Germain : Honorables sénateurs, aujourd’hui, je rends hommage à une pionnière de la réforme du Sénat, l’honorable Frances Lankin, qui, en huit ans et demi, aura laissé une marque indélébile sur cette institution, un héritage durable.

Avant sa nomination en 2016, elle avait déjà mené une carrière réussie et distinguée. Ses états de service public et communautaire sont tout à fait impressionnants. C’est une parlementaire expérimentée — redoutable, même — qui a siégé à Queen’s Park, tant dans l’opposition qu’au sein du gouvernement, en tant que ministre de premier plan.

Grâce à une membre du personnel de son bureau, Rose Désilets, qui décrit la sénatrice Lankin comme la meilleure patronne qu’elle ait jamais eue, j’ai déniché cette déclaration de 2008, qui semble bien représenter sa devise :

À elle seule, la politique ne peut pas résoudre tous les problèmes [...] mais rares sont les problèmes qui peuvent se résoudre sans le concours et l’intervention des politiciens.

La sénatrice Lankin a contribué à résoudre de nombreux problèmes au Sénat, forte de sa détermination et de son dévouement, aussi inébranlables qu’inspirants.

Sur le plan législatif, les femmes et les filles de notre pays doivent une fière chandelle à la sénatrice Lankin pour avoir rendu notre hymne national plus neutre et plus inclusif, grâce à son parrainage astucieux, à la fois pour le contenu et la procédure, du projet de loi C-210, Loi modifiant la Loi sur l’hymne national (genre).

Ses efforts incessants pour mettre fin à la discrimination fondée sur le genre et protéger les droits des peuples autochtones ont abouti à l’adoption du projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur les Indiens pour donner suite à la décision de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Descheneaux c. Canada (Procureur général). Les efforts qu’elle a déployés pour que les troubles psychiatriques et mentaux soient pris en considération dans les évaluations et les rapports présentenciels ont débouché sur des modifications qui ont été apportées au Code criminel par l’adoption du projet de loi C-375, Loi modifiant le Code criminel (rapport présentenciel).

Elle prenait toujours la parole pour défendre les travailleurs quand les rapports de pouvoir étaient inégaux. Les propos percutants et assertifs qu’elle a tenus au cours des débats sur deux mesures législatives visant à contraindre des travailleurs à retourner au travail résonnent encore aujourd’hui.

Permettez-moi de citer un extrait du discours qu’elle a prononcé cette année au sujet du projet de loi C-58, Loi modifiant le Code canadien du travail et le Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles :

Le mouvement syndical, les syndiqués, les familles et les collectivités ont tous ressenti, pendant des années, les effets de ce déséquilibre dans les relations de travail [...] J’espère que ressentez le poids historique du vote auquel nous nous apprêtons à participer et de ce qu’il représente pour les travailleurs du Canada, pour les familles et pour l’avenir des relations de travail dans notre pays [...]

Maîtrisant parfaitement les règles et les principes parlementaires, Frances a noué des relations avec les membres de tous les groupes parlementaires, et elle a aussi œuvré à la modernisation du Sénat. D’ailleurs, c’est l’une des raisons pour lesquelles elle est devenue sénatrice. Tous les membres du Groupe des sénateurs indépendants, et plus particulièrement les membres de l’équipe de facilitation au fil des ans, lui doivent énormément.

Elle a toujours été une sage conseillère et une solide alliée de sa famille parlementaire. De façon spontanée, et souvent dans les coulisses, elle n’a jamais hésité à donner des conseils judicieux à ses collègues pour les empêcher de commettre une gaffe ou les aider à en corriger une.

(1420)

Aujourd’hui, nous disons aussi au revoir à une collègue empreinte de compassion qui, face aux défis de la vie, a fait preuve et continue de faire preuve de courage et de sagesse.

Chère Frances, au nom de toute la famille du Groupe des sénateurs indépendants, je tiens à vous exprimer notre reconnaissance et à vous souhaiter tout ce qu’il y a de mieux pour ce prochain chapitre de votre vie. Ce n’est qu’un au revoir.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, chère Frances. La sénatrice Lankin a été l’une des premières personnes nommées au Sénat par le premier ministre Trudeau, en mars 2016, après avoir mené une carrière bien remplie et remarquable, comme l’a souligné la sénatrice Saint-Germain — elle a consacré sa vie à défendre les travailleurs, les droits des femmes et les négligés.

En tant que sénatrice, elle a fait sa marque de nombreuses façons, et je ne vais pas répéter toutes ses réalisations, sauf pour souligner qu’elle est également membre du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement depuis sa création, où elle a pu mettre à profit l’expérience acquise dans ce domaine avant de se joindre à nous. Plus récemment, elle a donné de son temps à notre équipe du bureau du représentant du gouvernement pendant une période limitée afin de contribuer au lancement d’importantes réformes attendues depuis longtemps au Sénat.

Pendant tout votre parcours, et lors de vos nombreuses interventions rarement rédigées d’avance au Sénat — j’essaie d’ailleurs de vous faire honneur en ne lisant pas de discours aujourd’hui, mais mon temps est limité — vous avez toujours été réfléchie, pertinente et concise. À mon humble avis, vous avez été l’exemple de ce que veut dire être un sénateur indépendant au sein d’un Sénat qui aspire à être moins partisan et à être indépendant de l’influence de la sphère politique.

À cet égard, vous avez été un modèle pour moi aussi. Vous avez fait preuve de respect pour l’importance de notre travail au Sénat, pour la valeur que nous pouvons ajouter et que nous ajoutons effectivement au processus législatif lorsque nous nous appliquons à l’étude sérieuse des projets de loi. Vous avez compris et vous nous avez aidés à comprendre qu’il s’agit d’un rôle très important, mais modeste, car nous devons tenir compte de notre rôle constitutionnel en tant que Chambre non élue qui est complémentaire de la Chambre élue.

Vous et moi n’avons pas toujours été d’accord sur les politiques, mais en ce qui concerne nos valeurs fondamentales et notre position par rapport au travail que nous accomplissons pour les Canadiens, je me sens parfaitement en phase avec vous. Je ne veux pas vous gêner, mais vous avez été une mentor pour moi — sans que je vous le demande, parce que je n’ai pas été assez futé pour vous le demander. En effet, vous m’avez montré l’exemple dès le premier jour où j’ai rejoint le Groupe des sénateurs indépendants — nous étions un petit groupe à l’époque, et beaucoup d’entre vous siègent encore en cette assemblée — puis, pendant la période précédant ma nomination à titre de représentant du gouvernement. Ainsi, vous m’avez aidé à mieux comprendre que je ne l’aurais fait par moi-même ce que veut dire être un représentant du gouvernement au Sénat.

Je vois que mon temps est écoulé. Vous êtes un exemple de la noblesse de la politique lorsqu’on la pratique avec intégrité et respect. Vous n’hésitez jamais à dénoncer les comportements irrespectueux et je vous admire pour cela. Vous avez été une grande amie pour moi et ma chère épouse, Nancy. Vous allez nous manquer énormément, Frances. Merci.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, je prends moi aussi la parole aujourd’hui pour rendre hommage à la sénatrice Frances Lankin.

Comme on l’a déjà dit, la sénatrice Lankin a été nommée au Sénat par le premier ministre le 18 mars 2016. Avant d’être nommée à la Chambre haute, Frances Lankin a siégé à l’Assemblée législative de l’Ontario pendant 11 ans, où elle a occupé diverses fonctions dans le Cabinet du gouvernement de Bob Rae et dans l’opposition. Son dévouement au service public s’étend sur plus de 30 ans.

Chers collègues — et, je sais, Frances —, je doute qu’aucun d’entre vous ne soit surpris d’apprendre que la sénatrice Lankin et moi avons rarement partagé le même avis sur les questions politiques. Sur le plan idéologique, nous étions des adversaires. Toutefois, au fil des ans, j’en suis vraiment venu à apprécier Frances Lankin. Je crois même que nous nous ressemblons beaucoup à certains égards : nous sommes toujours prêts à relever des défis et nous aimons tous les deux un bon débat politique. Bref, nous aimons les combats d’idées respectueux.

En voici un excellent exemple : la sénatrice Lankin défend avec ardeur le soi-disant « Sénat plus indépendant et non partisan » de M. Trudeau. Pour ma part, j’ai soulevé des questions et des inquiétudes à ce sujet. Chers collègues, je crois que le fait de débattre divers points de vue et idées opposées nous permet de créer un processus démocratique sain, ce qui fait du Sénat une meilleure institution.

Je crois également que la sénatrice Lankin a voulu que je fasse ces observations aujourd’hui parce que, dans son courriel d’annonce de retraite, elle a écrit qu’elle avait l’intention de partir en silence, à moins qu’un certain ami ne la provoque vraiment. Chers collègues, la sénatrice n’étant pas une personne tranquille dans cette enceinte, je n’ai pas eu d’autre choix que de préparer le terrain pour faire en sorte que nous ayons une dernière bonne bagarre.

Madame la sénatrice, votre amitié nous manquera. Nos conversations autour d’un bon verre de whisky nous manqueront. Enfin, votre prétendue impartialité nous manquera, surtout lors de nos débats sur des projets de loi du gouvernement, pendant lesquels vous avez été très présente en posant des questions et en prononçant des discours impromptus.

L’amitié ne devrait jamais dépendre de notre accord ou de notre désaccord. Frances, je vous considère vraiment comme une amie. Je sais que les dernières années ont été difficiles pour vous. Par conséquent, nous comprenons et respectons tous votre désir d’entreprendre un nouveau chapitre et vous souhaitons la meilleure des chances. Sachez que vous ne serez jamais qu’à un coup de téléphone d’une bonne bagarre politique. Bonne retraite.

L’honorable Robert Black : Honorables sénateurs, au nom du Groupe des sénateurs canadiens, et en tant que collègue sénateur de l’Ontario, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à notre estimée collègue l’honorable Frances Lankin à l’occasion de son départ à la retraite.

Je tiens d’abord à vous faire part d’un fait peu connu : Frances Lankin était la 928e sénatrice à être nommée à cette auguste Chambre. Ses efforts incessants pour défendre la justice sociale ainsi que les droits de la personne, des travailleurs et des femmes ont été la marque de commerce de sa carrière distinguée au Sénat et au-delà.

Elle sert les Canadiens avec passion. Depuis ses débuts lorsqu’elle a été élue députée de Beaches-East York à l’Assemblée législative de l’Ontario en 1990, jusqu’à ce qu’elle assume ses fonctions importantes de ministre des Services gouvernementaux, de présidente du Conseil de gestion du gouvernement, de ministre de la Santé et des Soins de longue durée et de ministre du Développement économique et du Commerce, la sénatrice Lankin a laissé une marque indélébile.

Je me souviens d’elle à cette époque. Elle était membre du Cabinet du gouvernement de l’Ontario et responsable de Boulot Ontario Action Communautaire, et moi, qui étais relativement nouveau dans la fonction publique ontarienne, je travaillais en première ligne pour cet organisme. D’après ce que je pouvais voir et entendre sur le terrain, elle était juste et équitable. Cependant, elle a participé à l’instauration des « jours de contrat social » de l’Ontario, à savoir des jours de congé obligatoire sans solde avec lesquels nous avons dû composer. Il s’agissait de l’une des initiatives les moins aimées de son gouvernement.

Chers collègues, ce matin, j’ai reçu un message de l’honorable Bob Rae, mon ami et collègue de longue date qui est ambassadeur et représentant permanent auprès des Nations unies, qui se lit comme suit :

Frances est une personne réfléchie et attentionnée qui n’a jamais peur de prendre les commandes. Dans tout ce qu’elle a fait, elle s’est rapidement imposée comme la personne de référence.

Au cours du week-end, j’ai contacté un collègue qui était ministre du temps où elle faisait de la politique en Ontario, et j’ai reçu les mots suivants d’Elmer Buchanan, ancien ministre de l’Agriculture :

Frances a été une excellente ministre responsable de trois portefeuilles, mais ce qui n’apparaît pas souvent dans ses notes biographiques, c’est qu’elle présidait les réunions du Cabinet. Ancienne gardienne de la tristement célèbre prison Don, à Toronto, Frances était une présidente ferme et intrépide qui, lorsqu’elle estimait avoir raison, ne reculait pas d’un centimètre. Même face au premier ministre Rae!

M. Buchanan a également dit que, si mon hommage avait lieu dans un cadre moins formel, il aurait suggéré un langage beaucoup plus coloré.

Chers collègues, comme nous l’avons entendu, la passion et le dévouement de la sénatrice Lankin au service des Canadiens n’ont pas faibli quand elle a quitté la politique provinciale. Le travail qu’elle a accompli au sein de multiples comités, où elle a depuis apporté une contribution inestimable et enrichi les mesures législatives ici au Sénat, continuera à profiter aux Canadiens pour les générations à venir. Sa détermination inébranlable à défendre les droits de la personne ainsi que sa capacité à inspirer les autres à s’investir dans le service public ont laissé une marque indélébile.

Sénatrice Lankin, ce fut un grand plaisir et un privilège de travailler avec vous.

(1430)

L’une des initiatives les plus marquantes touche le Programme pilote sur l’agroalimentaire. En collaboration avec les sénatrices Lankin et Omidvar, nous avions cosigné une lettre adressée à de nombreux ministres afin de répondre à un besoin essentiel du secteur agricole.

Enfin, il y a un souvenir personnel que je chérirai toujours profondément. Cela remonte au 27 février 2018 — il y a 2 416 jours civils —, le jour où j’ai prêté serment au Sénat. Sénatrice Lankin, c’est vous qui m’avez gracieusement accompagné pour que je prenne place à mon siège. Je n’oublierai jamais vos conseils avisés. Vous m’avez dit : « Prenez votre temps, croyez en ce que vous faites et laissez votre marque. » Je vous remercie.

Sénatrice Lankin, votre service exemplaire et votre dévouement à notre nation ont laissé une marque à tout jamais. Que cette nouvelle période de votre vie vous apporte la paix, la joie, la santé et des moments précieux avec votre famille et vos amis. Votre engagement soutenu à aider vos collègues dans cette enceinte est une source d’inspiration pour nous tous. Merci, meegwetch.

L’honorable Marty Klyne : Honorables sénateurs, je prends la parole pour rendre hommage à une force de la nature du Sénat et à une véritable championne de la réforme du Sénat indépendant : la sénatrice Lankin.

En 2016, Frances a fait partie des sept premiers sénateurs nommés dans l’ère du Sénat indépendant. Elle a été une sénatrice exceptionnelle, faisant preuve de leadership sur de nombreux sujets, dont les relations de travail, l’égalité entre les sexes et l’utilisation du Règlement du Sénat pour surmonter les obstructions.

La sénatrice Lankin est une oratrice fantastique, digne du Sénat romain. Elle s’exprime généralement au pied levé, sans notes. Elle est également un exemple pour tous ceux qui pensent que la politique doit consister à faire quelque chose et non à être quelque chose. Ses réalisations en tant que marraine de projets de loi historiques en sont la preuve. J’en citerai deux.

En 2016, la sénatrice Lankin a marrainé le projet de loi gouvernemental S-3, qui visait à s’attaquer à la discrimination historique fondée sur le sexe en matière de statut présente dans la Loi sur les Indiens. Cependant, les sénateurs Dyck, Sinclair, McPhedran et d’autres ont reconnu que les changements n’allaient pas assez loin. Comment le Sénat du Canada pouvait-il, en toute conscience, éliminer une partie de la discrimination fondée sur le sexe, mais pas la totalité? En tant que marraine, la sénatrice Lankin s’est montrée réceptive et déterminée à faire ce qu’il fallait, donnant ainsi le ton au rôle des parrains indépendants des projets de loi gouvernementaux à l’avenir.

Le résultat de cette collaboration a été qu’en 2017, un projet de loi S-3 très amendé est devenu loi, éliminant finalement toute discrimination historique fondée sur le sexe de la Loi sur les Indiens. Ce succès a été l’une des premières réalisations législatives marquantes de l’ère du Sénat indépendant, signalant également le rôle croissant de notre Chambre dans la promotion de la réconciliation et de l’égalité des sexes.

Au cours de la même législature, la sénatrice Lankin a marrainé avec succès le projet de loi C-210, le projet de loi d’initiative parlementaire du regretté député Mauril Bélanger, qui proposait un hymne national neutre sur le plan des sexes en anglais. De concert avec la sénatrice Petitclerc, elle a utilisé le Règlement de façon novatrice pour surmonter les 18 mois d’obstruction de la part de l’opposition à ce projet de loi de la Chambre des communes. Ainsi, depuis 2018, la version anglaise de l’hymne national dit « True patriot love in all of us command ».

La chose à retenir, c’est que les sénateurs dont les projets de loi pourraient avoir un parcours difficile dans cette enceinte devraient garder la sénatrice Lankin sur leur liste de contacts dans leur téléphone.

Cette année, elle a également travaillé au bureau du représentant du gouvernement, afin de superviser l’enchâssement dans notre Règlement de la réforme pour un Sénat plus indépendant, une réalisation remarquable dans l’histoire du Parlement.

Sénatrice Lankin, votre sagesse, votre opinion et votre détermination nous manqueront dans cette enceinte, où vous laisserez un héritage incroyable. Nous vous souhaitons la meilleure des chances dans ce nouveau chapitre de votre vie.

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Bruce Lazenby, de Penny et Mac Scott, de Bruce Logan, de Lisa Christiansen, de David McGuinty, député, de Don Davies, député, et de Son Excellence l’honorable Bob Rae.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

L’honorable Frances Lankin, c.p.

Remerciements

L’honorable Frances Lankin : Je vous remercie, honorables sénateurs. J’ai rédigé un discours, mais je ne garantis pas que je m’y tiendrai. Si vous me le permettez — certains d’entre vous comprendront l’importance de cette expression, d’autres non, mais vos amis et collègues pourront vous l’expliquer —, je vais évoquer le souvenir de l’ancien sénateur George Baker et dire : « Je serai brève. » Du moins, je serai relativement brève. Nous faisons tous les choses à notre manière.

Je commencerai par des remerciements. Je remercie, tout d’abord, la famille du Sénat, c’est-à-dire l’ensemble des employés. Tellement de gens contribuent à ensoleiller chacune de nos journées, que ce soit dans l’enceinte du Sénat ou lorsque nous circulons partout dans l’édifice. J’oublierai sûrement de nommer certains groupes, mais je pense, par exemple, à l’Administration du Sénat. Cela comprend les ressources humaines, le service des finances, le service juridique et tous les services des immeubles, ainsi que les travailleurs de la cafétéria, les gens de l’entretien, les préposés au nettoyage et les gens qui livrent le courrier. Chacun d’entre eux nous dit « bonjour » et « bonne journée » et a un mot gentil. Les sourires sont nombreux. Tout cela nous réchauffe le cœur et crée une ambiance familiale.

Beaucoup de gens contribuent au fonctionnement de l’enceinte du Sénat. Je pense à l’équipe des communications et de la télédiffusion, aux gens qui s’occupent du hansard et à beaucoup d’autres. Si j’ai oublié de nommer des groupes, je m’en excuse.

Assurément, le bureau de l’huissier du bâton noir a été une importante ressource et m’a beaucoup appuyée. Il y a le Programme des pages du Sénat, et je remercie tous les pages. Pour une fois dans ma vie, il est agréable de travailler avec des pages qui ont atteint l’âge où l’on sait où l’on va, où le chemin est tracé, mais où l’on a encore beaucoup à découvrir. Je rencontre constamment des membres du personnel politique et des employés de firmes de lobbying ou de communication qui me disent : « Sénatrice Lankin, je me souviens de vous lorsque j’étais page à l’Assemblée législative de l’Ontario. » Ils étaient tous en 7e et 8e année à l’époque. Je me réjouis qu’ils se souviennent de moi. Je me sens vieille, c’est tout ce que je peux dire. Mais c’est merveilleux de les rencontrer et de constater le chemin qu’ils ont parcouru.

Que ferions-nous sans le Bureau de la procédure et des travaux de la Chambre? Il y a un d’entre vous en particulier dont les coordonnées sont inscrites dans la mémoire de mon téléphone et à qui j’ai fait appel maintes fois au cours des années pour obtenir des conseils. Comment dois-je m’y prendre? Que faut-il faire? Vous nous appuyez tous avec distinction et professionnalisme afin d’assurer le bon fonctionnement de la Chambre et l’avancement de ses travaux. On peut en dire de même de la Présidente, du bureau de l’actuelle Présidente et, bien entendu, des Présidents qui l’ont précédée et avec qui j’ai eu l’occasion de travailler.

Je ne veux pas oublier le Service de protection parlementaire. Il s’agit là encore d’un élément très important de notre organisation, dont nous avons besoin plus que jamais aujourd’hui. Je leur rends hommage.

Il y a un groupe que je n’ai pas mentionné; je le ferai dans un instant. Toutefois, permettez-moi de vous dire que tous ces groupes s’unissent pour nous soutenir au quotidien. Il semble qu’il faille tout un village pour élever un sénateur.

J’aimerais saluer tout particulièrement les services de transport — le service de navette et les chauffeurs. Quand je suis à Ottawa, il n’y a pas un jour sans que j’aie droit à un rire, un sourire ou un échange d’expériences humaines réelles ou d’idées, que ce soit dans la navette ou derrière cet édifice. Ces moments me réjouissent chaque jour, et j’adresse donc des remerciements particuliers à toute cette équipe qui nous appuie tous en tant que sénateurs.

Au Sénat dans son ensemble et au personnel des sénateurs, quelle que soit leur appartenance, je vous remercie sincèrement pour le travail que vous accomplissez. Bien entendu, j’ai travaillé en étroite collaboration avec le personnel du secrétariat du Groupe des sénateurs indépendants et — comme l’a mentionné le sénateur Gold — avec le secrétariat du bureau du représentant du gouvernement pendant ce que je qualifie de court détachement. Ce sont tous des gens très bien. Ils sont tous dévoués à leur objectif et à leur travail, mais aussi, de manière plus générale, à cette institution et aux Canadiens. Cela vaut pour l’ensemble du personnel de tous les bureaux de sénateurs.

Au fil des ans, j’ai également noué des liens d’amitié avec certains d’entre vous, qui siégez à différents endroits dans cette enceinte. Je suis très attachée à ces relations, à ces discussions et même aux débats que nous avons parfois dans les couloirs.

(1440)

Il n’est jamais bon de commencer à énumérer des noms. En ce qui concerne le personnel du Sénat en général, je ne vais nommer qu’une seule personne. Il y a toujours des gens qui, tout en travaillant discrètement, jouent un rôle de chef de file et apportent une contribution importante au quotidien. Je tiens à rendre hommage à l’une de ces personnes. C’est une personne qui sait réunir des équipes et travailler constamment avec les autres. Elle dirait qu’elle ne fait pas particulièrement preuve de leadership, mais je sais reconnaître le leadership qu’elle a exercé en organisant diverses activités comme des collectes de fonds pour Centraide, des marchethons ou la journée pizza pour rendre hommage au Service de protection parlementaire, qui mériterait des hommages tous les jours, mais qui a fait preuve d’une bravoure et d’un dévouement exceptionnels le jour où un tireur solitaire a ouvert le feu à l’intérieur du Parlement.

Je tiens à la remercier pour ce qu’elle est et pour tout ce qu’elle fait, et je crois qu’il ne peut arriver que de bonnes choses à cette femme qui porte bien son nom : Karma Macgregor. Elle est un véritable pilier au sein de cette institution.

Des voix : Bravo!

La sénatrice Lankin : Je voudrais bien sûr dire quelques mots sur le personnel de notre bureau avec lequel j’ai eu l’occasion de travailler le plus étroitement. Les employés chargés des tâches politiques qui travaillent avec nous se succèdent, ils passent à d’autres occupations, mais chacun d’entre eux laisse une impression durable sur nous, les sénateurs, et sur le travail que nous faisons.

J’exprime donc ma gratitude aux personnes suivantes : Dylan Odd, qui a quitté mon bureau pour travailler avec d’autres sénateurs — et qui le fait toujours — et qui a également occupé pendant un certain temps des fonctions de direction au sein du secrétariat du Groupe des sénateurs indépendants; Andrew Miller, qui est parti travailler dans la fonction publique fédérale; Henry Paikin, qui travaille au service d’urbanisme de l’administration municipale de Londres, au Royaume-Uni; Allie Cotter, qui a été stagiaire chez nous et qui occupe maintenant des fonctions de plus en plus importantes dans la fonction publique de l’Ontario; et Jeanne Provencher, qui fait maintenant partie de la fonction publique fédérale elle aussi. Toutes ces personnes poursuivent leur carrière au service de la population.

Je rends également un hommage particulier à Louise Mercier, qui a travaillé avec moi au poste de responsable des politiques des derniers temps. Elle a été un roc et elle m’a sans cesse encouragée à pousser plus loin ma réflexion. Nous étions souvent d’accord, et parfois nous ne l’étions pas, mais nous avons toutes les deux appris beaucoup au cours de ces échanges. Je vous remercie vous aussi pour votre soutien.

La plupart d’entre vous savent que je ne peux clore ce sujet sans parler de Rose Désilets. Lorsque je suis arrivée sur la Colline, Rose a été la première personne que j’ai embauchée dans mon équipe. J’ai rencontré de nombreux candidats talentueux durant ma recherche de personnel et chacun d’eux aurait fait un excellent travail. Toutefois, il y a eu un déclic entre Rose, et moi, n’est-ce pas? C’était assez incroyable. Je vis à Restoule, en Ontario, et le nom de famille de Rose est Restoule. Son père est membre de la Première Nation de Dokis, qui, avec la Première Nation de Nipissing, jouxte la région où j’habite. Le lien entre nous a été immédiat.

Deuxièmement, nous sommes toutes les deux très ricaneuses. Nous avons commencé à rire dès les deux premières minutes de notre entrevue mutuelle — nous avions chacune des questions — et nous avons continué de rire pendant huit ans et demi. Elle est un pilier pour moi. Elle est mon roc. Je peux vous dire qu’au moment de vider mon bureau pour tout déménager, je me suis sentie envahie par l’émotion. J’ai failli figer, mais Rose a pris les choses en main.

Elle m’a raconté beaucoup de choses au fil des ans. Lorsque nous débattions du projet de loi S-3, que quelqu’un a mentionné, elle m’a donné la permission de parler au Sénat, à vous tous, de son expérience en tant que victime de la rafle des années 1960. Apprendre ce qu’elle a traversé m’a frappée en plein cœur. Je suis très fière de sa résilience, de la personne qu’elle a toujours été et de celle qu’elle est devenue. Elle a trouvé une façon de puiser une force dans cette expérience et d’adopter une famille plus large que celle qu’elle aurait pu avoir initialement.

Je tiens à vous dire que Rose prend elle aussi sa retraite. Pendant que je reçois des hommages, elle est en train de tout ranger dans le bureau. C’est un hasard. Elle prend sa retraite dans environ un mois. Je suis heureuse de vous annoncer — elle m’a donné la permission de le faire — qu’elle déménage en Thaïlande. Bien sûr, je n’ai pas l’habitude d’offrir des conseils non sollicités, comme vous le savez. Je lui ai conseillé de ne ménager aucun effort pour trouver la maison parfaite pour Claude et elle. Surtout, il doit y avoir un genre d’appartement pour grand-maman parce que j’irai faire mon tour.

Merci, mon amie. Vous avez fait une énorme différence dans ma vie.

J’ai dit que je serais brève. J’ai trois choses à dire avant de partir. Je vais les exposer de façon concise. Premièrement, vous avez entendu que je me suis consacrée au dossier de la réforme du Sénat. Quelle que soit votre position sur le sujet, je pense que la question est la suivante : comment pouvons-nous continuer à améliorer la valeur de cette organisation pour les Canadiens? Comment pouvons-nous remplir notre rôle, tel qu’il est défini constitutionnellement dans l’arrêt de la Cour suprême, auquel le sénateur Gold a fait référence, c’est-à-dire un rôle qui est compatible avec la Chambre élue et responsable et qui la soutient, mais qui ne lui fait pas concurrence?

La responsabilité nous incombe à tous, mais ce n’est pas la même chose. Ce n’est pas plus ou moins, mais ce n’est pas la même chose. Nous devons nous en tenir à cela dans nos efforts visant à effectuer le second examen objectif que nous sommes chargés de faire et nous devons réaliser cet examen d’une manière qui accroît la valeur et non d’une manière — j’ai quelques idées sur la façon dont la politique se déroule actuellement — qui contribue à réduire l’importance de cette institution aux yeux des Canadiens.

Vous savez ce que je pense de la réforme. On en a assez dit à ce sujet.

La deuxième réflexion que je veux vous soumettre est que le Sénat examine actuellement plusieurs questions et mesures législatives importantes, ainsi que des rapports de comité portant sur des études, et il en débat. C’est ce qu’il faisait dans le passé, et il continuera à le faire dans l’avenir. Je vais donner mon avis, et ce, en toute humilité. Selon moi, la chose la plus importante dont nous sommes saisis actuellement est la motion du sénateur Harder concernant la possibilité qu’un gouvernement du Canada utilise la disposition de dérogation à l’égard de la Charte pour la première fois de l’histoire, d’autant plus — comme on l’a laissé entendre — qu’elle pourrait l’être de façon préventive.

Le résultat de la motion ou ce qu’elle entraînera pourrait susciter une légère polémique. Je ne sais pas si j’utilise ce mot correctement. Toutefois, la motion vise certainement à susciter la réflexion. Le sénateur Harder l’a présentée à cette fin. Ce n’est pas qu’il s’agit de la bonne réponse, mais il faut que le débat ait lieu. Le Sénat doit être prêt à exercer ses responsabilités et ses pouvoirs si l’occasion se présente. Il faut y réfléchir à l’avance et y travailler. Nous avons tous prêté serment. Les sénateurs ont le devoir solennel de respecter et de protéger la Charte canadienne des droits et libertés. Ne vous dérobez pas. Sachez qu’il s’agit de la dernière étape avant les tribunaux. L’adoption de lois conçues pour lier les mains des tribunaux serait un changement de taille au Canada.

Je ne m’attarderai pas au mérite ni au contenu de la question. J’implore tous les sénateurs de réfléchir mûrement, de faire leurs propres recherches, de comprendre les enjeux, d’écouter les débats et de participer aux discussions. Quel que soit votre chemin, quelle que soit votre conclusion, gardez simplement à l’esprit le devoir solennel qui vous incombe en tant que membre de la Chambre haute, l’honneur qui est attaché à cette fonction, mais aussi la responsabilité.

En terminant, je voudrais partager quelques observations sur des sujets qui me préoccupent, qui ont une importance grandissante et qui ont accaparé mes pensées ces dernières années.

(1450)

Il s’agit — et je pense que nous sommes tous d’accord, dans une certaine mesure — de la croissance continue de la division et de la normalisation de la montée de la haine absolue chaque jour dans le monde, y compris ici, au Canada. Nous entendons parler de ce phénomène dans la Cité parlementaire. Les journaux en parlent. Nous le ressentons dans nos collectivités.

Lorsque nous sommes revenus pour la séance d’automne en septembre — mon bureau se trouve dans l’édifice Victoria, juste en face des marches de pierre qui mènent à l’entrée principale de l’édifice de l’Ouest —, un groupe relativement petit de manifestants s’est réuni à l’extérieur pendant presque toute la semaine.

Ceux d’entre vous qui me connaissent savent que je suis une ardente défenseure du droit de manifester pacifiquement. Je le suis vraiment. Quand j’étais jeune, j’ai manifesté sur les pelouses de la Colline du Parlement avec des pancartes et des slogans et j’ai manifesté sur les pelouses de l’Assemblée législative de l’Ontario, à Queen’s Park. J’ai participé à des manifestations, mais j’insiste sur le fait qu’il s’agissait de manifestations pacifiques. Le groupe a déclaré — je ne sais pas si c’est vrai ou non — qu’il était une ramification du convoi des camionneurs. Je l’appelle le « convoi des camionneurs », parce que je ne l’appellerai pas par le nom qu’ils choisissent d’utiliser. Je veux vous dire ce que j’ai vu, ce que j’ai entendu et ce que j’ai ressenti en quelques mots.

Après avoir regardé par la fenêtre, je suis descendue pour entendre ce que disaient les gens. J’ai alors vu un groupe de manifestants installés devant les marches de pierre qui mènent à l’édifice de l’Ouest et de chaque côté des marches. J’ai vu des drapeaux du Canada. Il y en avait environ 15 ou 20 de chaque côté des marches, accrochés à la barrière de fer forgé. Mon regard s’est arrêté, et j’ai vu, sur un grand mât appuyé au côté des marches, un drapeau américain. Le drapeau américain était placé plus haut que les drapeaux du Canada installés par les manifestants.

J’ai ensuite remarqué, accrochée sur la clôture et, une fois de plus, placée plus haut que les drapeaux du Canada, une bannière en l’honneur de Trump. J’ai regardé une fois de plus les drapeaux du Canada — j’étais insultée par tout cela —, et c’est alors que j’ai remarqué que chacun de ces drapeaux avait été accroché à l’envers.

Je dois vous dire que j’étais dégoûtée. J’étais révoltée. Je suis passée à deux cheveux de poser des gestes immodérés, ce qui ne me ressemble pas : je peux normalement garder mon sang-froid et rester polie malgré des désaccords, mais là, je bouillonnais d’indignation.

Je ne dis pas cela pour être irrespectueuse, mais je sais que c’était un manque de respect. Ils manifestent sincèrement, mais je les ai vus poursuivre des députés et, ce qui est encore plus grave, des membres du personnel des députés et des employés du Parlement, en leur criant dessus, en les traitant de traîtres et de criminels. Ce genre de comportement n’a pas sa place dans un débat pacifique. Il n’y a pas de place pour proférer des insultes de ce genre avec une telle colère et une telle haine bouillonnante ou pour traiter des personnes qui servent le Canada de la sorte, qu’ils soient élus, qu’ils occupent un poste dans l’équipe d’un député ou qu’ils fassent partie du personnel de soutien du Parlement.

Cela m’a troublée, mais aussi effrayée. Où allons-nous?

Rose m’a éloignée de la rue et m’a ramenée à mon bureau pour que je me calme et que je reprenne mes esprits, et je me suis mise à réfléchir. Tout d’abord, si on peut si facilement déclencher ce genre de réactions chez moi, j’y ai vu le signe que j’avais choisi le bon moment pour partir.

Deuxièmement, j’ai réfléchi aux années que j’ai consacrées à ce travail et j’ai exprimé ma gratitude envers ma famille et mes amis, qui m’ont appuyée à travers les épreuves. Mon frère Ted est en Colombie-Britannique avec sa famille et il n’a pas pu se rendre ici, mais il m’accompagne dans mon cœur et dans mon âme. Il a été mon roc au cours des dernières années, depuis le décès de Wayne. Bien entendu, je remercie mon regretté mari, Wayne Campbell, et je remercie les amis de notre collectivité, Restoule — quel groupe de personnes —, qui m’ont accompagnée, de même que certains sénateurs qui m’ont tenu la main et m’ont aidé à traverser cette épreuve. Je leur en suis vraiment reconnaissante.

Un ami en particulier m’a mise au défi d’établir une routine matinale de récitation de mantras, ce que j’ai fait. Il m’a dit : « Concision, Frances », car je ne m’exprime pas en phrases concises ou même claires. J’ai réussi à m’en tenir à quelques mantras. Mon ami m’a recommandé de commencer en déclarant chaque matin, à l’aube : « Aujourd’hui sera une bonne journée », et ensuite, quoiqu’il arrive, de faire en sorte que ce soit le cas. Je lui suis sincèrement reconnaissante pour ce conseil, que je mets en pratique quotidiennement.

Tandis que je réfléchissais à ce que je venais de vivre et de voir dans la rue, il m’est apparu clairement que, si j’ai exercé un certain leadership par rapport à des questions, des politiques ou d’autres dossiers au pays, mon devoir d’agir en leader ne disparaît pas simplement parce que je quitte le Sénat.

Nous tous, leaders à tous les niveaux, avons la responsabilité de façonner à nouveau un sentiment d’unité et de but commun dans le fait de vivre ensemble au Canada. Nous partageons cette responsabilité de faire taire ceux qui attisent les flammes de la haine.

Nous pouvons avoir des désaccords et nous pouvons les régler, comme nous l’avons entendu en cette Chambre. Nos actions doivent se borner à des discours civils, à des manifestations pacifiques et à la détermination de la voie à suivre tous ensemble.

Je vous quitte en disant que jamais je n’abandonnerai cette confiance profonde dans les extraordinaires libertés de ce pays, et je ne m’en laisserai pas imposer. Peu m’importe à quel point ces manifestants répétaient haut et fort qu’ils étaient les champions de la liberté ou que c’étaient eux, les véritables patriotes. Je les ai entendus le répéter ad nauseam. Jamais je ne céderai mon amour peut-être discret et peu exubérant, mais ô combien patriotique pour ce pays devant quiconque tentant de s’approprier un discours dans le but de soutenir sa position idéologique, peu importe où cette position idéologique se situe dans le spectre.

Cela ne concerne pas qu’un seul groupe. Il ne s’agit pas d’une extrémité du spectre ou de l’autre. Les choses évoluent, et je n’abandonnerai pas ces mots.

Je crois profondément que la valorisation des libertés canadiennes appartient à chacun d’entre nous, et que l’amour de notre pays nous appartient à tous. Je pense aux paroles de la version anglaise de notre hymne national, que nous chantons tous avec fierté, dans des rassemblements de toutes sortes, en compagnie de gens de tous les horizons et de partout au pays. Quand nous unissons nos voix et nous chantons ensemble, c’est avec fierté que nous entonnons : « The True North strong and free! » Nous chantons ces mots ensemble.

Les paroles anglaises rendent également hommage aux concepts de l’amour et du patriotisme en disant : « True patriot love in all of us command. »

Meegwetch. Merci, et à bientôt, mes amis.

Des voix : Bravo!

(1500)

Hommages

L’honorable Donna Dasko : Il est difficile de prendre la parole après cela, Frances.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à notre collègue extraordinaire et ma très chère amie, la formidable sénatrice Frances Lankin, qui s’apprête à quitter cette Chambre.

J’ai le plaisir de connaître Frances depuis environ 1988, année où je me suis jointe au Committee for ‘94. Notre objectif était de faire élire des femmes afin qu’elles occupent la moitié des sièges à la Chambre des communes en 1994. Eh bien, ce comité a échoué lamentablement, et les résultats à ce chapitre sont encore pitoyables. Nous avons donc jeté l’éponge, mais il était évident que Frances avait vraiment à cœur de promouvoir la présence des femmes en politique, et elle était elle-même sur le point d’entreprendre une carrière politique.

Lorsqu’elle s’est présentée comme candidate néo-démocrate à Toronto, dans le cadre des élections provinciales de 1990, les rênes du pouvoir semblaient hors de sa portée, car les libéraux au pouvoir avaient une bonne longueur d’avance dans les sondages. Cependant, les choses ont changé avant les élections. Le vent a soudainement tourné, et les néo-démocrates de Bob Rae ont causé toute une surprise en obtenant un gouvernement majoritaire. Je dirais à mes collègues ici présents de se méfier des sondages. Une avance dans les sondages peut disparaître en un clin d’œil.

Au sein du nouveau gouvernement, Frances Lankin est devenue la ministre responsable de tout : ministre des Services gouvernementaux, présidente du Conseil de gestion, ministre de la Santé et des Soins de longue durée et ministre du Développement économique et du Commerce. Comme l’ancien premier ministre Bob Rae me l’a dit la semaine dernière :

[...] Elle a été une leader remarquable : franche, réfléchie, passionnée et capable de s’attaquer à n’importe quel problème ou dossier avec patience et persévérance.

Elle est l’une des meilleures personnes que je connaisse.

Frances est restée à l’Assemblée législative après la défaite du gouvernement, puis elle est partie pour occuper le poste très exigeant de PDG de la plus grande organisation de Centraide du Canada, celle qui se trouve dans le Grand Toronto, poste qu’elle a occupé pendant environ 11 ans.

C’est à ce moment-là que j’ai appris à bien la connaître. Un autre groupe de féministes, qui cherchait à faire élire plus de femmes, a fondé l’organisme À voix égales en 2001. Pendant deux ans, nous nous sommes rassemblées dans son bureau de Centraide après le travail pour commander des pizzas, boire du vin et élaborer des stratégies pour créer un mouvement. Oui, elle était passionnée, mais c’est son intelligence, son sens de la stratégie et son attitude pragmatique qui m’ont inspirée à l’époque et qui m’inspirent encore aujourd’hui.

Nous l’avons constaté ici, dans cette enceinte. Nous avons entendu de nombreuses histoires sur le travail qu’elle a accompli. Elle a accepté des tâches spéciales et difficiles. En 2018, elle a eu recours à une démarche rare et époustouflante pour faire adopter le projet de loi qui a remplacé les mots « in all thy sons command » par « in all of us command » dans la version anglaise de notre hymne national, ce qui est un très grand symbole d’inclusivité. Récemment, elle a mené avec succès l’équipe gouvernementale pour faire adopter une motion essentielle visant à faire progresser notre Sénat indépendant. Il y aurait encore bien d’autres choses à raconter.

Sénatrice Lankin, vous avez fait le choix de nous quitter bien avant que sonne l’heure de votre retraite. Vous me manquerez. Merci de vos années de service. Je vous remercie aussi d’avoir été une merveilleuse amie et une grande source d’inspiration. Je suis impatiente de découvrir le prochain chapitre de votre vie remarquable.

L’honorable David M. Wells : Honorables sénateurs, je saisis l’occasion pour transmettre un message de notre chère collègue, la sénatrice Rose-May Poirier, qui est en ce moment en congé maladie, mais qui se sent beaucoup mieux. Elle ne pouvait pas être ici aujourd’hui, mais elle tenait à transmettre quelques mots à l’occasion de la dernière journée de la sénatrice Lankin au Sénat.

Chers collègues,

C’est avec le cœur un peu lourd que j’écris ces mots pour ma chère amie, la sénatrice Frances Lankin. Je suis déçue de ne pas pouvoir être parmi vous aujourd’hui, mais je le suis encore plus de ne pas être à vos côtés, sénatrice Lankin, en cette dernière journée au Sénat.

Même si nous ne siégeons pas du même côté du Sénat, nous avons développé une belle amitié en discutant des épreuves que nous avons toutes les deux traversées. Nous nous sommes épaulées mutuellement pendant ces périodes difficiles, et je serai éternellement reconnaissante du temps précieux et des conseils que vous m’avez offerts. Souvent, dans les périodes difficiles de nos vies, une certaine lumière perce la noirceur. Pour moi, vous avez été cette lumière, sénatrice Lankin, et j’espère l’avoir été pour vous.

Même si nous ne nous verrons pas à Ottawa, j’espère que nous resterons en contact au fur et à mesure que nous trouverons notre voie. Je ne serai peut-être pas là physiquement, ma chère amie, mais sachez que vous êtes dans mes pensées et mes prières alors que vous entamez le prochain chapitre de votre vie.

Votre amie pour toujours,

Rose-May.

L’honorable Pierrette Ringuette : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à une sénatrice véritablement remarquable. La sénatrice Frances Lankin est l’exemple de ce qu’un sénateur indépendant peut devenir et accomplir lorsqu’il délaisse la politique partisane pour le plus grand bien de la population.

La sénatrice Lankin a toujours été prête à discuter des enjeux de manière approfondie et éclairée, tout en respectant ses interlocuteurs, peu importe leur point de vue. Elle était une fière et ardente défenseure de l’indépendance des sénateurs et de la réforme du Sénat. À mon avis, ce n’est pas une coïncidence si nous sommes parvenues à la même conclusion à la suite de nos fonctions de représentantes élues et de notre participation à un caucus partisan : nous voulons toutes deux un Sénat indépendant et fort afin d’assurer un avenir durable et respecté pour l’institution et ses membres.

La sénatrice Lankin était particulièrement fière lorsque le Sénat est devenu la première, et la seule, assemblée législative au pays à atteindre la parité hommes-femmes. Pendant la plus grande partie de sa vie, elle a fait son possible pour que les femmes brisent le plafond de verre, plafond qu’elle a d’ailleurs elle-même brisé en politique et dans la sphère socioéconomique.

L’une des contributions les plus marquantes de la sénatrice Lankin au Sénat est l’adoption de la Loi modifiant la Loi sur l’hymne national (genre), qui a modifié la version anglaise de l’hymne afin qu’il soit plus inclusif et qu’il corresponde mieux à la version française. Elle a défendu ce changement avec vigueur et c’est maintenant chose faite. Chapeau, Frances!

J’ai eu le plaisir de travailler en étroite collaboration avec elle au fil des ans. Je précise cependant que certaines de ces conversations de travail ont eu lieu à l’extérieur pendant que nous fumions.

Frances a su promouvoir des changements positifs et des moyens de rendre le Sénat plus fonctionnel tout en permettant à chacun de garder son indépendance et de défendre ses principes. Elle est d’avis que, même si nous avons parfois des désaccords — qu’il nous arrive d’exprimer avec ferveur —, cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas travailler ensemble pour atteindre un objectif commun.

Personne ne sera surpris d’apprendre que la chanson préférée de Frances est Raise a Little Hell. En lisant les paroles de la chanson, je me dis que c’est même son credo. Voici quelques lignes :

Si tu n’aimes pas ce que tu vois, pourquoi ne pas combattre cette situation?

Si tu sais que quelque chose ne va pas, pourquoi ne pas trouver une solution?

Un peu de révolte, que diable!

Sénatrice Lankin, le Sénat ne sera plus le même sans vous. Nous perdons l’une de nos meilleures collègues. Je promets que nous ferons de notre mieux pour combler le vide laissé par votre départ et pour nous révolter un peu de temps en temps.

Je vous remercie de votre travail, de votre amitié et de votre dévouement. Quel que soit le chemin que vous emprunterez, je vous souhaite de faire bonne route. Vous allez me manquer.

L’honorable Marilou McPhedran : Je remercie également ma collègue, la sénatrice Martin, de m’avoir donné la possibilité de prendre la parole aujourd’hui. Ce genre de marque de considération compte beaucoup.

Honorables sénateurs, j’ai aussi rencontré Frances grâce au « Committee for ’94 » à Toronto dans les années 1980. Paradoxalement, alors l’objectif d’atteindre la parité hommes-femmes en politique avant 1994 n’a manifestement pas été atteint, c’est cette année-là que son leadership en tant que toute première ministre de la Santé de l’Ontario ouvertement féministe a entraîné d’énormes changements au cadre réglementaire des professions de la santé réglementées, notamment un tout nouveau code de protection pour les patients qui étaient victimes d’abus ou d’agressions sexuelles par des professionnels de la santé réglementés.

(1510)

Je présidais le groupe de travail qui a amené ces changements, et je peux vous dire qu’ils ne se seraient en aucun cas produits sans le leadership de la sénatrice Lankin. Ils constituent à ce jour une norme mondiale qui a été copiée et adaptée dans le monde entier.

Sénatrice Lankin, votre décision de prendre une retraite anticipée mérite le respect. C’est ce que vous devez faire. Cependant, nous perdons une véritable doyenne du leadership parlementaire qui a excellé sans renoncer à sa praxis et à ses principes féministes.

Selon Maya Angelou :

S’engager dans une nouvelle voie est difficile, mais pas autant que de rester dans une situation qui ne permet pas à la femme de s’épanouir pleinement.

Helen Keller a dit :

Les plus belles et les meilleures choses du monde ne sont ni visibles ni même tangibles. C’est avec le cœur qu’on les perçoit.

Le cœur que je porte vient de la Conférence des parlementaires de la région arctique. Même s’il aide à garder mes vêtements en place, vous l’emporterez aujourd’hui parce que c’est un objet qui vient du Labrador et qui a été fait à la main en peau de phoque. J’espère qu’il vous rappellera à quel point vous avez une place dans nos cœurs au Sénat, que vous y siégiez ou non.

Je termine mes discours dans cette enceinte en trois langues — merci, thank you, meegwetch — que vous avez également employées aujourd’hui dans votre discours. La sénatrice McCallum m’a expliqué le sens du terme chi meegwetch. Oui, ce terme veut dire merci, mais il communique également, dans cette expression de gratitude, un engagement à transmettre ce que l’on a reçu en le donnant à d’autres, et c’est ce que je vous dis, Frances, en terminant aujourd’hui. Chi meegwetch à une femme forte et extraordinaire.

[Français]

Le décès de Gilles Lemieux

L’honorable Amina Gerba : Je vais changer de sujet en m’exprimant sur une note un peu plus triste, tout en saluant le départ de notre estimée collègue.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre un hommage posthume à un extraordinaire citoyen, Gilles Lemieux, fondateur et PDG de la chorale Les Troubadours et citoyen de ma division sénatoriale de Rigaud, au Québec, qui nous a quittés le 2 octobre dernier à l’âge de 85 ans.

La triste nouvelle de sa disparition m’est parvenue seulement quelques semaines à peine après lui avoir remis la Médaille du couronnement du roi Charles III à l’hôtel de ville de LaSalle, le 14 août dernier.

Aux dires de sa famille qui assistait à la cérémonie, cette médaille a été sa seule et unique distinction à vie et un moment de fierté immense pour lui et ses proches. Homme de passion, M. Lemieux a consacré sa vie à enrichir notre communauté par sa musique. Sous sa direction, la chorale Les Troubadours est devenue un symbole de rassemblement et de joie. Sa vision et son engagement ont laissé une empreinte durable dans la ville de LaSalle et au-delà. Le départ de M. Lemieux est une grande perte pour ses enfants, Chantal, Jean Gilles, Pierre et Marc, ses cinq petits-enfants et sa conjointe, Denise, qui l’assistait au quotidien. Je tiens à exprimer mes plus sincères condoléances à toute sa famille éprouvée et à tous ceux qui ont eu le privilège de le connaître. Reposez en paix, très cher Gilles. Merci.

[Traduction]

Les priorités et la représentation des Mi’kmaqs

L’honorable Paul J. Prosper : Honorables sénateurs, il y a un peu plus de deux ans, j’ai été assermenté en tant que sénateur du Canada. Ma nomination visait à combler le siège laissé vacant par le départ à la retraite de l’honorable Daniel Christmas, un de mes mentors et le premier Mi’kmaq à avoir été nommé sénateur.

Dans toute l’histoire du Sénat, 26 Autochtones ont été nommés sénateurs. Douze d’entre eux ont été nommés au cours des huit dernières années. Jaime Battiste est le premier Mi’kmaq à avoir été élu député, en 2019. C’est donc dire que les Mi’kmaqs n’ont eu un représentant direct en politique fédérale que dans 8 des 157 années d’existence du Canada.

Il était donc très important pour moi de ne pas perdre une minute en arrivant à Ottawa. Je n’avais pas l’impression que je pouvais me permettre de me donner le temps d’apprivoiser mes nouvelles fonctions. J’essaie de me servir de mon poste pour mettre en lumière les enjeux importants auxquels doivent faire face les Mi’kmaqs, ou L’nus comme nous le disons, et les peuples autochtones en général.

Pourtant, même si j’ai été chef et chef régional, je ne voulais pas faire comme si je connaissais tous les enjeux. C’est pour cette raison que j’ai entrepris une tournée du Mi’kma’ki, le territoire traditionnel des Mi’kmaqs. Je me suis rendu de Terre-Neuve à la région de Gaspé, au Québec, en passant par le Nouveau-Brunswick, l’Île-du-Prince-Édouard et, évidemment, la Nouvelle-Écosse. J’ai discuté avec plus de 1 700 personnes. J’ai pris note de leurs priorités et des problèmes qu’ils vivent, ainsi que de leurs réussites et de leurs espoirs pour les sept prochaines générations.

Le 1er octobre, lors du Jour anniversaire du traité en Nouvelle-Écosse, j’ai publié un rapport sur les résultats de ma tournée. Il s’intitule RéconciliACTION, et j’invite tous les sénateurs à le lire dans la langue officielle de leur choix. J’entends me servir de ce rapport comme guide pour m’assurer que toutes mes interventions en tant que sénateur soient liées aux priorités des Mi’kmaqs.

Merci. We’la’lioq.


AFFAIRES COURANTES

L’ombudsman des contribuables

Faire respecter vos droits—Dépôt du rapport annuel de 2022-2023

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport annuel 2022-2023 de l’Ombudsman des contribuables, intitulé Faire respecter vos droits.

Accès équitable au service—Dépôt du rapport annuel de 2023-2024

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport annuel 2023-2024 de l’Ombudsman des contribuables, intitulé Accès équitable au service.

Projet de loi sur la sécurité des postes au Canada

Projet de loi modificatif—Présentation du vingt-huitième rapport du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles

L’honorable Brent Cotter : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de présenter, dans les deux langues officielles, le vingt-huitième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui porte sur le projet de loi S-256, Loi modifiant la Loi sur la Société canadienne des postes (saisie) et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

(Le texte du rapport figure aux Journaux du Sénat d’aujourd’hui, p. 3107.)

(1520)

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le rapport?

(Sur la motion du sénateur Cotter, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

Déclaration de situation de crise

Dépôt du deuxième rapport du Comité mixte spécial

L’honorable Gwen Boniface : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le deuxième rapport du Comité mixte spécial sur la déclaration de situation de crise, qui porte sur l’examen de l’exercice des attributions découlant de la déclaration de situation de crise en vigueur du lundi 14 février 2022 au mercredi 23 février 2022.

Le Sénat

Préavis de motion tendant à demander au gouvernement d’améliorer son approche dans son obligation fiduciaire de consulter les Premières Nations, les Inuits et les Métis

L’honorable Mary Jane McCallum : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que le Sénat du Canada :

1.demande au gouvernement fédéral d’améliorer manifestement son approche lorsqu’il s’acquitte de son obligation fiduciaire de consulter les détenteurs de droits des Premières Nations, des Inuits et des Métis au sujet des projets de loi qui ont une incidence sur leurs droits issus de traités, leurs droits inhérents et leurs terres traditionnelles;

2.exhorte le gouvernement fédéral à s’acquitter de son obligation fiduciaire de consultation à toutes les étapes du processus législatif, de la conceptualisation à la mise en œuvre, en passant par la rédaction.

L’honorable Diane Bellemare

Préavis d’interpellation

L’honorable Judy A. White : Honorables sénateurs, je donne préavis que, après-demain :

J’attirerai l’attention du Sénat sur la carrière de l’honorable Diane Bellemare.

[Français]

L’honorable Frances Lankin, c.p.

Préavis d’interpellation

L’honorable Chantal Petitclerc : Honorables sénateurs, je donne préavis que, après-demain :

J’attirerai l’attention du Sénat sur la carrière de l’honorable Frances Lankin, c.p.


[Traduction]

ORDRE DU JOUR

Projet de loi sur l’assurance médicaments

Troisième lecture—Débat

L’honorable Kim Pate propose que le projet de loi C-64, Loi concernant l’assurance médicaments, soit lu pour la troisième fois.

 — Honorables sénateurs, aujourd’hui, alors que nous entamons la dernière phase de nos discussions sur le projet de loi C-64, Loi concernant l’assurance médicaments, nous faisons ensemble un premier pas historique vers un régime national, universel et public d’assurance médicaments à payeur unique pour le Canada. Le projet de loi C-64 améliorera l’accès à des médicaments sur ordonnance abordables, en commençant par un accès universel et à payeur unique aux contraceptifs essentiels et aux médicaments pour traiter le diabète.

Compte tenu de l’objet du projet de loi, je me sens obligée de remercier notre amie et collègue la sénatrice Lankin du travail qu’elle a accompli tout au long de sa vie. Tous les postes qu’elle a occupés, mais surtout celui de ministre de la Santé de l’Ontario, témoignent de son engagement à promouvoir un régime national et universel d’assurance-médicaments.

La sénatrice Frances Lankin, c.p., se prépare à entamer la prochaine étape de sa vie. Il n’y a pas de meilleure façon pour elle de terminer son mandat au Sénat que de voir ce projet de loi être adopté. Nous sommes tous très heureux qu’elle soit ici et qu’elle parlera peut-être même du projet de loi C-64 avant qu’il soit mis aux voix.

Je sais que je parle au nom de bien des gens lorsque je lui dis à quel point nous lui sommes reconnaissants pour ses années de services généreux qui s’appuient sur sa profonde sagesse, ses précieux conseils et son amitié.

Je tiens à ajouter au compte rendu un chi-meegwetch très sincère. Je vous remercie, sénatrice Lankin, de tout ce que vous êtes et de ce que vous avez fait.

Afin de souligner ce que ce projet de loi signifie pour les Canadiens, je vais d’abord me concentrer sur trois réalisations particulièrement canadiennes. Premièrement, l’insuline a été découverte en 1921 par Banting, Best et Macleod, à l’Université de Toronto. Il n’est que juste que les médicaments pour le diabète fassent partie de ceux offerts durant la première phase du régime national d’assurance-médicaments prévue dans le projet de loi C-64. Cette inclusion représente non seulement un grand pas en avant pour la santé d’innombrables Canadiens qui ont du mal à se payer des traitements pour le diabète, mais nous rappelle aussi le refus de M. Banting, pour des raisons de principe, de profiter des besoins des gens en médicaments pouvant leur sauver la vie. Il a refusé de participer au brevetage de l’insuline, jugeant qu’il était contraire à l’éthique de le faire. Ses deux collègues ont bien obtenu un brevet, mais l’ont vendu à l’Université de Toronto pour 1 $, de sorte que le médicament puisse profiter à tout le monde.

J’ai eu le privilège, en tant que marraine du projet de loi C-64, d’en discuter avec de nombreux collègues ici, dans différents groupes et dans les régions, ainsi qu’avec des experts étrangers et de nombreuses autres personnes dans des domaines d’expertise interreliés. En plus des étapes importantes qui suivront l’adoption de cette mesure législative, ces discussions ont mis en évidence d’autres difficultés liées à l’accès du public à des médicaments vitaux. Parmi les problèmes importants figurent les pratiques monopolistiques et opaques d’établissement des prix des médicaments et les difficultés à les obtenir qui en découlent.

Bien que la capacité d’obtenir un brevet puisse être un aspect important du développement des affaires dans ce domaine et dans d’autres, comme notre ami et collègue le sénateur Colin Deacon l’a si clairement et succinctement expliqué lorsque je l’ai consulté à ce sujet :

Les brevets sont des monopoles accordés par le gouvernement. [...] À un certain moment, les gouvernements se demanderont peut-être si ce monopole qu’ils accordent sert l’intérêt public.

Nous devons aussi nous attaquer au mercantilisme des sociétés pharmaceutiques. Principalement à cause des prix astronomiques des médicaments, les ménages et les employeurs canadiens dépensent environ huit fois plus par habitant en médicaments que les habitants de pays dotés d’un régime d’assurance-médicaments à payeur unique, administré par l’État et limitant les incitatifs aux profits privés qui vont à l’encontre du bien public.

Alors que le Canada fait ses premiers pas vers un régime national d’assurance-médicaments, l’héritage de Banting doit nous rappeler qu’il est impératif de placer l’intérêt public au-dessus de tout le reste et qu’il faut continuer à faire davantage sur ce plan. Il nous restera donc encore beaucoup à faire, même après l’adoption de ce projet de loi.

Je voudrais maintenant souligner l’importance et l’incidence de la proclamation, en 1948, de la Déclaration universelle des droits de l’homme par l’Assemblée générale des Nations unies. Bien qu’il s’agisse incontestablement d’une réalisation internationale, les Canadiens sont fiers de savoir que l’auteur principal de ce texte fondateur — qui continue d’influencer et de façonner la compréhension des droits de la personne au Canada — était le juriste et défenseur canadien des droits de la personne, John Peters Humphrey.

(1530)

Le paragraphe 25(1) de la déclaration prévoit que toute personne a :

[...] droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement [et] les soins médicaux [...]

En tant que parlementaires, nous avons constaté une vague de soutien de la part de personnes de tout le Canada qui attendent un régime national universel d’assurance-médicaments. Pour rendre justice aux habitants de nos régions, que nous sommes venus représenter à Ottawa, ne perdons jamais de vue le fait que les Canadiens qui réclament une assurance-médicaments ne nous demandent pas simplement de faire preuve de sympathie ou de faire appel à notre raison : ils revendiquent à juste titre leur droit à des soins de santé.

La troisième réalisation canadienne que je soulève aujourd’hui est l’adoption ici même, au Sénat, de la mesure législative qui a mis en place le régime universel d’assurance-maladie du Canada en 1966. Depuis six décennies, l’assurance-maladie incarne nos valeurs communes et notre engagement collectif : l’accès aux soins de santé ne doit pas dépendre de l’argent dont on dispose. Tous les Canadiens, chacun d’entre nous, ont droit à des soins de santé.

Ce système qui, aujourd’hui, est souvent considéré comme un élément fondamental de l’identité canadienne était loin d’être reconnu comme tel à l’époque où il a fait l’objet d’un projet de loi et de débats. Le chemin menant à l’assurance-maladie a été sinueux. Sa mise en œuvre s’est faite au prix de nombreux rebondissements, d’hésitations apparemment sans fin et d’innombrables questions quant à savoir si le Canada pouvait se permettre d’assumer un tel coût. Par ailleurs, le processus reposait sur une coopération fragile entre deux partis fédéraux dans le contexte d’un gouvernement minoritaire. Cela vous rappelle quelque chose? Un des facteurs cruciaux a été le leadership d’une province dotée d’une vision audacieuse, ce qui a contribué à faire avancer toutes les parties dans la même direction, même si parfois tout semblait perdu d’avance.

Aujourd’hui, bien que notre système de santé soit une source de fierté à l’échelle internationale, si cette mesure législative n’est pas adoptée, le Canada demeurera le seul pays au monde à offrir un système de santé universel sans assurance-médicaments.

Le projet de loi C-64 nous met sur la voie pour combler cette lacune historique. À cet égard, les étapes qui ont mené à la mise en œuvre de l’assurance-maladie au Canada devraient nous donner confiance dans les principes qui façonnent le système de santé canadien. Ces principes sont l’administration publique, l’intégralité, l’universalité, la transférabilité et l’accessibilité. Un régime d’assurance-médicaments conforme à ces principes n’est ni hors de portée ni déconnecté de la réalité. C’est ce dont le Canada a besoin depuis des décennies.

Comme nous l’avons entendu au cours de nos discussions dans cette enceinte, le projet de loi C-64 est une mesure législative fondamentale qui énonce les principes clés qui orienteront les efforts du gouvernement dans sa collaboration avec les peuples autochtones, les provinces, les territoires et les autres partenaires et parties prenantes dans le but de mettre en œuvre progressivement un régime d’assurance-médicaments national et universel.

L’article 4 met l’accent sur quatre grands principes : l’accessibilité, le caractère abordable, l’utilisation appropriée et la couverture universelle. Comme cela a été souligné à l’étape de la deuxième lecture, ces principes sont essentiels pour que les Canadiens, en particulier les groupes marginalisés et les populations rendues vulnérables par toutes sortes de circonstances, puissent avoir accès aux médicaments dont ils ont besoin. En outre, le préambule du projet de loi reconnaît que ce processus progressif doit être :

[guidé] par la Loi canadienne sur la santé et conforme aux recommandations du Conseil consultatif sur la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments;

Les recommandations de 2019 du conseil consultatif, également connues sous le nom de rapport Hoskins, établissent un plan pour la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments. La principale prémisse du rapport Hoskins est que le régime d’assurance-médicaments peut améliorer l’accès de tous les Canadiens aux médicaments nécessaires à moindre coût s’il est mis en place sous la forme d’un système public universel à payeur unique.

Tout le monde sait que le Canada a du mal à assurer et à garantir un véritable accès aux médicaments pour les Canadiens dont la santé et la vie en dépendent. La principale raison de cette augmentation des dépenses, c’est le prix élevé des médicaments. À l’international, l’achat de médicaments repose sur les assureurs publics et privés qui négocient auprès des fabricants de médicaments des rabais confidentiels sur les prix qui sont affichés publiquement et qui sont souvent exorbitants. Tout ce secret fait qu’il est outrageusement difficile, en particulier pour les petits acheteurs, d’obtenir une entente équitable. Permettre aux régimes publics d’assurance-médicaments du Canada d’unir leurs forces pour fournir une couverture universelle à payeur unique de médicaments soigneusement sélectionnés devrait contribuer à accroître la transparence et le pouvoir de négociation. Cela pourrait effectivement faire baisser les prix des médicaments d’une manière qui est tout simplement impossible pour l’ensemble disparate actuel de régimes publics et privés au Canada. Nous devons donc persister et résister aux tentatives de privatisation et de marchandisation du processus.

Dès le départ, le programme aura besoin du pouvoir d’achat d’un système à payeur unique qui achètera des médicaments pour 40 millions de Canadiens selon des processus fondés sur des données probantes et rendant des comptes au public. Outre la réduction du coût des médicaments, cela devrait permettre de simplifier la complexité du système et les coûts administratifs.

Le rapport Hoskins reconnaît qu’un système robuste à payeur unique ne peut pas être mis en place du jour au lendemain et recommande plutôt une approche graduelle ou « progressive », en commençant par la couverture de certains médicaments, avant de l’élargir à un programme plus complet.

Le projet de loi C-64 reprend cette approche pour la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments. Il jette les bases d’une couverture universelle à payeur unique pour les contraceptifs et les médicaments contre le diabète, qui sont essentiels. Il confie également à la nouvelle Agence canadienne des médicaments le soin d’élaborer une liste nationale de médicaments essentiels plus étendue et une stratégie d’achat en gros qui pourrait contribuer à la prochaine étape de la couverture universelle à payeur unique.

Je souhaite également parler de la collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux dans le cadre de cette première phase d’accès aux contraceptifs et aux médicaments contre le diabète. Comme on le sait, les gouvernements des peuples autochtones, des provinces et des territoires jouent un rôle clé dans la prestation des services de santé, et chacun d’entre eux a des besoins différents et fait face à des défis différents dans la prestation de ces services. C’est pourquoi le projet de loi C-64 reconnaît que les efforts du gouvernement fédéral en faveur d’un régime national d’assurance-médicaments nécessitent une approche coopérative avec les peuples autochtones ainsi qu’avec chaque province et territoire, pour que personne ne soit laissé pour compte. Le projet de loi C-64 précise que tout financement accordé aux provinces et aux territoires pour soutenir l’assurance-médicaments sera fourni dans le cadre d’accords bilatéraux. Le projet de loi prévoit également que ce financement s’ajoutera aux dépenses provinciales et territoriales existantes pour les programmes publics d’assurance-médicaments.

Le projet de loi C-64 met aussi en évidence l’engagement du gouvernement à collaborer avec les peuples autochtones; il souligne particulièrement la nécessité de discuter avec des partenaires autochtones pour l’élaboration d’une liste nationale de médicaments. Devant le Comité des affaires sociales, le ministre Holland a réitéré que le projet de loi C-64 n’entravera pas la couverture d’assurance-médicaments dont bénéficient actuellement les Premières Nations et les Inuits dans le cadre du Programme des services de santé non assurés, et qu’il pourrait permettre de renforcer et d’étendre cette couverture.

Je tiens aussi à vous rappeler que le gouvernement fédéral collabore déjà avec les provinces et les territoires pour d’autres initiatives, ce qui pourra tracer la voie à suivre pour le régime national d’assurance-médicaments et la collaboration que prévoit le projet de loi C-64.

Je pense notamment aux efforts déployés par le gouvernement fédéral afin d’accroître l’accessibilité des médicaments pour le traitement des maladies rares. Le gouvernement du Canada a lancé la toute première Stratégie nationale visant les médicaments pour le traitement des maladies rares en mars 2023, avec un investissement pouvant aller jusqu’à 1,5 milliard de dollars sur trois ans. Dans le cadre de cet investissement global de 1,5 milliard de dollars, le gouvernement fédéral mettra à la disposition des provinces et des territoires qui le souhaitent jusqu’à 1,4 milliard de dollars sur trois ans au moyen d’accords bilatéraux. Ce financement aidera les provinces et les territoires à améliorer l’accès aux médicaments nouveaux et émergents pour les Canadiens atteints de maladies rares, ainsi qu’à améliorer l’accès aux médicaments existants, au diagnostic précoce et au dépistage des maladies rares. Les patients atteints de maladies rares auront ainsi accès aux traitements le plus tôt possible, ce qui pourra améliorer leur qualité de vie.

En outre, le premier accord bilatéral conclu dans le cadre de la stratégie nationale a été annoncé il y a un peu plus de deux mois, soit le 23 juillet. Au cours des trois prochaines années, le gouvernement du Canada versera 194 millions de dollars au gouvernement de la Colombie-Britannique afin de faciliter l’accès aux médicaments dont les patients ont besoin pour traiter une maladie rare et d’alléger le fardeau financier qui pèse sur leur famille.

L’initiative de démonstration de l’assurance-médicaments, organisée en partenariat avec l’Île-du-Prince-Édouard, est un autre exemple du travail soutenu du gouvernement fédéral avec les provinces et les territoires. Cette initiative, annoncée en août 2021, est un exemple concret de la manière dont les principes d’amélioration de l’accessibilité et de l’abordabilité des médicaments sur ordonnance peuvent améliorer le sort des Canadiens. Dans le cadre de cet accord, l’Île-du-Prince-Édouard reçoit un financement fédéral de 35 millions de dollars pour améliorer l’accès aux médicaments sur ordonnance et les rendre plus abordables pour les Prince-Édouardiens. Cette province a été choisie pour participer à l’initiative de démonstration parce que ses habitants sont confrontés à certains des frais les plus élevés au Canada et aux listes de médicaments les plus restreintes au pays.

(1540)

Depuis le début de l’initiative, l’Île-du-Prince-Édouard a utilisé les fonds fédéraux pour élargir sa liste de médicaments couverts et aider ses habitants à économiser de l’argent sur leurs ordonnances.

Par exemple, en juin 2023, l’Île-du-Prince-Édouard a réduit la quote-part à seulement 5 $ pour près de 60 % des médicaments qui sont régulièrement utilisés par les habitants de la province pour traiter les maladies cardiovasculaires, le diabète et la santé mentale, et qui sont couverts par plusieurs programmes publics d’assurance-médicaments. À ce jour, les habitants de l’île ont économisé plus de 6 millions de dollars de frais grâce à cette initiative.

L’Île-du-Prince-Édouard a également élargi l’accès à plus de 100 nouveaux médicaments pour le traitement de diverses affections, notamment le cancer, les maladies cardiaques, la migraine, la sclérose en plaques, l’hypertension artérielle pulmonaire et le psoriasis.

Comme je l’ai entendu lors de mes rencontres avec les habitants de l’île, l’initiative de démonstration de l’assurance-médicaments de l’Île-du-Prince-Édouard a donné des résultats concrets, et le projet de loi C-64 fera de même, nous mettant sur la voie d’un régime universel d’assurance-médicaments avec un programme gratuit à payeur unique pour les contraceptifs et les médicaments contre le diabète, dont les coûts seront financés et administrés par l’État. Il jette les bases qui permettront au Canada d’offrir enfin un régime d’assurance-médicaments conforme aux principes consacrés par notre régime d’assurance-maladie.

Une fois adopté, le projet de loi C-64 allégera le fardeau des Canadiens qui peinent à acheter les médicaments dont ils ont besoin, à commencer par les femmes et les personnes de diverses identités de genre en âge de procréer, ainsi que les personnes atteintes de diabète. En 2021, Statistique Canada a constaté qu’un adulte sur cinq au Canada n’était pas couvert par une assurance pour ses médicaments. Cela signifie que près de 8 millions de Canadiens n’ont pas les assurances nécessaires pour obtenir les médicaments sur ordonnance dont ils ont besoin.

Malheureusement, cette lacune signifie que, chaque mois — et parfois chaque semaine ou chaque jour —, des millions de Canadiens doivent faire un choix difficile entre payer leurs médicaments ou satisfaire à des besoins essentiels, comme se nourrir ou se chauffer. En outre, trop de Canadiens ont recours aux services médicaux d’urgence parce qu’ils n’ont pas les moyens de payer leurs médicaments — certains parce qu’ils n’en ont plus, d’autres parce qu’ils ont rationné leurs doses pour essayer de joindre les deux bouts.

Je suis convaincue que, du haut de notre privilège relatif, nous convenons tous que chaque Canadien devrait avoir accès aux soins de santé dont il a besoin, au moment où il en a besoin, indépendamment de sa capacité à payer.

Dans le cadre de la première phase du régime national d’assurance-médicaments, l’accès gratuit aux contraceptifs et aux médicaments contre le diabète aura des effets bénéfiques tant sur la santé des Canadiens que sur notre système de santé.

La prise en charge des contraceptifs permettra à 9 millions de Canadiennes en âge de procréer d’avoir un meilleur accès à la contraception et à l’autonomie en matière de santé reproductive, ce qui réduira le risque de grossesses non désirées et améliorera leur capacité à planifier l’avenir.

Actuellement, la couverture des contraceptifs varie au pays. La plupart des Canadiens ont recours à un régime privé d’assurance-médicaments offert par l’intermédiaire de leur employeur pour satisfaire leurs besoins en médicaments. Malgré cela, la plupart des régimes d’assurance-médicaments ne couvrent qu’une partie du coût, le reste étant à la charge du patient.

Certaines personnes sont touchées de manière disproportionnée par l’absence de couverture. Les femmes, les personnes à faible revenu et les jeunes, qui sont tous plus susceptibles de travailler à temps partiel ou sous contrat, n’ont souvent pas accès à une couverture privée. En l’absence d’assurance privée, la couverture des médicaments implique souvent que les personnes concernées doivent payer de leur poche les médicaments dont elles ont besoin.

Une discussion avec une jeune femme en début de semaine m’a rappelé que trop de filles et de femmes dont les parents, le tuteur ou le partenaire pourraient leur donner droit à un régime privé d’assurance-médicaments, peuvent en fait ne pas avoir accès aux contraceptifs si la personne dont le régime leur est accessible s’oppose à leurs souhaits. Pour ces personnes, l’accès n’est tout simplement pas une option.

Le coût a été identifié par les prestataires de soins contraceptifs canadiens comme étant l’obstacle le plus important à l’accès aux médicaments ou aux dispositifs contraceptifs. Pour de trop nombreuses jeunes femmes travaillant à temps partiel et ne bénéficiant pas d’une assurance-médicaments, il est tout simplement impossible d’avoir accès à un stérilet ou à d’autres méthodes contraceptives efficaces tout en essayant de gérer d’autres dépenses de base telles que le loyer ou les factures d’épicerie.

Le projet de loi C-64 garantira que les Canadiennes auront accès à une gamme complète de médicaments et de dispositifs contraceptifs et qu’elles pourront choisir la forme de contraception qui leur convient le mieux.

Pour ce qui est de la gestion du diabète, la couverture des médicaments et des fournitures varie considérablement à l’échelle du Canada, laissant de nombreux Canadiens sous-assurés. La sous‑assurance peut prendre de nombreuses formes. Par exemple, pour un Canadien en âge de travailler qui n’a pas d’assurance privée, les coûts des régimes publics d’assurance-médicaments peuvent varier énormément. Dans certaines régions du pays, le coût des médicaments pour le diabète de type 1 peut dépasser 18 000 $ par année; et pour le diabète de type 2, 10 000 $ par année.

Même les personnes bénéficiant d’une assurance privée peuvent avoir des quotes-parts élevées qui représentent 20 % ou plus du coût du médicament, dépasser les plafonds annuels de leur régime ou atteindre les limites de leur couverture à vie. Ce sont trop souvent les Canadiens les plus démunis qui doivent essayer de payer de leur poche ces coûts insoutenables pour des médicaments essentiels.

La sous-assurance peut être particulièrement préoccupante pour les jeunes adultes atteints de diabète de type 1 qui ne sont plus couverts par l’assurance privée de leurs parents, mais qui n’ont pas leur propre forme de couverture privée.

Les Canadiens à faible revenu représentent également une part disproportionnée des personnes sous-assurées. Même si la plupart des provinces ont mis en place une couverture des médicaments pour les bénéficiaires de l’aide sociale, trop de ménages à faible revenu qui ne sont pas admissibles à l’aide sociale continuent d’avoir du mal à payer de leur poche les médicaments sur ordonnance.

Des facteurs liés à l’emploi peuvent également contribuer aux différences de couverture d’assurance. Les personnes qui ont des petits boulots ou qui occupent des emplois de débutant, des emplois contractuels, des emplois saisonniers ou des emplois à temps partiel font souvent état d’une couverture d’assurance-médicaments moins adéquate. Cela décourage souvent les prestataires d’aide sociale de postuler à un emploi. Pourquoi? C’est parce qu’une fois embauchés, ils risquent de perdre leur couverture publique d’assurance-médicaments sans recevoir une assurance-médicaments ou un revenu viable qui leur permettrait de couvrir les coûts des médicaments dont ils ont besoin.

Un Canadien diabétique sur quatre a déclaré ne pas suivre son plan de traitement en raison du coût.

L’élimination des obstacles à l’accès aux médicaments contre le diabète permettra d’améliorer la santé d’un grand nombre des 3,7 millions de Canadiens atteints de diabète et réduira le risque de complications graves qui bouleversent la vie et qui, dans certains cas, la mettent en danger, comme la cécité ou les amputations.

Il ne s’agit pas seulement d’aider les gens à gérer leur diabète et à vivre une vie plus saine : le diabète, s’il n’est pas traité ou s’il est mal géré, peut entraîner des coûts élevés pour le système de santé qui sont liés à des complications, notamment les crises cardiaques, les accidents vasculaires cérébraux et l’insuffisance rénale. Selon les estimations de Diabète Canada, le coût total du diabète pour le système de santé pourrait s’élever à près de 40 milliards de dollars d’ici 2028. Ces coûts peuvent être évités si et seulement si les personnes atteintes de diabète peuvent gérer convenablement leur maladie en ayant accès aux médicaments dont elles ont besoin.

Le projet de loi C-64 représente une avancée importante pour garantir que tous les Canadiens ont accès aux médicaments abordables et de qualité dont ils ont besoin. Il offrira aux Canadiens une couverture gratuite et à payeur unique pour les contraceptifs et les médicaments contre le diabète. Il établit également un cadre permettant d’élargir cette première étape pour bâtir le système national, universel, public et à payeur unique recommandé dans le rapport Hoskins et dans d’innombrables autres rapports et études d’envergure nationale.

Une fois que le projet de loi aura reçu la sanction royale, plusieurs mesures clés seront prises. Tout d’abord, le ministre de la Santé et son ministère s’emploieront immédiatement à conclure des accords bilatéraux avec les provinces et les territoires afin de mettre en place une couverture universelle au premier dollar et à payeur unique pour les contraceptifs et les médicaments contre le diabète.

La Colombie-Britannique a déjà conclu un protocole d’entente avec le gouvernement fédéral, indiquant ainsi son intention de signer un tel accord. Comme la Colombie-Britannique offre déjà une couverture universelle pour les médicaments contraceptifs, la province réinvestira les économies réalisées pour offrir aux femmes ménopausées une couverture universelle au premier dollar et à payeur unique de l’hormonothérapie substitutive.

En outre, le ministre de la Santé établira un comité d’experts dans les 30 jours suivant la date de sanction. Le comité sera chargé de formuler des recommandations sur les options de fonctionnement et de financement d’un régime d’assurance-médicaments national et universel au premier dollar et à payeur unique. Fait tout aussi important, l’Agence canadienne des médicaments élaborera, au plus tard au premier anniversaire de la sanction de la loi, une liste de médicaments sur ordonnance et de produits connexes essentiels qui servira de point de départ à l’élaboration d’une liste nationale de médicaments et formulera des conseils au sujet de la stratégie nationale d’achat en gros.

Lorsqu’il a témoigné devant le Comité sénatorial des affaires sociales, le ministre de la Santé a confirmé l’importance de veiller à ce que les membres du comité d’experts soient libres d’intérêts commerciaux dans le secteur pharmaceutique, reprenant ainsi un engagement antérieur selon lequel les processus décisionnels de l’Agence canadienne des médicaments doivent eux aussi être indépendants.

Cette priorité respecte les recommandations contenues dans le rapport Hoskins, selon lesquelles l’Agence canadienne des médicaments doit être exempte de conflits d’intérêts afin que son travail soit rigoureux, équitable, fondé sur des données probantes et solidement arrimé non pas à des intérêts commerciaux, mais à l’intérêt supérieur des Canadiens.

Garantir l’indépendance et l’absence de conflit dans la prise de décision nécessitera de la vigilance, y compris pour résister aux pressions visant à suivre l’exemple des États-Unis, qui a mis en œuvre un système mixte public-privé pour combler les lacunes. Nous ne pouvons pas revenir à un méli-mélo de milliers de régimes d’assurance-médicaments privés et publics, avec les coûts administratifs et la complexité des programmes que cela suppose tant pour les patients que pour les prescripteurs. Nous ne pouvons pas continuer d’accepter des systèmes à payeurs multiples qui fragmentent le pouvoir d’achat du Canada quand vient le temps de négocier des prix et des garanties d’approvisionnement avec des multinationales pharmaceutiques. Nous ne pouvons pas, en toute conscience, continuer de demander aux ménages et aux employeurs d’absorber seuls la majeure partie des coûts du programme.

(1550)

Alors que nous envisageons la prochaine phase de l’assurance-médicaments, il est important de rappeler que les initiatives décrites dans le projet de loi C-64, ainsi que celles qui sont déjà en cours, seront évaluées afin qu’on puisse tirer des enseignements de ce qui a été fait jusque-là pour la mise en œuvre d’un régime d’assurance-médicaments national et universel au Canada. On évaluera notamment l’amélioration de l’accès à des médicaments sur ordonnance abordables à l’Île-du-Prince-Édouard, les efforts déployés dans le cadre de la Stratégie nationale visant les médicaments pour le traitement des maladies rares et le travail de l’Agence des médicaments du Canada.

Je me réjouis vraiment de l’effet positif qu’aura cette mesure législative pour les Canadiens. Je suis aussi consciente que le travail lié au projet de loi C-64 est loin d’être terminé. C’est le début du chemin que nous devons parcourir ensemble pour ouvrir la voie au régime d’assurance-médicaments national, universel, public et à payeur unique que les Canadiens veulent et pour garantir l’accès universel aux médicaments qu’ils revendiquent à juste titre comme un droit fondamental.

Je partage l’intérêt des Canadiens à l’égard d’un régime national d’assurance-médicaments comme prolongement logique du régime national d’assurance-maladie et comme étape essentielle pour que l’accès d’une personne aux soins de santé dont elle a besoin ne dépende pas de sa capacité de payer. Dans les mois et les années qui suivront la mise en œuvre de ce projet de loi, j’espère que nous continuerons à travailler ensemble, avec et pour tous les Canadiens, afin de mettre en place un régime d’assurance-médicaments pour tous.

Je ne me fais pas d’illusions : le processus ne sera ni rapide ni facile. Le projet de loi C-64 exige un travail par étapes qui doit être réalisé de concert avec les peuples autochtones, les provinces, les territoires, les intervenants du milieu, les experts et ceux qui une expérience personnelle dans le domaine. Je repense à ce dicton souvent cité : seul, on peut aller vite, mais ensemble, on peut aller loin.

Il s’agira d’un processus à long terme et itératif, mais je crois que les Canadiens y tiennent et que nous faisons des progrès importants. La première étape consiste à adopter ce projet de loi sans tarder pour répondre aux appels répétés faits au Comité sénatorial des affaires sociales au nom des Canadiens qui attendent un accès réel aux médicaments.

Meegwetch. Je vous remercie.

L’honorable Krista Ross : Sénatrice Pate, je tiens d’abord à vous remercier de tout votre travail sur ce projet de loi, surtout en votre qualité de marraine.

Vous avez parlé des régimes de santé privés, et j’ai une question concernant les gens déjà couverts par des régimes d’assurance collective. On m’a donné l’assurance que ces régimes ne changeront pas. Y a-t-il quelque chose dans la mesure législative qui garantit que les Canadiens déjà admissibles à une forme quelconque de couverture pour ces médicaments ne perdront pas leur couverture existante?

En tant qu’ancienne employeuse, je m’explique mal pourquoi un employeur continuerait à payer pour quelque chose que le gouvernement offrirait gratuitement.

La sénatrice Pate : Merci. C’est une excellente question. Bien sûr, il s’agit également d’une compétence provinciale. Ce sera surtout les provinces qui seront responsables d’inciter les employeurs à renégocier à la baisse la cotisation de l’employeur ou les taux en réponse à ces questions. Je pense que la question que vous soulevez est très importante. C’est une question dont le gouvernement est bien au fait et j’ose espérer que les gouvernements des provinces et des territoires le sont également et qu’ils ont déjà entamé ces discussions. Personne ne souhaite que le projet de loi limite l’accès de certaines personnes ou qu’il fasse en sorte que moins de frais soient couverts.

Ce sera aux provinces de négocier et d’adhérer au programme et, assurément, j’espère que ce seront les Canadiens qui bénéficieront des économies dans leur région.

La sénatrice Ross : Accepteriez-vous de répondre à une autre question? Merci.

Si ce n’est pas le cas et que les employeurs éliminent bel et bien leur couverture, j’ai l’impression que cette situation aura une énorme incidence sur le coût global. Je crois que le rapport du directeur parlementaire du budget était fondé sur l’hypothèse que les employeurs n’élimineraient pas leur couverture. Que pensez-vous qu’il se passerait s’ils l’éliminaient?

La sénatrice Pate : Merci. Il y a des hypothèses quant à ce qui pourrait se passer. Le directeur parlementaire du budget a calculé les coûts en partant du principe que ce processus itératif était un régime à payeurs multiples au lieu du régime à payeur unique qu’il est censé être. Il pourrait y avoir des coûts supplémentaires. On s’attend également à ce que les accords conclus entre le gouvernement fédéral et les provinces tiennent compte de ces questions.

En fait, je dirais — et d’autres collègues au Sénat ont bien plus d’expérience que moi à ce chapitre — que c’est le type de négociations que les employeurs mèneront avec le gouvernement. Les syndicats ont certainement discuté de cette question. Voilà pourquoi le mouvement syndical au Canada appuie vigoureusement cette initiative.

L’honorable Ratna Omidvar : La sénatrice accepterait-elle de répondre à une autre question? Merci.

Cette question fait suite à celle posée par la sénatrice Ross au sujet des employeurs qui cesseront d’offrir de l’assurance pour certains médicaments, et des personnes qui perdront de ce fait leur assurance-médicaments. Que pouvez-vous nous dire à propos de ce qui s’est passé dans des pays où le même phénomène s’est produit? Le Canada est en train de rattraper son retard, alors peut-être pourriez-vous nous dire ce que des employeurs ont fait dans des situations semblables à la nôtre.

La sénatrice Pate : D’après les discussions que j’ai eues avec des experts d’autres régions du monde, cela signifie généralement que les employeurs ont été en mesure de réduire les coûts ou d’étendre la couverture à d’autres domaines qui n’auraient pas été négociés autrement. C’est une mesure positive dans la plupart des cas. Avoir accès à ce type de couverture est aussi un droit de la personne. Je soupçonne que, dans le pire des cas, les employeurs qui tentent d’agir de la sorte s’exposent à des poursuites judiciaires.

L’honorable Flordeliz (Gigi) Osler : Honorables sénateurs, j’aimerais commencer par rappeler que nous sommes réunis sur le territoire traditionnel et non cédé du peuple algonquin anishinaabe, qui protège les terres et les eaux depuis des temps immémoriaux.

[Français]

Je prends la parole aujourd’hui pour parler du projet de loi C-64, Loi sur l’assurance médicaments.

[Traduction]

Je remercie la sénatrice Pate, la marraine du projet de loi C-64, et mes collègues du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie pour le travail qu’ils ont accompli lors de l’étude de ce projet de loi.

Mon discours d’aujourd’hui comportera trois parties; tout d’abord, un bref historique de l’assurance-médicaments au Canada; ensuite, plusieurs des préoccupations actuelles concernant le projet de loi; enfin, mes espoirs pour l’avenir de l’assurance-médicaments.

Commençons par un extrait du Rapport final du Conseil consultatif sur la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments de 2019, également connu sous le nom de rapport Hoskins :

Depuis plus de cinquante ans, les Canadiens songent à un système d’assurance-médicaments universel, en complément au système de soins de santé universel. Pour un débat de si longue date, il y a un consensus surprenant. Après avoir entendu les témoignages de plusieurs milliers de Canadiens, nous avons constaté une conviction commune et ferme que chaque Canadien devrait avoir accès à des médicaments d’ordonnance distribués de façon équitable et durable en fonction de ses besoins et non de sa capacité à payer. C’est pourquoi notre conseil a recommandé que le Canada mette en place un régime public d’assurance-médicaments universel à payeur unique.

À l’heure actuelle, les Canadiens paient leurs médicaments sur ordonnance au moyen d’une combinaison d’assurances privées, d’assurances publiques et de paiements directs. Un rapport de Statistique Canada publié en 2022 a révélé que, au cours de l’année précédente, 21 % des Canadiens ont déclaré ne pas avoir d’assurance pour couvrir le coût, en tout ou en partie, de leurs médicaments sur ordonnance. Le recours aux médicaments sur ordonnance était également plus faible chez les personnes sans assurance, à raison de seulement 56 % comparativement à 70 % pour les Canadiens ayant une assurance.

Les pourcentages de personnes qui ont déclaré ne pas avoir d’assurance-médicaments pour couvrir le coût des médicaments sur ordonnance étaient plus élevés chez les immigrants que chez les non-immigrants et chez les personnes racisées comparativement aux personnes non racisées et non autochtones.

Heureusement, le 29 février 2024, après de nombreuses années d’attente, l’honorable Mark Holland, ministre fédéral de la Santé, a présenté le projet de loi C-64, Loi concernant l’assurance-médicaments.

(1600)

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice Osler, je regrette de devoir vous interrompre. Vous disposerez du reste de votre temps de parole lorsque le débat reprendra après la période des questions.

[Français]

Les travaux du Sénat

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, il est maintenant 16 heures. Avant de procéder à la période des questions avec le ministre, je tiens à vous rappeler les durées fixées par le Sénat pour les questions et les réponses, conformément à l’ordre du 3 octobre 2023. Lors d’une période des questions sans ministre, la durée de la question principale et de la réponse sont limitées à une minute chacune, et la durée de la question supplémentaire et de la réponse sont limitées à 30 secondes chacune.

Lorsque le Sénat reçoit un ministre pour la période des questions, comme c’est le cas aujourd’hui, la durée de la question principale est limitée à une minute et celle de la réponse à une minute 30 secondes. La question supplémentaire et la réponse sont limitées à 45 secondes chacune. Dans tous ces cas, le greffier lecteur se lève 10 secondes avant l’échéance de ces délais.

Je tiens également à rappeler au Sénat que, conformément à l’article 2-7(2) du Règlement, lorsque la Présidente se lève, le sénateur qui a la parole doit s’asseoir, ce qui veut dire qu’il doit cesser son intervention jusqu’à ce qu’il soit reconnu de nouveau. Pour faciliter le respect de cette disposition, j’ai donné la directive que les microphones soient coupés lorsque la Présidente se lève. Ceci ne s’applique pas lorsqu’un nouveau sénateur prend le fauteuil.

Je demande maintenant au ministre d’entrer et de prendre sa place.


[Traduction]

PÉRIODE DES QUESTIONS

(Conformément à l’ordre adopté par le Sénat le 7 décembre 2021, visant à inviter un ministre de la Couronne, l’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, comparaît devant les honorables sénateurs durant la période des questions.)

Les travaux du Sénat

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd’hui l’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, pour qu’il réponde à des questions concernant ses compétences ministérielles. Au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue.

Monsieur le ministre, comme je l’ai déjà indiqué au Sénat, la durée pour une question principale est limitée à une minute, et la durée de votre réponse est limitée à une minute 30 secondes. Pour la question supplémentaire, la durée de la question et de la réponse est limitée à 45 secondes chacune. Le greffier lecteur se lèvera 10 secondes avant l’échéance de ces délais. La période des questions sera d’une durée de 64 minutes.

Le ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté

Le système d’immigration

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Bienvenue, monsieur le ministre. Monsieur le ministre, l’épouvantable incurie du gouvernement néo-démocrate—libéral a ruiné ce qui était auparavant le meilleur système d’immigration du monde entier.

Vous le savez, monsieur le ministre. À plusieurs reprises cette année, vous avez affirmé que le système d’immigration était hors de contrôle. En fait, en mars, vous avez indiqué au journaliste John Ivison que le système était « devenu incontrôlable, qu’il s’agisse des étudiants étrangers ou de toute autre catégorie ». Ce sont vos paroles, monsieur le ministre.

Si vous semblez reconnaître le gâchis qui a été fait, vous ne semblez pas reconnaître qui en est responsable. Pouvez-vous nous dire qui est responsable, monsieur le ministre? Est-ce John McCallum, Ahmed Hussen, Marco Mendicino, Sean Fraser, Justin Trudeau, ou toutes ces réponses?

L’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté : Je vous remercie, sénateur, de m’avoir lu cette question. D’abord et avant tout, je pense que tout le monde ici présent peut convenir que nous avons un système d’immigration dont nous pouvons être fiers. Chose certaine, lorsque je voyage à l’étranger, mes collègues soulignent les aspects formidables et la nature inclusive de notre système d’immigration.

Cela dit, je ne cacherai pas que, malgré ce consensus, il y a au Canada des gens qui, sous le couvert de l’anonymat, n’aiment pas les immigrants et n’en veulent pas dans leur pays. Cependant, ce consensus soigneusement établi est mis à rude épreuve et remis en question en raison de divers facteurs à l’échelle nationale ou internationale.

Tout d’abord, lorsque je parle avec des Canadiens, ils me disent qu’ils sont fiers de notre système d’immigration et fiers que nous ayons évité deux récessions grâce à l’immigration, comme l’ont souligné le Fonds monétaire international et la Banque du Canada. Que cela nous plaise ou non, nous avons besoin de l’immigration au Canada, mais nous devons nous y prendre de la bonne façon. Il faut que l’immigration soit contrôlée. Le système d’immigration est débordé à certains égards. Cette responsabilité incombe toujours au gouvernement.

En même temps, je crois que nous devons reconnaître — ce serait injuste de ne pas le faire — que notre système d’immigration fait l’envie du monde entier. Effectivement, il y a consensus pour dire qu’il est sous pression, et nous devons lutter pour le protéger. C’est ce pour quoi je suis ici. Si des mesures doivent être prises pour rétablir le contrôle sur certains aspects, c’est le mandat que le premier ministre m’a donné. C’est ma responsabilité.

Le sénateur Plett : Le système est hors de contrôle, et non pas l’envie du monde entier. Vous ne parlez pas aux mêmes Canadiens que moi. Les Canadiens méritent une explication, monsieur le ministre. Ils méritent aussi des excuses. Monsieur le ministre, pourquoi les Canadiens devraient-ils avoir le moindrement confiance dans l’incompétent gouvernement néo-démocrate—libéral pour rétablir notre système d’immigration alors que vous l’avez complètement démoli?

M. Miller : Sénateur, vous ne serez pas surpris d’apprendre que je rejette votre prémisse et, très probablement, les conclusions que vous formulez dans votre esprit. Cependant, je répondrai ceci au Sénat. Notre système d’immigration connaît des difficultés. Nous éprouvons de réels problèmes à cause du nombre de travailleurs étrangers temporaires qui sont venus ici à la demande d’établissements comme des collèges et des universités ainsi que des provinces, qui ont bénéficié de leur arrivée. Nous devons maîtriser la situation pour les Canadiens. Nous avons pris quelques mesures qui semblent assez prometteuses. Nous sommes prêts à en faire part au Sénat et à la population canadienne. Je crois que nous pouvons être fiers de la façon dont nous prenons la situation en main.

[Français]

L’immigration au Québec

L’honorable Claude Carignan : Monsieur le ministre, voilà plusieurs mois que le Québec tout entier dénonce vos politiques d’immigration en raison de la pression imposée sur le système de santé, de la crise du logement et de la nécessité de protéger la langue française. Vous avez commencé par nier le problème en insinuant qu’au fond, les Québécois sont racistes. Par la suite, vous avez contesté les chiffres. Finalement, vous avez admis vos échecs en avouant ceci : « Très franchement, on a pris un peu trop longtemps pour ralentir la machine. »

Toutefois, vous refusez toujours de prendre des mesures rapides et efficaces pour régler le problème. Pourquoi faut-il qu’à chaque demande du Québec, la première réaction de ce gouvernement libéral soit toujours de dire non et de nier le problème?

L’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté : Très respectueusement, monsieur le sénateur, je n’ai jamais traité les Québécois de racistes. Étant moi-même un fier Québécois, je n’ai jamais fait cela et je ne ferai jamais cela. Il est clair que l’on doit avoir une conversation, une discussion avec les Québécois. On a tous le même intérêt, et le Sénat le partage, soit la langue commune qu’est le français, qu’il faut protéger. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle on a versé au-delà de 6 milliards de dollars au Québec pour protéger la langue française en vertu de l’Accord Canada-Québec, qui fait la fierté de l’immigration québécoise. On peut être très fier de ce qu’on a accompli au cours des 30 dernières années en ce qui concerne l’immigration au Québec.

Il y a des défis. Jusqu’à l’année dernière, les provinces nous suppliaient de ne pas couper dans les programmes. Maintenant, elles réclament que l’on fasse des coupes. Il y a une responsabilité dans l’immigration qui est partagée. Le Québec, comme l’Ontario et d’autres provinces, est privilégié d’accueillir des travailleurs temporaires et des étudiants. Le système doit être mieux géré collectivement par les deux ordres de gouvernement.

Le sénateur Carignan : Vous n’avez pas répondu à ma question. Je vais essayer de vous en poser une plus simple. Vous avez parlé de respect. Vous traitez de « nonos » trois premiers ministres qui, eux aussi, ne soutiennent pas vos politiques en matière d’immigration. Votre collègue Dominic LeBlanc, ministre de la Sécurité publique, des Institutions démocratiques et des Affaires intergouvernementales, était ici il y a quelques jours. Il n’a pas pu vous défendre sur ce sujet. Est-ce que vous persistez dans vos politiques d’insultes? Allez-vous vous excuser en faisant preuve de respect, comme vous venez de le dire?

M. Miller : Ce n’est pas au ministre LeBlanc de me défendre; je peux me défendre moi-même, monsieur le sénateur. Il est clair que lorsqu’on a un groupe de travail qui a été mis en place dans la foulée de la rencontre du Conseil de la fédération à Halifax, et que ces mêmes premiers ministres laissent filtrer de l’information qui est fausse, c’est irresponsable de leur part. J’ai droit à ma montée de lait. La réalité, c’est qu’ils ont inventé ce faux débat. Nous avons dit très clairement que nous n’allions jamais déplacer des gens de force. Ils le savaient et voilà qu’ils se lèvent et stressent pour des fins électoralistes dans l’intérêt du Parti conservateur pour dire que nous allions déplacer les gens. C’est faux et je pense que c’est d’abord irrespectueux devant les Canadiens.

(1610)

[Traduction]

Les niveaux d’immigration

L’honorable Tony Loffreda : Monsieur le ministre, merci de vous être joint à nous aujourd’hui.

Il y a eu beaucoup de discussions dans tout le pays au sujet des objectifs du Canada en matière d’immigration, et je sais que vous travaillez actuellement sur le prochain Plan des niveaux d’immigration du Canada, que vous déposerez au Parlement. Vous auriez déclaré récemment qu’une réduction du nombre de résidents permanents était une possibilité pour essayer de stabiliser le système d’immigration.

Pouvez-vous nous parler des consultations que vous avez menées avec le monde des affaires? Que vous disent ses représentants? Le besoin de nouveaux arrivants pour pourvoir des postes dans de nombreux secteurs, comme l’hôtellerie et la restauration, n’a pas disparu et, pour certains entrepreneurs qui ont du mal à trouver des travailleurs, la possibilité d’une réduction du nombre de nouveaux travailleurs est inquiétante.

L’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté : Sénateur Loffreda, je vous remercie de cette importante question. Je pense qu’il y a une responsabilité à l’égard du milieu des affaires. Dans une réponse à un de vos collègues, j’ai mentionné que nous avions empêché au moins deux récessions grâce à nos solides politiques en matière d’immigration, dont nous pouvons être très fiers. J’ai aussi reconnu que le système surchauffe. Dans une certaine mesure, le pays est devenu dépendant des travailleurs étrangers temporaires et les entreprises en ont tiré parti. Elles ont saisi l’occasion, et nous avons une certaine responsabilité à ce chapitre.

Nous ne devons toutefois pas corriger le tir de manière excessive et plonger le pays dans une récession. Il faut veiller à ne pas nuire à nos industries essentielles. De toute évidence, en ces temps d’insécurité alimentaire, il ne faut pas nuire aux entreprises qui dépendent des travailleurs étrangers temporaires, en particulier celles qui sont essentielles à la survie des collectivités rurales.

Nous devons bien faire les choses, mais je ne peux pas le faire en vase clos. J’ai discuté avec de nombreuses associations de gens d’affaires et chambres de commerce. Toutes, sans exception, m’ont demandé davantage de travailleurs étrangers temporaires, mais je pense que notre pays ne doit pas faire preuve de complaisance à ce chapitre, ce que nous avons fait dans une certaine mesure. Nous avons bradé les valeurs du consensus que nous avons bâti avec soin, et ce sont les entreprises, ainsi que les gouvernements fédéral et provinciaux qui en sont responsables.

Le sénateur Loffreda : Je vous remercie de votre réponse.

Certaines provinces demandent davantage de travailleurs temporaires pour doter des postes, par exemple, dans le secteur de l’hôtellerie. Vous dévoilerez sous peu votre nouveau plan, mais, entretemps, comment se déroulent les discussions avec vos homologues provinciaux à ce sujet? Je m’intéresse tout particulièrement à vos discussions avec le tout nouveau ministre de l’Immigration Jean-François Roberge. Je comprends qu’il est difficile de trouver un juste équilibre entre la satisfaction des besoins en main-d’œuvre et la capacité de notre pays à accueillir et à intégrer correctement les nouveaux arrivants, et je sais que cela pose des défis dans le domaine du logement, entre autres.

Ce n’est pas une tâche facile, mais j’aimerais savoir comment vos discussions à ce sujet se déroulent.

M. Miller : Je n’ai pas nécessairement la même vision du Québec que Jean-François Roberge. Il y a certaines politiques de son gouvernement que je n’aime pas; le projet de loi no 21 et le projet de loi no 96 sont en tête de lice. Personnellement, je m’entends très bien avec lui et je pense que les Québécois et les Canadiens s’attendent à ce que nous nous entendions et à ce que nous travaillions de façon positive et proactive afin de faire ce qu’il faut pour nous doter d’un système d’immigration dont nous pouvons être fiers.

Vous y avez fait allusion, les responsabilités en matière d’immigration sont de compétence partagée et il faut faire les choses correctement. Il n’est pas question de compromettre nos principes, mais jusqu’à maintenant, ma relation de travail avec M. Roberge est très productive.

Il faut se rappeler que le Québec a changé sa position récemment et que, jusqu’à il y a un an, la province nous demandait d’accueillir plus de travailleurs étrangers temporaires. La situation a changé et la province est en partie responsable de s’assurer de trouver la bonne solution. Je n’ai toujours pas vu le plan de M. Legault pour la réduction du nombre de travailleurs étrangers temporaires.

[Français]

Les universités et les établissements d’enseignement postsecondaire

L’honorable Lucie Moncion : Bienvenue, monsieur le ministre.

Ma question porte sur l’incidence des décisions d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) sur la viabilité financière du secteur postsecondaire. Le 22 janvier 2024, IRCC a instauré un plafond temporaire de deux ans pour les étudiants étrangers, entraînant une forte baisse des demandes de permis d’études. Une nouvelle réforme annoncée le 18 septembre prévoit de réduire davantage ce plafond pour 2025.

En raison d’un financement public en baisse depuis plus de 20 ans, les établissements ont accru leur dépendance à ce soutien. Bien que l’objectif d’IRCC ne soit pas de venir heurter le secteur, il est difficile de comprendre le manque de considérations pour la précarité financière de plusieurs établissements, notamment en raison du manque de préavis et de mesures compensatoires pour atténuer les dommages collatéraux.

Quelles mesures le gouvernement fédéral envisage-t-il de prendre pour atténuer les effets de ce plafond et garantir la viabilité financière du secteur de l’enseignement postsecondaire au Canada?

L’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté : Comme mon père a quitté un petit village et s’est sorti de la pauvreté en enseignant à l’Université McGill pendant 45 ans, je dirais que c’est un domaine qui m’interpelle très directement émotionnellement.

La valeur de nos établissements d’enseignement postsecondaire fait la fierté de notre pays. Cependant, il reste que des abus et des excès ont été perpétrés par les universités et par les collèges. Je crois que personne ne peut proclamer l’innocence.

Le sous-financement de ces établissements d’enseignement, c’est quelque chose qui relève de la sphère de compétence provinciale. Ce que je me reproche, c’est qu’on leur ait fait confiance pendant trop longtemps avant de mettre en vigueur ces mesures qui sont très importantes pour la viabilité du système de visa postsecondaire des étudiants étrangers. Je ne dis pas à qui que ce soit qu’ils n’ont pas le droit d’avoir des étudiants étrangers, mais il y a des conditions. Il y a des conditions de viabilité financière des étudiants, de l’accueil et de l’encadrement qu’ils peuvent avoir ici, au Canada.

Force est de constater que cela n’a pas été parfait, loin de là. Je pense que beaucoup d’établissements d’enseignement ont rempli leurs coffres sans penser au marché qui suivait; ils s’attendaient peut-être à ce que ces gens puissent avoir leur résidence permanente et plus d’emplois.

Il y a donc encore beaucoup de travail à faire à plusieurs égards. Je ne suis pas ministre de l’Éducation ni économiste de formation, mais j’ai dû jouer ces rôles...

Son Honneur la Présidente intérimaire : Merci, monsieur le ministre.

La sénatrice Moncion : Les établissements francophones, qui sont très dépendants de cette source de financement, sont particulièrement touchés. Comme ils sont souvent de taille réduite, la volatilité des revenus peut être fatale pour nombre d’entre eux. Ces établissements jouent un rôle crucial dans le développement économique, social et culturel des communautés francophones en situation minoritaire. Par ailleurs, cette mesure rend difficile, voire impossible, la réalisation des objectifs de la Politique en matière d’immigration francophone.

Comment le gouvernement compte-t-il soutenir spécifiquement ces établissements pour préserver leur viabilité et leur impact dans les communautés francophones?

M. Miller : Merci de la question, madame la sénatrice.

Il est sûr que ces établissements, surtout les établissements francophones hors du Québec, sont dans une situation financière très précaire. C’est la raison pour laquelle j’ai lancé mon projet pilote cet été en Nouvelle-Écosse, pour faire en sorte que les étudiants francophones puissent avoir un accès accéléré à la résidence permanente, ce qui représenterait pour eux un incitatif de venir au Canada s’ils parlent français dans un établissement francophone. C’est très important.

Il reste que ces établissements d’enseignement ont la responsabilité de s’assurer que les étudiants étrangers qu’ils accueillent sont les bons étudiants et qu’ils ne décideront pas de demander l’asile.

C’est un enjeu immensément délicat, mais je vous concède que le gouvernement fédéral a une responsabilité toute particulière à cet égard auprès des communautés francophones hors Québec.

[Traduction]

Les étudiants étrangers

La sénatrice Osler : Je vous remercie d’être ici.

Ma question concerne les répercussions du plafonnement du nombre d’étudiants étrangers pour les petites et moyennes universités canadiennes. Dans ma province, le Manitoba, l’Université de Winnipeg est un campus dynamique d’environ 10 000 étudiants et un pôle d’attraction au centre-ville qui rassemble des gens de différentes cultures et qui forme des citoyens du monde.

L’inclusion des étudiants des cycles supérieurs dans le cadre du plafonnement du nombre d’étudiants étrangers se traduira par une concurrence plus forte entre les établissements dans les provinces et entre les provinces, et favorisera les grandes universités qui font de la recherche au détriment des petites et moyennes universités. Quel est le plan du gouvernement fédéral pour que la répartition des étudiants puisse être équitable entre les universités du Manitoba et entre les universités canadiennes en général?

L’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté : Merci de votre question.

J’ai de très bonnes relations avec le premier ministre Kinew — je ne peux malheureusement pas en dire autant de tous les premiers ministres. Je sais qu’il a à cœur de s’assurer que des gens puissent s’établir au Manitoba et acquérir l’expertise et la formation dont ils ont besoin.

Je pense que, honnêtement, accroître la concurrence est une bonne chose. J’ai dit aux établissements qu’ils devaient s’assurer que leurs pratiques de recrutement d’étudiants étrangers soient meilleures afin d’éviter que les étudiants qui arrivent ici ne reçoivent pas l’aide nécessaire. Les établissements doivent veiller à ce que les frais de scolarité soient raisonnables et à ce que les gens arrivent à s’intégrer adéquatement au Canada s’ils choisissent de rester et de devenir des résidents permanents, voire même des Canadiens.

Il n’y a cependant rien de garanti et, présentement, il y a trop d’étudiants en situation précaire. Je ne dis pas qu’il faut rejeter la responsabilité sur eux. Il y a des jeunes très brillants; je dis « jeunes », parce qu’ils ne sont pas très vieux. Ils dynamisent la main-d’œuvre canadienne. Si nous arrivons à bien les intégrer, c’est une bonne chose. Si nous n’y arrivons pas, après leur avoir fait miroiter de faux espoirs, alors c’est une escroquerie à laquelle il faut mettre fin et nous devons aller au-devant du problème.

Je crois que tous les établissements ont leur part de responsabilité. Certains ont une plus grande part que d’autres, mais nous sommes prêts à travailler avec les provinces afin qu’elles fassent respecter leurs règles. C’est principalement une compétence des provinces, mais je suis là pour les aider et pour m’assurer que nous puissions continuer d’être fiers de ce système.

La sénatrice Osler : Merci, monsieur le ministre. Selon l’annonce du 18 septembre 2024, les étudiants diplômés ne seront plus exemptés de l’obligation d’obtenir une lettre d’attestation provinciale et seront assujettis au plafond à compter de janvier 2025.

(1620)

Étant donné que les étudiants diplômés contribuent à la réputation internationale du Canada en matière de formation de qualité et d’excellence en recherche, comment le gouvernement fédéral compte-t-il remédier à la baisse du nombre de chercheurs internationaux qui participent à la croissance économique du Canada?

M. Miller : La lettre d’attestation est la preuve qu’il était important de faire confiance aux établissements d’une province, mais qu’il fallait aussi vérifier. Il s’agit d’une mesure de première ligne que nous devons prendre pour empêcher les gens d’entrer frauduleusement au Canada. Il est arrivé que des personnes se présentent dans un établissement du Nouveau-Brunswick sans lettre d’offre. Cela ne doit pas se produire. C’est important.

La disponibilité de ces étudiants brillants continuera à bâtir une réputation qui rendra le Canada beaucoup plus attrayant. La situation relative aux étudiants étrangers n’est pas propre au Canada. Elle s’est produite en Australie et en Grande-Bretagne et se poursuit aux États-Unis. Cependant, c’est un problème sur lequel nous pouvons travailler ensemble de manière à ce que, lorsque les gens recherchent l’excellence internationale, ils pensent d’abord et avant tout au Canada.

Le système d’immigration

L’honorable Andrew Cardozo : Bienvenue, monsieur le ministre. Je vous remercie d’être venu discuter avec nous aujourd’hui.

Hier, j’ai participé à la table ronde sur les emplois des réfugiés, à Toronto. Cette initiative inclut un réseau d’entreprises qui souhaitent employer des réfugiés. Des intervenants ont toutefois exprimé leur inquiétude par rapport à l’effritement progressif du consensus national sur l’immigration. Pourriez-vous nous parler des changements de politiques que vous avez faits ces derniers mois pour rétablir la confiance dans notre système d’immigration?

L’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté : D’abord et avant tout, les mesures que nous devons mettre en œuvre sont celles qui renforcent la discipline au sein du système et le contrôle du gouvernement fédéral sur le système. Elles peuvent prendre de nombreuses formes. On peut penser à des mesures pour que les personnes qui viennent ici avec un visa de touriste le fassent pour les bonnes raisons et ne demandent pas l’asile dès leur arrivée à l’aéroport; pour que nos frontières soient adéquatement protégées; ou pour que les étudiants qui viennent ici soient bel et bien inscrits dans un programme, étudient, obtiennent leur diplôme et décrochent un emploi dans le domaine. Actuellement, en ce qui concerne la dernière catégorie, de nombreuses questions se posent. C’est pourquoi nous tentons de limiter le volume, qui tend à devenir problématique dans le système.

J’insiste sur le volume parce que lorsqu’il atteint un niveau tel que les Canadiens commencent à remettre en question le consensus, la situation nuit à certaines mesures importantes comme les programmes de réinstallation des réfugiés, l’accueil des familles, des parents et des grands-parents, et le taux annuel d’admission de 60 % du système d’immigration pour ce qui est de la catégorie économique, ce qui contribue directement au PIB du pays, en plus de nous avoir permis d’éviter deux récessions. C’est crucial. Ces mesures pour accroître la discipline dans le système garantissent des niveaux durables, des niveaux qui contribueront comme avant à l’intégrité de ces programmes en particulier.

Le sénateur Cardozo : Merci. Je sais que c’est difficile parce que, à la lumière des questions qui sont posées aujourd’hui, on constate que certains secteurs veulent plus d’immigrants alors que d’autres font pression qu’il y en ait moins.

Nous savons que l’immigration apporte d’énormes avantages économiques, sociaux et culturels. À titre d’exemple, de nombreuses résidences pour personnes âgées à travers le pays fonctionnent presque entièrement avec du personnel issu de l’immigration, tous échelons confondus. Ces résidences n’existeraient pas sans les immigrants qui y travaillent. Avez-vous l’intention de collaborer avec les groupes communautaires, les entreprises et les syndicats pour souligner les avantages de l’immigration afin de rétablir ce consensus et de rappeler aux gens que nous profitons tous de l’immigration et des réfugiés qui viennent au Canada?

M. Miller : Absolument. J’ai dit à mes homologues provinciaux qu’il n’était pas question pour moi de faire obstacle à leurs entreprises. Je leur ai parlé de l’importance d’harmoniser nos données respectives sur le marché du travail et les divers programmes. À titre d’exemple, il est important de savoir dans quelle mesure les programmes universitaires aident les étudiants étrangers à faire la transition vers le marché du travail, ou si les gens que nous accueillons occupent un emploi dans leur domaine de formation. C’est généralement le cas dans le secteur de la santé, y compris dans les soins à domicile et les soins aux personnes âgées. Nous devons toutefois veiller à corriger les lacunes. Trouver l’équilibre entre l’offre et la demande n’est pas un exercice parfait, mais c’est un aspect sur lequel le gouvernement fédéral doit continuer à collaborer avec les provinces afin que les données sur le marché du travail soient utiles pour combler les besoins réels du Canada et sélectionner les personnes que nous voulons accueillir.

Le processus de sélection

L’honorable Salma Ataullahjan : Bienvenue, monsieur le ministre.

Il y a à peine cinq jours, un article de la CBC a souligné que le processus de sélection sous le gouvernement actuel n’exige pas que les demandeurs de visa pour étudiants étrangers obtiennent un certificat de police émis par les forces de l’ordre de leur pays d’origine.

Cette immigration à tort et à travers est un symptôme évident d’un système défaillant qui contribue à l’hostilité croissante à l’égard des immigrants au Canada, un pays qui a longtemps eu la réputation d’être le plus accueillant au monde pour les immigrants.

Quelles mesures le gouvernement prend-il pour mettre en œuvre des vérifications de sécurité plus strictes pour les étudiants étrangers afin de freiner la montée du sentiment anti-immigration au Canada, sans remettre en cause l’importance de l’immigration pour l’économie d’ici?

L’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté : Madame la sénatrice, d’abord et avant tout, il faut tenir compte de la sécurité des Canadiens. Il y a trois façons d’assurer la sécurité des Canadiens : à l’extérieur de nos frontières, à la frontière et à l’intérieur de nos frontières. Les systèmes d’application de la loi et les forces de l’ordre agissent sur les trois fronts afin de contrer les menaces. Nous devons nous défaire de l’idée que les frontières du Canada sont imperméables. Il faut accepter cette réalité. Sinon, il n’y aurait qu’une seule façon de contrôler l’entrée au pays et la sortie de ce dernier.

Les certificats de police constituent une mesure importante, mais il ne s’agit pas d’une panacée. Ils sont parfois exigés dans le cadre des enquêtes de sécurité que nos agents effectuent avec diligence sur des étudiants étrangers ou sur toute personne qui vient au Canada avec un visa de touriste ou un autre type de visa. Depuis 2018 — peut-être un peu plus tôt —, nous avons mis en place la collecte de données biométriques, qui est une mesure essentielle. Nous comparons ces données avec celles qui sont recueillies par plusieurs agents de sécurité. Si on regarde en arrière et qu’on se demande sérieusement si nous sommes plus en sécurité aujourd’hui que nous l’étions il y a 10 ans, selon moi, nous sommes beaucoup plus en sécurité maintenant.

Le traitement des demandes de visas

L’honorable Salma Ataullahjan : Monsieur le Ministre, des Canadiens d’origine pakistanaise me contactent constamment pour me faire part de leur mécontentement face aux retards inacceptables dans la procédure d’obtention des visas. En février, vous avez déclaré : « Nous avons environ sept postes qui devraient être en place d’ici l’été de cette année. » Vous avez ajouté : « Nous aurons désormais une capacité de traitement simplifiée sur le terrain, à Islamabad. »

À ce jour, rien n’a été fait. S’agit-il d’une nouvelle promesse en l’air faite à la communauté?

L’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté : Non. En fait, madame la sénatrice, ce n’est pas le cas. Je dispose de données qui datent du mois d’août concernant un certain nombre de fonctionnaires qui ont été envoyés à Islamabad. De notre côté, nous avons eu quelques difficultés à obtenir leurs visas, mais je crois savoir que le ministère a mis le système en place. Nous pouvons vous fournir une mise à jour écrite sur les données en question et sur les délais de traitement au Pakistan.

La citoyenneté des membres de Samidoun

L’honorable Leo Housakos : Monsieur le ministre, après neuf ans sous le gouvernement Trudeau, les crimes violents ont augmenté de 50 % au Canada. Depuis l’attaque terroriste menée le 7 octobre contre Israël, notre allié, les Canadiens sont témoins d’une augmentation stupéfiante des gestes haineux et violents à l’endroit des juifs. Malgré cela, votre gouvernement laisse des organisations terroristes agir librement au Canada. C’est notamment le cas du Corps des Gardiens de la révolution islamique, qui soutient ouvertement d’autres groupes terroristes comme le Hezbollah et le Hamas.

Les conservateurs ont dû exercer des pressions pendant des années, notamment en présentant plusieurs motions à la Chambre, avant que vous vous décidiez finalement à faire le nécessaire, c’est-à-dire à l’inscrire sur la liste des entités terroristes. Pourquoi est-ce aussi long pour Samidoun? C’est une entité qui recueille ouvertement des fonds au Canada pour le compte de groupes terroristes. Elle a des liens clairs et directs avec le Front populaire de libération de la Palestine, qui figure sur la liste des entités terroristes depuis 2023. De plus, ses fondateurs glorifient ouvertement le terrorisme, prônent la haine des juifs et célèbrent la mort de juifs. Pourquoi votre gouvernement n’a-t-il pas ajouté Samidoun à la liste des entités terroristes et n’a-t-il pas expulsé ses fondateurs du Canada?

L’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté : Je vous remercie de la question, sénateur. Je présume que vous ne rejetez pas la responsabilité de tous ces problèmes sur les immigrants, puisque je suis ici en ma qualité de ministre de l’Immigration. Même si on suppose que c’est exact, si vous aviez porté attention à la période des questions aujourd’hui, vous auriez entendu la réponse de la secrétaire parlementaire du ministre de la Sécurité publique, qui a dit que le premier ministre avait renvoyé cette question à la conseillère à la sécurité nationale.

Le sénateur Housakos : Vous êtes ministre de l’Immigration, et je ne blâme évidemment pas tous les immigrants. Je suis moi-même fils d’immigrant. Aujourd’hui, Pierre Poilievre a clairement indiqué que, lorsqu’il deviendra premier ministre, il veillera immédiatement à ce que l’organisme Samidoun soit inscrit comme il se doit sur la liste des organisations terroristes. Il est déjà inscrit sur la liste de plusieurs de nos alliés, y compris l’Allemagne. Des dirigeants de Samidoun ont également été expulsés d’Allemagne en 2019 et se sont vu refuser l’entrée dans les pays de l’Union européenne en 2022. Malgré cela, votre gouvernement continue d’accueillir des membres de cette organisation au Canada.

(1630)

J’ai deux questions simples à vous poser, monsieur le ministre. Premièrement, pourquoi les dirigeants de Samidoun, Charlotte Kates et Khaled Barakat, sont-ils autorisés à entrer au Canada? Deuxièmement, pouvez-vous confirmer si ces deux personnes détiennent la citoyenneté canadienne?

M. Miller : De toute évidence, vous présumez qu’ils ne la détiennent pas. Je ne connais pas leur statut actuel au Canada. Cependant, je crois qu’il est important que le Sénat condamne sans équivoque tous les actes haineux et — compte tenu surtout du jour que nous avons sombrement souligné hier — toutes les formes d’antisémitisme.

[Français]

Les étudiants étrangers

L’honorable René Cormier : Bienvenue au Sénat, monsieur le ministre. Le 18 septembre dernier, vous avez annoncé une diminution supplémentaire de 10 % du plafond des permis d’études pour les étudiants étrangers, ainsi qu’une réforme de l’admissibilité au permis de travail postdiplôme.

Pour obtenir ce permis de travail, les étudiants étrangers inscrits dans les collèges publics devront étudier dans un domaine associé à des secteurs d’activité prioritaires, comme la santé et les technologies. Ces secteurs, identifiés par votre gouvernement, ne tiennent pas nécessairement compte des besoins provinciaux et régionaux en matière de main-d’œuvre.

Cette décision aura un impact sur l’offre de programmes collégiaux et, par extension, sur les entreprises et les communautés du Nouveau-Brunswick.

Monsieur le ministre, avez-vous mesuré l’impact de cette décision sur les établissements postsecondaires en milieu minoritaire?

Pourquoi ne pas avoir délégué aux provinces la responsabilité d’établir ses propres secteurs prioritaires dans la mise en œuvre de cette réforme?

L’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté : La réponse très simple, monsieur le sénateur Cormier : les provinces n’ont jamais assumé cette responsabilité et cela fait un an que je le leur demande.

Je leur ai clairement dit, lors de la première ronde de mesures que j’ai mises en place il y a moins d’un an, que je ne suis pas là pour supprimer des marchés qui sont viables, surtout dans des communautés fragilisées et régionales, mais je leur ai demandé de me revenir avec des données à l’appui, des études de marché et des propositions.

Jusqu’à maintenant, le Québec est le seul à nous avoir proposé une mesure et à nous avoir demandé plus de travailleurs temporaires. Le Manitoba a réclamé une dérogation. On leur a dit : « Volontiers; on n’est pas là pour vous dire quoi faire, mais il faut que cela ait de l’allure. »

Il fallait sévir et s’assurer que les institutions postsecondaires puissent s’arrimer avec le marché du travail, que ce ne soit pas des programmes qui n’ont aucun sens et que tout cela s’arrime avec les marchés locaux.

Le gouvernement fédéral n’a pas le monopole de la vérité. Nous avons besoin de la participation des provinces, pour qu’elles nous donnent accès à leurs études de marché là et qu’elles nous disent où les pénuries existent pour qu’on puisse arrimer nos programmes. Je ne suis pas là pour dire à qui que ce soit qu’on ne peut pas avoir ces emplois.

En même temps, j’ai une responsabilité pour ce qui est de l’accord ayant trait aux visas.

Le sénateur Cormier : Conformément à la Loi sur les langues officielles, le gouvernement fédéral doit prendre des mesures positives pour favoriser l’épanouissement des communautés de langue officielle en milieu minoritaire, notamment en appuyant des secteurs essentiels à leur épanouissement, comme celui de l’emploi.

Les changements annoncés quant à l’admissibilité au permis de travail postdiplôme risquent d’avoir un impact négatif concret sur le secteur de l’emploi en contexte minoritaire.

Conformément à vos obligations en vertu de la Loi sur les langues officielles, votre gouvernement a-t-il mesuré les impacts négatifs potentiels que cette réforme pourrait avoir sur la vitalité des communautés de langue officielle en milieu minoritaire?

M. Miller : Le gouvernement fédéral a une responsabilité toute particulière envers les communautés francophones à l’extérieur du Québec et même au Québec.

En ce qui a trait à cette responsabilité particulière dans les communautés vulnérables, dans les petites communautés pour des institutions qui sont toutes aussi vulnérables, le gouvernement a aussi le devoir d’être flexible.

C’est ce que j’ai demandé à mon ministère de faire. Nous avons besoin de l’implication des provinces en question. C’est l’une des raisons pour laquelle j’ai lancé cet été le programme de projet pilote, pour nous assurer que les francophones qui étudient dans ces institutions puissent avoir une voie privilégiée à la résidence permanente. Il s’agit d’un attrait pour ces gens-là.

[Traduction]

L’examen pour la citoyenneté

L’honorable Margo Greenwood : Je vous remercie, monsieur le ministre, d’être présent parmi nous aujourd’hui. Ma question concerne le guide d’étude en prévision de l’examen pour la citoyenneté, intitulé Découvrir le Canada: Les droits et responsabilités liés à la citoyenneté. Ce guide d’étude est utilisé par tous les nouveaux arrivants pour leur examen de citoyenneté. Pourtant, dans de nombreux cas, il s’agit de leur première introduction aux peuples autochtones du Canada.

L’appel à l’action numéro 93 de la Commission de vérité et réconciliation invite le gouvernement à collaborer avec les organisations autochtones nationales pour réviser les documents d’information destinés aux nouveaux arrivants au Canada de même que l’examen pour la citoyenneté afin de refléter une histoire plus inclusive des divers peuples autochtones du Canada.

Une lecture rapide de ce guide révèle l’utilisation d’une terminologie dépassée, une image incomplète du rôle des peuples autochtones dans l’histoire du Canada et peu d’information sur l’incidence de la colonisation, y compris les séquelles des pensionnats autochtones.

En janvier de cette année, votre bureau a répondu à ma lettre à ce sujet. Monsieur le ministre, pourriez-vous faire le point sur l’état d’avancement de ces travaux et sur les efforts déployés pour mener à bien...

Son Honneur la Présidente intérimaire : Merci, madame la sénatrice.

L’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté : Merci, sénatrice Greenwood. Je me doutais bien que votre question porterait là-dessus. J’aimerais que cela se fasse le plus tôt possible. C’est un processus qui est toujours en cours. De toute évidence, une partie de la terminologie et des références générales du guide est désuète. Ce n’est pas le début ou la fin du parcours d’un nouvel arrivant en particulier sur le plan de la compréhension et de la connaissance des peuples autochtones ou d’autres éléments qui doivent être mis à jour, mais bien un outil important servant à formuler ce que nous attendons des nouveaux citoyens lorsqu’ils arrivent dans ce pays. J’ai été témoin de changements radicaux dans les cérémonies de citoyenneté, évidemment dans le serment de citoyenneté, ce qui est essentiel. C’est quelque chose que tout le monde attend. Je ne sais pas quand il sera publié, mais j’espère que ce sera sous peu.

La sénatrice Greenwood : Pourriez-vous aussi inclure des précisions sur les règles concernant la participation des organisations autochtones nationales à son élaboration, au-delà de la consultation?

M. Miller : En parlant aux organisations autochtones nationales, j’ai compris qu’il y avait une forte participation à l’élaboration de ce guide. Ce processus est en cours. Au fil du temps, il est parfois nécessaire de faire des mises à jour. D’après ce que je comprends, et parce que ce guide a été préparé avant que je sois nommé à ce poste, il a été préparé de façon rigoureuse.

Le Programme de visa pour démarrage d’entreprise

L’honorable Krista Ross : Bon après-midi, monsieur le ministre. Merci de votre présence parmi nous aujourd’hui.

Depuis qu’il est devenu permanent en 2018, le Programme de visa pour démarrage d’entreprise n’a approuvé qu’un peu plus de 300 demandes. En mai dernier, il avait un arriéré de 37 mois, soit plus de trois ans. Imaginez que vous êtes un entrepreneur innovateur qui souhaite investir au Canada et que l’on vous oppose un retard d’au moins trois ans. Comment est-on censé structurer sa croissance et sa stratégie futures lorsque l’avenir est si incertain? Les personnes que nous voulons attirer ne sont-elles pas celles qui investissent au Canada et créent des débouchés pour les Canadiens?

Outre le plafonnement du nombre annuel de demandes à un maximum de 10 par organisation désignée — dont j’ai appris l’existence dans une lettre datée du 23 septembre faisant suite à une question que j’ai posée en juin dernier à une réunion du Comité des finances nationales —, quelles mesures prenez-vous pour résorber l’arriéré et garantir la viabilité de ce volet d’immigration?

L’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté : La première question que je me pose, c’est si c’est quelque chose de durable. Je pense que nous devons nous concentrer sur la qualité des candidatures. Ce programme a connu son lot de problèmes d’intégrité. Nous devons nous assurer que les personnes qui viennent au Canada investissent réellement des capitaux et n’utilisent pas ce programme comme un moyen détourné d’entrer au Canada.

Je ne remets pas en cause les personnes qui sont actuellement sur la liste d’attente ni leurs motifs, mais je pense que, lorsqu’il est question de l’intégrité de notre système d’immigration en général et de certains programmes en particulier, nous devons nous assurer de bien faire les choses. Voilà pourquoi j’ai pris des mesures pour limiter, dans certains cas, le nombre de visas à 10, parce que, franchement, il y avait des domaines qui, à mon avis, avaient besoin d’un peu de ménage et en ont encore besoin. C’est la réalité.

Nous ne voulons pas freiner l’innovation. Nous voulons donner à chacun la possibilité d’investir au Canada. Si ce type de visa convient au modèle d’entreprise de la personne, cela devrait fonctionner, mais ce visa ne peut pas être utilisé à d’autres fins. Je pense qu’il s’agit là d’une difficulté persistante quant à la viabilité du programme que nous examinons à l’interne.

La sénatrice Ross : Je vous remercie. Au cours de la dernière année, vous avez annoncé plus de six changements différents dans le domaine de l’immigration. Vous avez réduit le programme des travailleurs étrangers temporaires et les visas d’études, et vous avez modifié les règles relatives aux permis de travail postdiplôme. Comme vous n’avez pas présenté une approche uniforme et ferme, je pense que les établissements d’enseignement supérieur, les entreprises et les organisations ont été déstabilisés et ont dû s’adapter tous les deux mois à de nouvelles annonces. Vous avez beaucoup parlé du renforcement de notre système d’immigration. Je comprends cette intention. Ce n’est pas l’objet de ma question. Ma question est la suivante. Comment pouvez-vous vous attendre à ce que les entreprises et les établissements s’adaptent et élaborent des plans pour l’avenir quand les règles ne cessent de changer à cause de cette approche fragmentée? Quelle stratégie devraient-ils adopter?

(1640)

M. Miller : Tout d’abord, ces collèges et établissements devraient se rendre compte que l’afflux constant d’étudiants ne pouvait pas durer, car, comme ils peuvent le constater actuellement, le volume élevé d’étudiants pose des défis. Mon prédécesseur et moi avons dit haut et fort que si les provinces ne pouvaient pas régler le problème, nous interviendrions et le réglerions à leur place. C’est la raison pour laquelle nous mettons en place le modèle d’établissements d’enseignement de confiance, comme je l’avais dit dans le cadre de mes annonces en janvier et dans celles d’il y a quelques semaines.

Ces annonces sont conformes à l’objectif du programme de visas internationaux. Elles renversent la tendance dans laquelle nous nous dirigions, à savoir un afflux constant d’étudiants au Canada, tendance qui présentait de nombreux défis pour les collectivités...

Son Honneur la Présidente intérimaire : Merci, monsieur le ministre. Nous devons poursuivre.

Le guide sur la citoyenneté

L’honorable Dawn Anderson : Monsieur le ministre, ma question porte sur le projet de loi C-8, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (appel à l’action numéro 94 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada), qui proposait de modifier le serment de citoyenneté.

Le 8 juin 2021, j’ai pris la parole dans cette enceinte en tant que marraine du projet de loi. J’ai reçu l’assurance que le guide d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada serait également modifié et que je recevrais une version préliminaire à examiner avant sa publication. En 2021, j’ai reçu et examiné une version préliminaire du ministre de l’époque, le ministre Mendicino, puis j’ai effectué un suivi auprès du ministre suivant, Sean Fraser, en 2023, sans obtenir de résolution.

Mon bureau a ensuite communiqué avec votre cabinet tous les mois pendant huit mois avant d’obtenir une rencontre en juin. J’ai de nouveau demandé une version préliminaire du guide, en répétant que j’avais reçu l’assurance que je la recevrais avant la version officielle. Je n’ai encore reçu aucune indication de la part de votre cabinet qu’elle me sera communiquée.

Est-ce que le ministre me fournira une version préliminaire, comme on me l’a promis? Compte tenu de votre réponse à la sénatrice Greenwood, je vous demanderai de communiquer la date à laquelle vous comptez répondre à cet appel à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada.

L’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté : Mon impression, sénatrice, était que l’on vous avait fourni une copie. Je vous en remettrai une volontiers après ma comparution. Absolument. Je peux l’imprimer moi-même.

La sénatrice Anderson : Le livret qui est donné aux immigrants est explicitement lié à l’appel à l’action no 93 de la Commission de vérité et réconciliation, et comme l’a déclaré l’Association des femmes autochtones du Canada :

Il ne suffit pas de modifier la Loi sur la citoyenneté. Pour que cette modification ait un effet notable dans notre communauté, le gouvernement doit s’engager à modifier le guide d’étude Découvrir le Canada — L’histoire du Canada. Dans sa forme actuelle, le guide d’étude ne reconnaît vraiment pas adéquatement l’histoire des peuples autochtones et les atrocités qu’ils continuent de subir, qui touchent particulièrement les femmes et les filles autochtones ainsi que les personnes ayant diverses identités de genre.

Puisque trois années se sont maintenant écoulées, pouvez-vous nous dire à quelle date vous donnerez suite à cet appel à l’action de la Commission de vérité et réconciliation?

M. Miller : Dans un esprit de divulgation complète et d’honnêteté, je me dois de vous répondre, même si vous n’aimerez pas cette réponse, que je ne peux pas vous fournir de date pour le moment.

Le processus d’acquisition

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Monsieur le ministre, dans des rapports publiés plus tôt cette année, la vérificatrice générale et l’ombudsman de l’approvisionnement ont tous deux enquêté sur des contrats douteux de plusieurs millions de dollars accordés par votre gouvernement à des initiés libéraux bien connectés dans la société d’experts-conseils McKinsey. Cela inclut deux contrats de votre ministère, pour une valeur totale de 27 millions de dollars. Cela fait maintenant 14 mois que vous êtes ministre de l’Immigration. Il est de votre responsabilité de prendre au sérieux les conclusions de ces rapports.

Monsieur le ministre, avez-vous lu les rapports et qu’avez-vous fait pour répondre à leurs recommandations?

L’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté : Madame la sénatrice, je prends ces rapports très au sérieux. Je pense que nous pouvons convenir que les consultants externes jouent parfois un rôle important, mais pas un rôle primordial. Les origines de cette situation sont liées — et nous n’avons probablement pas besoin de revenir là-dessus — aux coupes dans la fonction publique auxquelles a procédé Stephen Harper. Ce n’est pas nécessairement une raison pour laquelle nous en sommes là aujourd’hui, je le reconnais, mais cela a contribué au recours à des consultants externes.

Dans la mesure où ils sont démesurés et inutiles, j’en ai parlé à mon ministère. Les fonctionnaires sont tout à fait conscients de ces conclusions, et c’est une chose que nous examinons constamment afin de déterminer si nous avons réellement besoin de consultants externes pour accomplir des tâches que les gens à l’interne pourraient faire.

Je m’empresse d’ajouter que je n’ai jamais rencontré aucune de ces personnes dont on parle. Je tiens à ce que cela soit clair.

La sénatrice Martin : Vous êtes au pouvoir depuis neuf ans, alors je ne comprends pas pourquoi vous parlez de Stephen Harper.

Quoi qu’il en soit, votre ministère traite régulièrement les renseignements très personnels des gens. Pourtant, dans son rapport, la vérificatrice générale a constaté que cinq fournisseurs de McKinsey ont reçu l’autorisation d’accéder au réseau de votre ministère sans avoir obtenu une cote de sécurité valide.

Monsieur le ministre, pouvez-vous garantir aux Canadiens que cette pratique n’a pas cours actuellement dans votre ministère et que toutes les exigences en matière de sécurité sont respectées?

M. Miller : Je tiens à dire clairement, madame la sénatrice, que nous prenons ces allégations très au sérieux. Le ministère est très soucieux de veiller à ce que tous les protocoles de sécurité soient respectés par quiconque a accès à nos systèmes, le cas échéant.

La révocation de la citoyenneté

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le ministre, je vous félicite. Il vous a fallu 45 minutes pour rejeter la responsabilité de vos échecs sur le premier ministre Harper, ce qui est plus de temps que la plupart de vos collègues.

Le 31 juillet, la GRC a annoncé l’arrestation d’un père et de son fils qui prévoyaient commettre un attentat terroriste dans la région de Toronto au nom du groupe armé État islamique en Irak et en Syrie. Le père avait obtenu la citoyenneté canadienne en mai dernier, et ce n’était pas Stephen Harper qui la lui avait accordée. Deux semaines après ces arrestations, vous avez déclaré aux journalistes :

[…] Je vais aussi passer à l’étape suivante, qui est de commencer le travail préliminaire en s’appuyant sur la preuve en notre possession pour déterminer si la citoyenneté de la personne en question doit être révoquée.

Monsieur le ministre, où en est le travail en cours pour révoquer la citoyenneté de cette personne? Sa citoyenneté sera-t-elle révoquée, oui ou non?

L’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté : Merci, sénateur, et merci d’avoir souligné ma patience. Je soulignerais également que M. Harper a accordé la citoyenneté à un imam du nom d’Adil Charkaoui. C’est quelque chose qui s’est produit; vous pouvez le vérifier.

La réalité, sénateur — et vous le comprendrez —, c’est qu’il y a une enquête et des poursuites en cours. La chronologie des événements que vous citez est celle que j’ai donnée au comité. C’est tout ce dont je suis libre de discuter à l’heure actuelle. Je pense que nous devons faire preuve d’une grande prudence pour ne pas compromettre ou même tenter de compromettre la capacité de la poursuite à traduire l’affaire en question en justice de manière efficace.

Par ailleurs, je suis d’accord avec vous : les Canadiens ont droit à des réponses. Si nous trouvons effectivement des faits qui nous permettent d’appliquer l’article 10 de la Loi sur la citoyenneté, nous ne manquerons pas de le faire.

Le sénateur Plett : C’est tout ce que je demandais, un oui ou un non. Le gouvernement dont vous faites partie reconnaît que cet individu est membre du groupe État islamique. Vous le reconnaissez. Il a perpétré des attaques effroyables dans une vidéo de propagande du groupe État islamique qui date de 2015. Il n’aurait jamais dû être autorisé à mettre les pieds au Canada et encore moins se faire octroyer la citoyenneté canadienne.

Monsieur le ministre, comment se fait-il que cette personne ait été autorisée à entrer au pays et qu’elle ait obtenu la citoyenneté canadienne?

M. Miller : Nous examinons actuellement un certain nombre d’éléments à ce sujet. J’ai pris l’engagement devant le comité en question que mes services produiraient un rapport sur ce qui a pu se passer au ministère, y compris à l’Agence des services frontaliers du Canada. Ce rapport, dans la mesure où les renseignements pourront être divulgués publiquement, sera remis au comité. Nous serons heureux de répondre à des questions à ce sujet.

Je mets également en garde les sénateurs, dans la mesure où il est question de faits allégués qui n’ont pas fait l’objet de poursuites en justice à ce stade : à mon avis, la dernière chose qu’ils pourraient vouloir faire — justement pour la sécurité des Canadiens —, c’est de ne pas présumer que les allégations sont vraies ou fausses. Il s’agira plutôt de laisser les services des poursuites faire leur travail pour la sécurité des Canadiens.

[Français]

Le traitement des demandes d’asile

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Au-delà des propos regrettables du premier ministre du Québec sur le déplacement forcé des demandeurs d’asile, je m’interroge sur nos délais de traitement.

M. Legault a parlé de quatre mois en France, qui est quand même aussi un État de droit, comparativement à trois ans au Canada pour traiter des dossiers de demandeurs d’asile.

D’une part, ces chiffres sont-ils justes? D’autre part, de façon plus importante, pourquoi Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et l’administration fédérale ne peuvent-ils pas réduire ces très longs délais, afin que les demandeurs d’asile puissent être fixés sur leur sort plus rapidement?

L’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté : Madame la sénatrice, nous faisons face à des volumes qui sont sans précédent. Effectivement, la France a un système différent et est quand même un État de droit. Je ne pense pas qu’on envie les défis auxquels la France doit faire face.

(1650)

Je ne crois pas que nous aurons les mêmes réponses ni les mêmes approches aux défis que nous avons au Canada. Certes, le gouvernement fédéral a la responsabilité d’agir en réduisant les délais d’attente. J’ai parlé à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, qui est une institution indépendante, mais je ne peux pas influencer leur prise de décisions. C’est très important pour un État de droit comme le Canada. Sachez que nous avons pu obtenir des ressources financières dans le dernier budget pour faire en sorte que la commission elle-même puisse accélérer le pas. Nous entreprenons d’autres mesures. J’ai même proposé à la Chambre des communes des réformes au système de demande d’asile dans le dernier processus du budget, mais le Parti conservateur, le NPD et le Bloc québécois les ont bloquées. Il faudrait donc demander à ces partis pourquoi ils contribuent aux délais auxquels font face les demandeurs d’asile.

La sénatrice Miville-Dechêne : Toujours à propos des demandeurs d’asile, le Canada a reçu à ce jour seulement 300 Gazaouis demandeurs d’asile; or, vous aviez promis d’en faire venir 5 000. Les délais et les embûches sont tout aussi importants pour les Afghanes. Je sais qu’il y a eu une histoire positive récemment, mais en général, c’est très long.

Pourquoi y a-t-il de tels délais, qui peuvent être fatals à Gaza et en Afghanistan, alors qu’on a créé une voie rapide pour les Ukrainiens?

M. Miller : Sénatrice Miville-Dechêne, en tout respect, vous parlez de trois conflits très différents. Dans le cas de l’Ukraine, c’était un effort concerté avec plusieurs pays, car l’Ukraine laissait partir ses habitants. Dans le cas de la situation à Gaza, les sorties sont très difficiles et des pots-de-vin doivent être versés pour que les gens puissent aller en Égypte, pour passer à la sécurité d’abord. À Gaza, nous n’avons pas la possibilité de faire des empreintes digitales et de passer à la biométrie. Il y a beaucoup de défis en matière de sécurité et de triage. Je ne dirais pas que c’est un échec, mais il y a beaucoup de défis avec ce programme.

En ce qui a trait à l’Afghanistan, c’est très différent de la situation à Gaza, mais on a quand même accueilli 53 000 Afghans jusqu’à présent, donc je crois qu’il y a de quoi être fier.

[Traduction]

La Commission sur le travail des migrants

L’honorable Ratna Omidvar : Monsieur le ministre, je vous remercie de vous être joint à nous aujourd’hui.

Plus tôt cette année, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, que je préside, a déposé un rapport qui porte sur les bas salaires des travailleurs étrangers temporaires au Canada. Nous les avons vus à l’œuvre dans les Maritimes, et notre étude nous a amenés à formuler quelques recommandations importantes, que nous vous avons envoyées.

J’aimerais connaître votre réponse à notre principale recommandation, c’est-à-dire la création d’une commission sur le travail des migrants qui s’inspirerait de la Commission de l’assurance-emploi du Canada et qui serait composée de représentants des employeurs, du gouvernement et des travailleurs, afin qu’il y ait un système et une structure pour traiter leurs plaintes.

Quelle est votre réponse à cette proposition?

L’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté : D’abord et avant tout, je vous remercie pour votre travail dans ce dossier.

C’est un fait que les travailleurs migrants vivent une situation d’exploitation et qu’il existe une dynamique disproportionnée du pouvoir entre les employeurs et les employés. Il y a toujours une dynamique disproportionnée du pouvoir entre les employeurs et les employés, mais c’est particulièrement le cas des travailleurs migrants, qui ont des permis de travail fermés assortis de conditions qui, à certains égards, feraient honte à bien des Canadiens.

Je pense qu’en général, dans le secteur, beaucoup de personnes respectent les règles. Ce que je tiens à éviter, c’est de mettre indûment les bonnes entreprises canadiennes dans le même panier, mais je reconnais qu’il faut se pencher sur certains secteurs systémiques.

Madame la sénatrice, mon ministère se penche actuellement sur cette question, tout comme le ministère dirigé par Randy Boissonnault. Nous examinons diverses options afin qu’il y ait davantage d’inspections et de surveillance ainsi que de meilleurs résultats, en particulier pour un segment très vulnérable de la population.

Nous avons des divergences d’opinions concernant certaines parties du rapport du Sénat, mais nous croyons qu’il apporte une contribution utile à la discussion et à certaines des réformes qu’il faut mettre en œuvre dans un domaine qui est mûr pour une réforme.

Les permis de travail ouverts

L’honorable Ratna Omidvar : Merci, monsieur le ministre. Nous attendons avec impatience votre réponse, qui arrivera dans quelques semaines, je crois. J’espère que je ne serai pas à la retraite d’ici là. Si vous me le permettez, j’aimerais vous poser une autre question sur le même sujet.

Lorsque nous sommes allés à la rencontre d’employeurs et de travailleurs, nous avons entendu des plaintes de toutes parts. Le système ne semble fonctionner ni pour les travailleurs ni pour les employeurs, surtout en ce qui concerne les permis fermés. Ces derniers créent un contexte propice aux abus. En outre, ils empêchent les employeurs de déplacer leurs employés vers d’autres lieux de travail parce que ce type de permis les lie à un lieu fixe et dans une catégorie de salaire précise.

Comme solution, nous vous avons proposé la suppression progressive des permis de travail fermés au cours des trois prochaines années et d’accorder...

Son Honneur la Présidente intérimaire : Je m’excuse. Quelle est votre réponse, monsieur le ministre?

L’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté : Je pense avoir compris la question.

Madame la sénatrice, c’est une observation importante. Je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que faire la transition vers des permis de travail ouverts n’éliminerait pas nécessairement les abus. Toutefois, je conviens que les permis de travail fermés, dans certains cas, créent des conditions propices aux abus.

Il existe de nombreux moyens de mettre fin aux abus. Je ne sais pas si les permis de travail régionaux ou ouverts sont la solution, mais ils offrent une solution. Nous sommes tout à fait disposés à étudier la question, mais nous devons nous assurer de bien faire les choses. Je pense que c’est l’objectif ultime. Mon programme de permis de travail ouverts, qui aide les personnes victimes d’abus, est l’un des moyens d’y parvenir, mais il ne fonctionne pas avec une efficacité optimale.

[Français]

Le système d’immigration

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Monsieur le ministre, j’ai de sérieux doutes lorsque je vous entends dire que les Canadiens sont fiers de notre système d’immigration. L’immigration, comme votre gouvernement la pratique, a un coût fédéral, provincial et municipal, en plus du poids sur les services publics qui débordent. Combien votre programme va-t-il coûter au total? C’est impossible de le savoir. Il y aura des élections prochainement. Seriez-vous d’accord, avant les élections, pour que l’on tienne un audit national sur le prix global de vos décisions en matière d’immigration? Cela permettra aux Canadiens de vous juger plus justement sur votre programme, que vous prétendez qu’ils acceptent d’emblée.

L’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté : Quel est le programme dont il est question?

Le sénateur Dagenais : Le programme de l’immigration.

M. Miller : La totalité du programme?

Le sénateur Dagenais : Un chat peut y perdre ses chatons. Actuellement, on ne sait pas où l’on s’en va.

M. Miller : Je suis toujours ouvert à la vérification externe. Étant donné les vérifications que l’on subit, je crois que c’est suffisant, mais je ne suis pas juge de cela. Je n’ai pas peur de la critique. Je pense que, dans nos ministères, avec les données que vous pouvez consulter sur notre site Web, il y a beaucoup d’ouverture pour ce qui est de donner ces informations aux Canadiens. Ils pourront juger par eux-mêmes. Si les gens ont besoin de faire plus de vérifications, je suis ouvert à cela.

Le sénateur Dagenais : Vous ne serez peut-être pas d’accord avec ma prémisse, mais pouvez-vous nous expliquer pourquoi je ne pourrais pas croire que les décisions de M. Trudeau en matière d’immigration relèvent davantage de son idéologie personnelle, et ce, au détriment du bien-être et de la sécurité économique des Canadiens?

M. Miller : Oui, il y a des convictions personnelles quant à la valeur des immigrants et de l’immigration au Canada. Je ne pense pas que cela relève du dogme. Il y a des raisons pratiques, et c’est pourquoi j’ai été nommé ministre, soit pour faire des changements là où c’était nécessaire. Oui, il y a des défis au sein du système d’immigration du Canada, mais ce système fait encore la fierté de notre pays. N’eût été ces mesures, on n’aurait pas rajeuni le marché du travail autant que la Banque du Canada — un organisme indépendant — l’a souligné, et on a évité des récessions grâce à l’immigration. Y a-t-il des distorsions qui ont été créées? Certes.

La responsabilité est partagée, mais on a notre part de responsabilité. On a la responsabilité de faire en sorte qu’on agisse —

Son Honneur la Présidente intérimaire : Merci, monsieur le ministre.

[Traduction]

Les étudiants étrangers

L’honorable Marty Klyne : Je vous remercie d’être parmi nous aujourd’hui, monsieur le ministre. Ma question portera sur les étudiants étrangers de fort calibre qui souhaitent venir étudier au Canada. Le Canada a besoin d’attirer les esprits les plus brillants, les plus créatifs et les plus novateurs pour qu’ils viennent étudier ici et, idéalement, s’installent ensuite au Canada, où leurs connaissances et leurs compétences pourront profiter à des secteurs ou à des industries qui ont du mal à recruter des diplômés hautement qualifiés.

Imaginons, pour le moment, un scénario dans lequel une université canadienne peut accepter plus d’étudiants en sciences, en technologie, en génie et en mathématiques, qu’il y a des résidences disponibles sur le campus, et qu’il est possible de faire des stages dans des secteurs en plein essor qui se butent à une pénurie de talents dans les domaines que j’ai mentionnés. Dans un tel scénario où il y aurait de la place pour de nouveaux talents, le gouvernement fédéral serait-il ouvert à l’idée qu’une université canadienne présente de solides arguments en faveur de l’inscription d’étudiants étrangers, dans un contexte où des industries œuvrant en technologie, en santé et en finance, par exemple, ont besoin de talents formés en sciences, en technologie, en génie et en mathématiques?

(1700)

L’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté : Je ne vois pas ce qui pourrait empêcher cela, sénateur. J’ai dit essentiellement la même chose à des personnes que j’ai rencontré aujourd’hui, à savoir que je ne suis pas là pour faire obstacle aux grandes idées, que celles-ci soient proposées par les universités, les établissements d’enseignement supérieur ou qu’elles répondent aux besoins du marché du travail. De prime abord, je n’y vois rien de mal. Je pourrais me rallier à cette idée.

Le défi est celui de la compétence. Il faut faire en sorte que les provinces assument leurs responsabilités. Je leur ai dit et je vous dirai qu’en l’absence d’une responsabilité fédérale particulière — et j’ai mentionné la responsabilité d’assurer la vitalité des communautés francophones hors Québec —, elles doivent convaincre leur représentant provincial de venir me voir et de me convaincre. Ce serait plutôt facile de le faire, mais il n’y a eu aucun mouvement de la part des provinces, sauf pour un petit groupe dans des domaines bien particuliers. Je ne m’y opposerai pas. Je suis le ministre de l’Immigration. Je ne suis pas ministre de l’Éducation, ni démographe ni docteur en économie. Toutefois, il est possible de bien faire les choses si nous travaillons en coopération.

Malgré l’aspect public de la question, qui dérape parfois dans les médias, j’entretiens d’excellentes relations avec mes homologues provinciaux, et notre tâche consiste à faire avancer les choses pour les Canadiens.

Le sénateur Klyne : Nous pourrions peut-être apporter des précisions à ce sujet. L’Université de Regina a un programme coopératif. Il reste des postes d’interne vacants sur le campus et on peut augmenter le nombre d’inscriptions dans les domaines des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques. Le gouvernement fédéral serait-il prêt à travailler avec la province ou directement avec l’université si un secteur avait besoin de recruter des candidats dans les domaines des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques, ou s’il souhaitait renforcer ses capacités en recrutant des gens dans ces domaines?

M. Miller : Les universités devraient vraiment travailler avec la province et nous présenter leurs arguments, mais surtout, elles devraient s’adresser aux gens brillants qui viendront ici. Sans parler directement de cette institution, j’ai dit à maintes reprises que les pratiques de recrutement doivent changer. Elles doivent certainement changer si nous voulons attirer la crème de la crème dans le cadre d’un programme de visas administré par le gouvernement du Canada. Je suis tout à fait d’accord, mais nous devrions tous conjuguer nos efforts pour que cela se concrétise.

[Français]

L’arriéré de traitement

L’honorable Claude Carignan : Monsieur le ministre, je vais parler des délais concernant les demandes d’attribution de la citoyenneté.

Vous vous êtes fixé une norme de service de traiter ces demandes dans un délai de 12 mois. Votre objectif est de respecter cette norme dans le cadre d’au moins 80 % des demandes soumises. C’est un engagement que les libéraux ont pris en novembre 2015, à leur arrivée au pouvoir. Or, vos propres chiffres indiquent que seulement 36 % des demandes étaient traitées dans le respect de la norme en 2022-2023. Monsieur le ministre, un étudiant qui obtient 36 % échoue son année; un employé qui n’atteint que 36 % de ses objectifs, on le congédie. Êtes-vous fier de ce résultat?

L’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté : En ce qui a trait aux délais — vous n’avez pas nécessairement à me croire sur parole —, le vérificateur général a dit sans équivoque qu’il y avait eu beaucoup d’améliorations au cours des dernières années. On peut toujours faire mieux. Je sais que pour les gens qui attendent leur citoyenneté canadienne, ce n’est pas quelque chose qu’ils prennent à la légère et c’est important pour moi de m’assurer que notre ministère respecte les délais que nous nous sommes fixés.

Le sénateur Carignan : Merci. Quels sont les gestes concrets que vous avez posés pour atteindre ces objectifs? Allez-vous congédier les fonctionnaires qui n’atteignent pas 50 %, ou leur avez-vous donné des bonis? Quels sont les gestes concrets que vous avez posés?

M. Miller : En tant que ministre, j’ai un rôle très important envers les Canadiens. Au sein de mon ministère, c’est mon sous‑ministre qui a la responsabilité très importante de la gestion du personnel. Il ne peut pas décider de congédier tout le monde — cela relève du dramatique, et non de l’ordre du professionnel. Quand je suis déçu de quelque chose, je le communique directement à mon sous-ministre et il en prend acte.

[Traduction]

La Loi sur la citoyenneté

L’honorable David M. Arnot : Monsieur le ministre Miller, le projet de loi C-71 répond bien aux lacunes touchant les « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté », mais pas à celles des Canadiens nés à l’étranger et adoptés par des parents canadiens. Ces enfants adoptés ne peuvent pas transmettre leur citoyenneté s’ils vivent et fondent une famille à l’étranger. Cette règle d’exclusion de la première génération, qui ne touche aucun autre Canadien, n’est pas corrigée par le critère de liens substantiels de 1 095 jours qui est proposé.

L’adoption fait partie d’un processus judiciaire qui exige un lien substantiel. Même en présence d’un tel lien, l’exclusion signifie que ces Canadiens adoptés sont des « citoyens de deuxième ordre », ce qui constitue une violation fondamentale de leurs droits en matière de citoyenneté.

Monsieur le ministre Miller, allez-vous envisager d’apporter une modification simple, claire et cohérente pour remédier à l’iniquité de cette loi?

L’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté : Sénateur Arnot, je vous remercie d’avoir pris le temps de me rencontrer aujourd’hui pour me présenter votre amendement. Nous pourrions l’envisager. Nous voulons que ce projet de loi soit adopté le plus rapidement possible. Un certain nombre de Canadiens vulnérables ont été privés de leur citoyenneté par Stephen Harper. Nous devons y remédier. C’est une question de justice fondamentale. Pour l’une des rares fois dans l’histoire, la loi que j’applique sera conforme à la Charte, et je pense donc que c’est très important.

En ce qui concerne votre amendement, nous sommes heureux de l’examiner et de travailler avec les équipes que vous représentez pour veiller à ce que les personnes que vous représentez soient traitées équitablement.

[Français]

Les demandeurs d’asile

L’honorable Clément Gignac : Bienvenue, monsieur le ministre, et merci pour votre service public. Je tiens également à vous féliciter pour votre geste d’humilité, quand vous avez reconnu qu’on aurait peut-être pu mieux faire, ainsi que pour avoir écouté les économistes, parce qu’ils ont fait des suggestions pour que le gouvernement tienne compte de la capacité d’accueil à l’avenir.

Ma question concerne les demandeurs d’asile et la suggestion du Québec de s’inspirer du nouveau Pacte sur l’immigration et l’asile adopté par l’Union européenne, afin d’aider les pays européens qui subissent une pression. Les autres États membres doivent participer à une relocalisation des demandeurs d’asile ou participer financièrement. Est-ce qu’une telle approche mériterait d’être envisagée au Canada?

L’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté : Dans une fédération comme le Canada, où la responsabilité de l’immigration est partagée, on pourrait s’attendre à ce que toutes les provinces agissent de bonne foi et de façon responsable. En théorie, cela devrait fonctionner mieux que dans l’Union européenne, surtout avec les frontières que nous avons et à cause de notre Constitution, qui gère nos relations avec les provinces.

Cependant, force est de constater que récemment, certaines provinces ne font pas leur juste part en ce qui concerne les demandeurs d’asile. Le gouvernement fédéral doit donc agir. Ce n’est pas une question de traiter les gens comme du bétail ou de procéder à des déplacements forcés. Il n’est pas non plus question d’adopter des solutions qui ne sont pas faites sur mesure pour le Canada et de s’inspirer de pays qui ont des défis différents du Canada, que ce soit la France, l’Allemagne ou un autre pays.

Il y a toujours lieu d’améliorer le système d’hôtels qu’on a mis en place, qui coûte très cher. On a déplacé beaucoup de gens du Québec dans la foulée du chemin Roxham. Le processus d’intégration ne se fait pas aussi bien que si une province agissait dans son champ de compétence pour s’assurer que les demandeurs d’asile sont traités humainement, avec les ressources que les provinces peuvent fournir.

Le sénateur Gignac : Afin de dépolitiser la question de l’immigration, il est attendu que nos immigrants contribuent à long terme à la création de la richesse, on est tous d’accord là-dessus, mais à court terme, tout cela crée des enjeux. Que penseriez-vous de créer un comité d’experts composé de démographes, de sociologues et d’économistes pour vous conseiller sur l’établissement des cibles?

M. Miller : Absolument, je ne suis pas du tout contre. J’ai beaucoup d’information, d’idées et de contributions — que je valorise — qui m’ont été données par des gens qui ne font pas partie du gouvernement. Je ne serais pas contre. J’aimerais d’abord obtenir un certain succès avec le programme de répartition qu’on a mis en place avant de le faire. Cependant, d’emblée, cela me semble une bonne idée. Nous le faisons actuellement de manière informelle. Je serais d’accord pour rendre le processus plus formel, avec la participation des provinces et leur engagement à participer de bonne foi. Je serais d’accord, mais nous avons besoin de la bonne foi des provinces.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, le temps alloué pour la période des questions est écoulé.

Je suis certaine que vous vous joindrez à moi pour remercier le ministre Miller de s’être joint à nous aujourd’hui. Merci, monsieur le ministre.

Nous reprenons maintenant les délibérations interrompues au début de la période des questions.


[Traduction]

ORDRE DU JOUR

Projet de loi sur l’assurance médicaments

Troisième lecture—Ajournement du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Pate, appuyée par l’honorable sénatrice Moodie, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-64, Loi concernant l’assurance médicaments.

L’honorable Flordeliz (Gigi) Osler : Honorables sénateurs, à l’épisode précédent du discours de la sénatrice Osler sur le projet de loi C-64, j’ai mentionné que je donnerais un bref historique de l’assurance-médicaments, que j’exprimerais mes préoccupations concernant le projet de loi et que je présenterais mes espoirs pour l’avenir de l’assurance-médicaments.

(1710)

Le projet de loi C-64 est considéré comme le texte législatif le plus important en matière de politique de santé depuis la loi canadienne sur la santé de 1984, qui a inscrit dans la loi les principes fondamentaux du système de santé publique du Canada, à savoir qu’il doit être administré par l’État, complet, universel, transférable et accessible à tous.

Le Canada reste le seul pays au monde à offrir des soins de santé universels sans assurance-médicaments. Le projet de loi C-64 vise à apporter la pièce manquante, à savoir la couverture universelle des médicaments sur ordonnance, et propose les principes fondamentaux de la première phase de l’assurance-médicaments universelle au Canada.

Il décrit l’intention du gouvernement du Canada de collaborer avec les provinces et les territoires afin de fournir une couverture universelle à payeur unique pour certains médicaments contre le diabète et certains moyens de contraception.

Le ministre Holland a reconnu que le gouvernement abordait l’assurance-médicaments par étapes et qu’il n’y avait « pas de consensus universel sur l’orientation à donner à un programme national d’assurance-médicaments ».

Malgré ces intentions, le projet de loi C-64 a suscité des inquiétudes. Dans l’édition du 12 août 2024 du Journal de l’Association médicale canadienne, Steven Morgan, principal expert canadien des systèmes d’assurance-médicaments, a écrit :

Cette loi vise à offrir une couverture immédiate pour des médicaments sur ordonnance et des produits connexes destinés à la contraception ou au traitement du diabète, mais n’en assure pas une couverture publique et universelle. Tel qu’il est libellé, le projet de loi C-64 ne fera que colmater les brèches d’une mosaïque qui regroupe actuellement plus de 100 régimes d’assurance médicaments publics et des milliers de régimes privés au Canada, en légiférant sur un modèle d’assurance médicaments national rejeté en 2019 par le Conseil consultatif sur la mise en œuvre d’un régime national d’assurance médicaments par le gouvernement, et par 4 sondages nationaux antérieurs. Un tel régime d’assurance médicaments bricolé à la pièce ne donnera pas au Canada la capacité institutionnelle requise pour fournir un accès universel, juste et efficient à des médicaments adéquatement prescrits, à prix abordable et financés équitablement en tenant compte des puissants acteurs au dossier et des enjeux croissants concernant l’adéquation et la transparence de la tarification des produits pharmaceutiques.

Il conclut l’article avec ce qui suit :

Sans amendements, le projet de loi C-64 créera un système qui fonctionnera à la pièce, alourdi et ralenti par une complexité indue, un pouvoir d’achat fragmenté, un financement inéquitable et des prises de décision potentiellement contradictoires en matière de couverture.

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a entrepris son étude du projet de loi C-67 le 18 septembre 2024 et il a reçu le ministre Holland. Lorsque la sénatrice Moodie lui a demandé pourquoi le Sénat ne devrait pas amender le projet de loi, le ministre Holland a répondu ceci :

Je respecte infiniment votre chambre, et vous avez un rôle très important à jouer dans l’examen des projets de loi et la proposition d’amendements. C’est un peu différent avec ce texte, car son équilibre est millimétré. Il s’agit, de loin — et j’ai pris part à quantité de tâches complexes — de la tâche la plus difficile à laquelle j’ai jamais participé. Chaque syllabe et chaque mot de ce projet de loi ont été débattus et discutés. C’est le résultat d’une très importante collaboration. Ce n’est pas un parti, mais deux, aux points de vue très différents, qui ont réussi à trouver un terrain d’entente.

Je reconnais volontiers que le texte est imparfait, mais en l’occurrence, nous devons faire très attention à ne pas laisser le mieux être l’ennemi du bien. Nous n’avons pas beaucoup de temps. En réalité, ses détracteurs reprocheront au projet de loi de n’être qu’élucubrations. Par conséquent, si nous passons beaucoup de temps à reformuler pour essayer d’arriver à un texte parfait, les Canadiens auront l’impression que le reproche selon lequel ce ne sont qu’élucubrations est fondé parce qu’ils n’obtiendront pas de médicaments et ne verront pas d’amélioration à leur vie.

Selon le dictionnaire, « reformuler » signifie formuler de nouveau, autrement. Chers collègues, certains mots et termes utilisés dans le projet de loi C-64 ne sont pas définis, ce qui a suscité des inquiétudes quant à leur ambiguïté de la part de nombreux intervenants, notamment des personnes atteintes de diabète, des défenseurs de l’assurance-médicaments, des universitaires, des assureurs, des groupes d’affaires et des employeurs. Par exemple, plusieurs termes comme « payeur unique » et « premier dollar » figurent partout dans le projet de loi, mais ils ne sont pas définis.

Médecins canadiens pour le régime public est une organisation nationale, non partisane et fondée sur des données probantes, dont les membres se consacrent au renforcement et à la préservation du système de santé public du Canada. Dans le mémoire qu’ils ont présenté au Comité des affaires sociales, ils ont exprimé les préoccupations suivantes :

Premièrement, « [le] projet de loi C-64 ne s’engage pas explicitement à mettre en place le régime d’assurance-médicaments universel, public et à payeur unique recommandé dans le [...] » rapport Hoskins.

Deuxièmement, il y a un manque d’exhaustivité :

[L]e projet de loi C-64 n’engage pas le gouvernement fédéral à étendre la couverture au-delà des produits pour le diabète et la contraception. Il se contente de poursuivre la mise en œuvre d’un formulaire national et d’un régime national universel d’assurance-médicaments.

Troisièmement, le projet de loi ne définit pas le terme « universel », même si on peut supposer que l’intention est d’« imiter le critère de la Loi canadienne sur la santé ».

Quatrièmement, les membres de Médecins canadiens pour le régime public ont des préoccupations au sujet du financement public et de l’administration :

[L]e projet de loi C-64 ne s’engage pas explicitement à mettre en place un régime d’assurance-médicaments élargi qui est entièrement financé par l’État, avec une couverture au premier dollar, et qui est universel pour tous les médicaments essentiels.

Cinquièmement, il y a un manque de reddition de comptes :

[L]e projet de loi C-64 n’engage le ministre qu’à « prendre en compte » la Loi canadienne sur la santé, et non à respecter les cinq principes qui y sont inscrits.

Enfin, il y a un risque de conflit d’intérêts :

[L]e projet de loi C-64 n’interdit pas aux personnes ayant des conflits d’intérêts financiers d’être nommées au comité d’experts qui formulera des recommandations sur les options de fonctionnement et de financement de l’assurance-médicaments.

Malgré leurs préoccupations au sujet du projet de loi C-64, les membres de Médecins canadiens pour le régime public ont exhorté le Sénat à adopter le projet de loi, car ils souhaitent ardemment qu’un régime national d’assurance-médicaments soit enfin mis en place.

Passons maintenant aux préoccupations concernant l’Agence des médicaments du Canada.

Le 18 décembre 2023, le gouvernement du Canada a annoncé que l’Agence des médicaments du Canada serait créée à partir de l’actuelle Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé, en collaboration avec les provinces et les territoires.

Le gouvernement a annoncé un investissement de 89,5 millions de dollars sur cinq ans pour mettre en place l’Agence des médicaments du Canada. Le travail de cette agence consistera à améliorer la prescription et l’utilisation appropriées des médicaments, à accroître la collecte de données pancanadiennes, à élargir l’accès aux données sur les médicaments et les traitements, et à réduire les dédoublements et le manque de coordination qui entraînent des inefficacités et des pressions coûteuses dans les régimes de médicaments.

Cependant, le projet de loi C-64 ne codifie pas l’Agence des médicaments du Canada dans la loi et ne définit pas ses pouvoirs, ses fonctions, ni ses structures de gouvernance. Tout cela pourrait la rendre vulnérable à l’ingérence, diminuer ses pouvoirs et la rendre potentiellement révocable.

Je cite encore une fois M. Steve Morgan :

Le projet de loi C-64 fait référence à l’Agence des médicaments du Canada [...] dont la création avait été recommandée par le Conseil consultatif du gouvernement comme agence indépendante capable de créer et de maintenir la liste des médicaments couverts par le régime d’assurance médicaments national, y compris les négociations tarifaires avec les fabricants et les contrats d’approvisionnement pour les médicaments couverts. Le projet de loi stipule que le ministre fédéral de la Santé consultera l’Agence au sujet de plusieurs aspects de la couverture des médicaments, de leur prescription appropriée et de l’« achat en vrac » (autre terme non défini). Toutefois, le projet de loi C-64 n’inscrit pas dans la loi le rôle de l’Agence et ne décrit ni ses pouvoirs, ni son rôle, ni ses structures de gouvernance, ce qui représente une occasion manquée de dépolitiser la mise en œuvre et la gestion d’un régime d’assurance médicaments national. Sans cela, lorsque le projet de loi C-64 sera promulgué par le Parlement, le cas échéant, l’étendue des pouvoirs et l’existence même de l’Agence pourraient facilement être modifiées ou neutralisées par un gouvernement sans une réforme de la loi. Comme l’expérience récente l’a démontré, au Canada, même un organisme établi par la loi — comme le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés — n’est pas à l’abri d’une ingérence de la part du gouvernement et d’autres parties prenantes. Il est donc impératif que l’on veille à ce que les pouvoirs de l’Agence soient clairement inscrits dans la loi, que les modes de communication et de consultation avec les gouvernements et les autres parties prenantes soient définis et que l’inamovibilité soit accordée à la direction de l’Agence pour que celle-ci soit en mesure de rendre des comptes à la population et qu’elle soit protégée de toute ingérence indue.

(1720)

Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-64 n’inscrit pas l’Agence des médicaments du Canada dans la loi. Des préoccupations ont aussi été exprimées au sujet du comité d’experts qui serait constitué en vertu du projet de loi C-64.

Selon le projet de loi, le ministre fédéral de la Santé doit constituer un comité d’experts et en prévoir la composition, ce comité étant « chargé de formuler des recommandations sur les options de fonctionnement et de financement d’un régime d’assurance médicaments national et universel à payeur unique ».

Au Comité des affaires sociales, quand la sénatrice Cordy a posé une question à propos de la composition du comité d’experts, le ministre Holland a répondu ceci :

En ce qui concerne le comité d’experts, ses membres seront, comme vous le savez, nommés conjointement par deux partis politiques — qui proposeront tous deux des noms. Ils devront aussi s’entendre sur le choix du président. J’entends bien faire en sorte qu’il n’y ait pas l’ombre de conflits d’intérêts au comité d’experts. Il est essentiel que nos concitoyens le voient comme un groupe d’experts dont la seule et unique préoccupation est de faire en sorte que nous ayons des médicaments pour la population de la manière la plus efficace qui soit et dans l’intérêt des Canadiens.

Nous avons eu de très bonnes conversations à ce sujet avec le NPD, qui, dans ce cas, sera le parti avec lequel nous sélectionnerons les membres de ce comité. Par conséquent, je ne pense pas qu’il y ait de problème de conflit d’intérêts. Ce n’est pas ce que nous cherchons.

Pourtant, dans son mémoire, le Congrès du travail du Canada :

[...] demande au gouvernement de faire preuve de diligence raisonnable lorsqu’il choisit les membres du comité d’experts, en veillant à ce qu’il n’y ait pas de conflit d’intérêts susceptible d’influencer ou d’orienter son travail quand vient le temps de formuler des recommandations d’intérêt public concernant les options pour l’exploitation et le financement d’un régime national d’assurance-médicaments universel à payeur unique. Les travaux du comité d’experts sont trop importants. La pratique courante consistant à signer des formulaires de divulgation des conflits ne constitue pas une garantie suffisante.

Maintenant, avant de passer aux préoccupations concernant la gestion du régime national d’assurance-médicaments, je décrirai brièvement la mise en place récente d’un autre régime d’assurance financé par le gouvernement fédéral.

Comme vous le savez, les provinces et les territoires administrent et fournissent la plupart des services de santé au Canada, dans le cadre de ce qui est communément appelé « l’assurance-maladie ». L’assurance-maladie ne couvre pas les médicaments sur ordonnance. De même, l’assurance-maladie ne couvre pas les soins dentaires, à l’exception des interventions chirurgicales dentaires nécessaires sur le plan médical ou dentaire qui sont effectuées par un dentiste dans un hôpital.

Le nouveau Régime canadien de soins dentaires est un programme d’assurance dentaire progressif financé par le gouvernement fédéral pour fournir des services de dentisterie aux Canadiens non assurés qui répondent à certains critères. L’admissibilité des personnes est évaluée par Service Canada, et le régime de soins dentaires est administré par la Financière Sun Life en vertu d’un contrat de 747 millions de dollars qu’elle a signé avec le gouvernement fédéral en décembre 2023.

Dans ce contexte, revenons au régime national d’assurance-médicaments. Au comité, on a demandé directement au ministre Holland si le régime national d’assurance-médicaments serait administré par l’État. Le ministre a répondu : « Je dois dire que je suis assez ambivalent. »

Par la suite, dans une lettre datée du 27 septembre 2024, le ministre a clarifié ses intentions concernant l’assurance-médicaments, en précisant que :

[...] le coût de ces médicaments sera pris en charge et administré par le régime public, plutôt que par une combinaison de payeurs publics et privés.

L’administration publique du régime national d’assurance-médicaments permettrait de réaliser des économies et favoriserait la viabilité à long terme du programme.

Chers collègues, je sais que vous êtes conscients des appels à adopter le projet de loi C-64 sans amendement, tout comme je sais que nous sommes conscients de notre devoir, en tant que sénateurs, d’examiner attentivement les lois proposées par la Chambre des communes afin d’éviter que le Parlement n’adopte des mesures législatives précipitées ou irréfléchies, pour paraphraser Sir John A. Macdonald.

Lors de la réunion du Comité des affaires sociales consacrée à l’étude article par article, j’ai proposé un amendement qui, en fin de compte, a été rejeté. L’amendement consistait à ajouter les mots « administré par l’État » au paragraphe 6(1). J’ai proposé cet amendement parce que le projet de loi C-64 est ambigu quant à la façon dont le programme national d’assurance-médicaments sera administré. L’intention était d’inscrire dans la loi les mots que le ministre a employés dans sa lettre de clarification, à savoir que le régime national d’assurance-médicaments sera administré par l’État.

J’aimerais souligner que, dans la Loi canadienne sur la santé, le terme « gestion publique » suppose que « le régime provincial d’assurance-santé soit géré sans but lucratif par une autorité publique » responsable devant le gouvernement provincial.

Le 1er octobre 2024, le comité a reçu une lettre des professeurs Matthew Herder, Sheila Wildeman, Constance MacIntosh et Jocelyn Downie, qui sont membres du de l’Institut de la justice en matière de santé, de la Faculté de droit Schulich, à l’Université Dalhousie. Ces professeurs de droit ont examiné l’effet éventuel de la lettre du ministre sur l’interprétation du projet de loi C-64. Voici un extrait de leur lettre :

En théorie, la lettre du ministre Holland pourrait être acceptée, lorsqu’elle est associée à l’historique législatif complet du projet de loi C-64, comme preuve de l’intention du Parlement de garantir que l’assurance-médicaments soit administrée par le secteur public. Cependant, on n’arriverait à ce point que si une province ou une partie ayant qualité pour agir décidait d’investir de l’argent et du temps dans un litige portant sur une interprétation contraire, et si la lettre était présentée comme élément de preuve. Le point fondamental est qu’il est préférable d’amender le projet de loi C-64 pour inclure un engagement explicite selon lequel l’assurance-médicaments doit être administrée par le secteur public que de le laisser ouvert à l’interprétation et certainement de permettre l’adoption et la promotion d’une interprétation contraire aux intentions du ministre, à moins et jusqu’à ce que l’affaire soit portée devant un tribunal.

En amendant le projet de loi, le Sénat jouerait aussi son rôle légitime de protection des intérêts des Canadiens. Il veillerait à ce que la position présentée par le ministre Holland soit respectée, plutôt que de faire peser ce fardeau sur le dos des Canadiens.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-64 ne contient aucun engagement explicite en matière d’administration publique.

En terminant, permettez-moi de vous faire part de mes espoirs pour l’avenir. J’espère surtout que, une fois que le projet de loi C-64 sera adopté, tous les Canadiens, en particulier les personnes et les populations les plus vulnérables, recevront les médicaments sur ordonnance dont ils ont besoin sans se heurter à des obstacles ou des difficultés inutiles. Par exemple, dans son mémoire, l’Association nationale autochtone du diabète a souligné ce qui suit :

L’accès à plusieurs médicaments contre le diabète et [aux] contraceptifs est urgent pour certains peuples autochtones les plus vulnérables, notamment les Premières Nations non-inscrites et les Métis, qui sont actuellement exclus du programme des [Services de santé non assurés].

Enfin, je conclurai avec un extrait du rapport Hoskins de 2019 :

[...] au cœur de toute décision concernant le régime d’assurance-médicaments, il y a des gens, des résidents de ce pays, qui méritent d’être traités équitablement et d’avoir un accès égal aux meilleurs soins que nous pouvons offrir.

J’appuie sans réserve cette déclaration. Chers collègues, merci de votre attention. Meegwetch.

L’honorable Rosemary Moodie : Honorables sénateurs, je prends la parole pour formuler quelques dernières réflexions sur le projet de loi C-64. Je tiens à remercier mes collègues des observations qu’ils ont formulées jusqu’à maintenant ainsi que la marraine du projet de loi, la sénatrice Pate, de son travail consciencieux et dévoué pour piloter cette mesure législative complexe au Sénat.

Je remercie également mes collègues du Comité des affaires sociales de l’excellente étude qu’ils ont faite du projet de loi. Je salue les nombreux témoins qui ont comparu devant le comité et les nombreux Canadiens qui ont exprimé leurs réflexions et leurs préoccupations par d’autres moyens.

J’appuierai le projet de loi et je vous exhorte tous à faire de même.

Ce projet de loi a reçu beaucoup d’attention parce qu’il commence à répondre à un besoin urgent et qu’il suscite un sentiment d’espoir chez de nombreux Canadiens. Ils imaginent un monde où ils auraient accès aux médicaments vitaux dont ils ont besoin de la même manière qu’ils ont accès à d’autres services médicaux qui sauvent des vies, et ils sont impatients que cet espoir devienne réalité.

(1730)

Je ressens la même impatience. Après tout, le Canada est le seul pays de l’OCDE doté d’un système de santé universel qui n’offre pas de couverture universelle pour les médicaments sur ordonnance. Je crois fermement que nous devons aspirer à un régime universel, public et à payeur unique, souvent appelé le modèle Hoskins. Dans ce modèle, le gouvernement couvre le coût des médicaments sur ordonnance dès le premier dollar dépensé pour tous les Canadiens, sans que ces derniers aient à débourser un sou, à payer de franchise ou à se demander s’ils sont couverts ou non.

Conformément aux valeurs de notre régime public d’assurance-maladie, ce système offrirait l’accès à des traitements complets fondés sur des données probantes à tous les Canadiens, peu importe leur identité, leur lieu de résidence, leur revenu ou leur situation d’emploi.

Avec un tel régime d’assurance-médicaments, les Canadiens n’auraient pas à choisir entre payer leur loyer, faire l’épicerie ou se procurer les médicaments dont ils ont besoin. Des parents n’auraient pas à se priver de manger pour que leurs enfants puissent prendre des médicaments essentiels. Des femmes ne seraient pas obligées de rester avec un conjoint violent pour conserver un régime d’assurance pour elles-mêmes ou pour leurs enfants.

Le projet de loi C-64 crée-t-il un tel système? En bref, la réponse est non. Il ne correspond pas à tout ce que moi et de nombreux Canadiens souhaitons qu’il soit. Cependant, je crois fermement qu’il s’agit d’une première étape cruciale. Permettez-moi d’expliquer pourquoi.

Le régime universel d’assurance-médicaments aurait dû advenir il y a bien longtemps et il est d’une nécessité vitale. Par conséquent, toute étape vers la prestation d’un programme d’assurance-médicaments est une étape importante. Le statu quo abandonne trop de Canadiens à leur sort, ce qui les oblige à prendre des décisions difficiles qui mettent leur santé et leur vie en péril. Aujourd’hui, des millions de Canadiens ont une assurance qui ne couvre pas adéquatement les médicaments sur ordonnance ou n’ont pas d’assurance-médicaments du tout. Pour les personnes atteintes d’affections chroniques, comme le diabète, le prix de l’insuline et d’autres traitements vitaux peut contraindre à faire des choix terribles.

Lors des témoignages au comité, nous avons entendu plusieurs témoins parler de Canadiens qui étaient contraints de choisir entre payer leurs médicaments et subvenir à leurs besoins fondamentaux. Le Congrès du travail du Canada nous a dit que 1 million de Canadiens souscrivent des emprunts pour payer leurs médicaments. Le projet de loi C-64 vise les médicaments destinés au traitement du diabète ou à la contraception ainsi que les produits connexes. Il ne fait aucun doute que de nombreuses personnes souhaiteraient que sa portée soit plus large. Moi-même, je le souhaiterais. Cependant, en prévoyant la couverture de ces deux catégories de médicaments, nous changeons considérablement la donne au quotidien pour des millions de Canadiens et leur famille.

Pour le diabète, le coût physique de la non-observance du traitement médicamenteux prescrit est lourd. Au comité, des experts ont signalé que 40 % des crises cardiaques au Canada viennent du diabète, tout comme 30 % des AVC, les accidents vasculaires cérébraux. Ces chiffres sont choquants. Les experts ont parlé du risque de cécité, d’insuffisance rénale ou d’amputation, des complications qui pourraient être considérablement réduites ou évitées grâce à un établi aux médicaments indiqués à un stade précoce de la maladie.

En ce qui concerne la contraception, des témoins ont fait remarquer que, chaque année, 40 % des grossesses sont non planifiées. On nous a dit que les personnes qui vivent dans la pauvreté, qui n’ont pas d’emploi à plein temps ou qui dépendent de l’aide sociale sont davantage susceptibles de ne pas avoir accès à des moyens de contraception ou à d’autres outils de planification des naissances, et que leurs enfants risquent davantage de vivre dans la pauvreté et d’avoir des problèmes de développement.

Chers collègues, le statu quo ne fonctionne pas. Ce changement se fait attendre depuis longtemps. Voilà pourquoi j’ai accepté une approche étape par étape: parce qu’avancer ne serait-ce que d’un pas dans la bonne direction vaut mieux que faire du surplace tandis que les Canadiens souffrent.

Les militants et les Canadiens réclament l’adoption de ce projet de loi sous sa forme actuelle et sans plus tarder. Nous avons entendu l’opinion des syndicats, des groupes de revendication et des Canadiens ordinaires, non seulement dans les témoignages devant le comité, mais également par la voie de lettres et de courriels. D’ailleurs, je suis convaincue que beaucoup d’entre vous ont reçu de telles communications.

Il ne s’agit pas simplement d’un débat sur une politique abstraite. Ce projet de loi est une réponse aux réalités que vivent les millions de Canadiens qui comptent sur nous pour intervenir. Cela ne veut pas dire que l’adoption du projet de loi C-64 marque l’étape finale. Nous ne devons pas nous arrêter là. Nous avons encore du pain sur la planche. Nous devons poursuivre nos efforts en vue d’atteindre l’objectif ultime, soit un régime public et universel à payeur unique, mais la route sera longue pour y parvenir.

Fait crucial, le projet de loi prend les devants sur quelques-unes des étapes suivantes. Il demande à l’Agence des médicaments du Canada d’élaborer, au plus tard un an après la sanction royale, une liste de médicaments sur ordonnance et de produits connexes essentiels. Ce sera une étape vitale de la création de la liste nationale de médicaments, une liste exhaustive, établie à partir de données probantes, des médicaments sur ordonnance et des produits connexes auxquels les Canadiens auront accès par l’intermédiaire d’un régime national universel d’assurance-médicaments.

Chers collègues, il faudra une implication importante des provinces, des territoires, des communautés autochtones, des fabricants de médicaments et des patients.

Le projet de loi C-64 demande également à l’Agence des médicaments du Canada d’élaborer une stratégie nationale d’achat en gros de médicaments sur ordonnance et de produits connexes. Une stratégie d’achat en gros efficace pourrait engendrer d’importantes économies lorsqu’il s’agit de donner accès aux médicaments au Canada.

Au comité, nous avons reçu le Dr Steve Morgan, qui a souligné qu’un payeur unique possède un pouvoir d’achat considérable. Il a donné en exemple une comparaison des prix au Canada et en Nouvelle-Zélande, où il y a un régime d’assurance-médicaments à payeur unique. Il a découvert que si nous payions le prix que paient les Néo-Zélandais pour les 32 médicaments génériques les plus vendus au Canada, nous économiserions déjà 770 millions de dollars par année.

Ce premier pas vers un régime d’assurance-médicaments est important, mais il reste encore beaucoup de chemin à faire et plusieurs défis à relever. L’un de ces défis consistera à contrer quiconque cherche à nous faire prendre un autre chemin. Dans l’espoir de protéger leurs propres intérêts financiers, des gens ont affirmé à tort que l’assurance-médicaments contrecarrerait l’accès aux nouveaux médicaments au Canada. Toutefois, chers collègues, selon un rapport du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés, 79 % des médicaments lancés entre 2013 et 2022 n’apportaient que peu ou pas d’amélioration par rapport aux médicaments existants, mais ils représentaient plus de 60 % de la part des recettes.

Cela met en évidence le fait que ce ne sont pas tous les médicaments qui offrent un bon rapport qualité-prix ou qui devraient être inclus dans la liste des médicaments couverts par un régime d’assurance-médicaments. Au contraire, grâce à l’assurance-médicaments, nous serons plus susceptibles d’acheter les médicaments qui nous en donnent le plus pour notre argent.

Il convient de noter que la liste des médicaments et des produits connexes couverts ne figure pas vraiment dans le projet de loi, ce qui permettra de modifier le tout à l’avenir sans modification législative.

Dans le même ordre d’idées, certaines personnes nous ont dit qu’elles craignent que le projet de loi n’ait des effets négatifs sur l’assurance privée. C’est vrai. Des gens ont laissé entendre que les assureurs réduiront leur couverture ou que les employeurs choisiront de supprimer la couverture des produits visés par le projet de loi C-64. D’autres ont réclamé des restrictions pour empêcher les compagnies d’assurance de supprimer la couverture des contraceptifs et des médicaments contre le diabète.

Chers collègues, il est important de noter que la réglementation de la conduite des sociétés d’assurances sur le marché est une responsabilité provinciale et non fédérale. Chaque province a une loi provinciale qui régit la réglementation des assurances sur son territoire.

Je dirais que des négociations doivent se tenir au niveau des provinces et que des discussions doivent avoir lieu entre les employeurs et leurs employés, ainsi qu’entre les syndicats et leurs membres. Ce projet de loi est une occasion de faire l’un et l’autre.

Nous avons entendu des représentants syndicaux dire que ce projet de loi est l’occasion de négocier une meilleure protection. Si les employeurs font des économies parce que le gouvernement couvre les médicaments et les produits sélectionnés, cela leur donnera la liberté d’élargir la couverture dans d’autres domaines, ce qui augmentera les avantages dont bénéficient leurs employés.

(1740)

Soyons clairs : l’assurance privée n’est pas la solution au manque d’accès aux médicaments auquel sont confrontés de nombreux Canadiens; c’est l’assurance-médicaments universelle qui l’est.

Ce projet de loi est un début, pas une fin. Il s’agit d’un plancher et non d’un plafond. Les provinces peuvent l’améliorer et y inclure d’autres médicaments. Même si ce n’est pas tout ce que nous espérions dans l’immédiat, c’est une base sur laquelle nous pouvons bâtir quelque chose. C’est le premier pas vers un Canada où personne n’aura à se demander s’il peut payer les médicaments qui le maintiennent en bonne santé.

En tant que médecin ayant vu un trop grand nombre de mes patients et de leur famille lutter pour répondre à leurs besoins en matière de santé en raison du coût élevé des médicaments, et en tant que femme ayant vu l’incidence que l’accès au choix en matière de planification familiale peut avoir sur la vie des femmes, je suis fière de voir le Canada franchir cette étape importante.

Voilà pourquoi, chers collègues, je vous exhorte à vous joindre à moi pour appuyer le projet de loi C-64. Merci. Meegwetch.

La sénatrice Batters : Certains sénateurs de la Saskatchewan ont reçu une lettre de la Chambre de commerce de la Saskatchewan au sujet de cette question, du projet de loi C-64 et de leurs préoccupations à cet égard. Selon les statistiques fournies dans la lettre, à l’heure actuelle, environ 90 % des moyennes et grandes entreprises et environ 70 % des petites entreprises offrent des régimes d’assurance-médicaments pour attirer et retenir des employés. Dans la lettre, la chambre de commerce indique également que, selon les estimations récentes à leur disposition, le nombre de personnes non assurées représente environ 2,8 % de la population canadienne.

En gardant à l’esprit les chiffres fournis par la Chambre de commerce de la Saskatchewan, je m’interroge sur la partie de votre discours où vous avez parlé des régimes privés d’assurance-médicaments et du fait qu’il s’agirait essentiellement d’une question à négocier avec les provinces, etc. Il arrive que des personnes à faible revenu bénéficient du régime d’assurance-médicaments offert par leur employeur et que le principal avantage qu’elles en retirent soit la couverture des médicaments sur ordonnance visés par le projet de loi C-64. Étant donné que le gouvernement fédéral paierait ces médicaments dans le cadre d’un régime à payeur unique, avez-vous entendu parler d’une éventuelle réduction des primes liées à ce genre de régimes d’assurance-médicaments offert par l’employeur?

La sénatrice Moodie : Merci, sénatrice Batters.

En fait, les petites entreprises n’étaient pas vraiment représentées au comité. Nous avons entendu des représentants de chambres de commerce, mais ils ont surtout parlé, à mon avis, de leurs clients qui sont des compagnies d’assurance.

En fait, certaines des questions que je leur ai posées les ont mis au défi de dire quelle était, en fait, leur position au sujet des petites entreprises. Beaucoup d’entre nous — et peut-être vous — avons entendu de la part de petites entreprises qu’il y a différentes façons d’aborder la question. Elles pourraient profiter de nouveaux débouchés.

Aucune donnée importante n’a été fournie. Pour répondre à votre question — et à ma déception —, les témoins des chambres de commerce ne nous ont pas donné un point de vue différent de celui qui consiste à protéger les compagnies d’assurance.

[Français]

L’honorable Clément Gignac : Honorables sénateurs et sénatrices, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture pour exprimer mes préoccupations sur le projet de loi C-64, Loi concernant l’assurance médicaments.

Comme vous avez pu le constater depuis mon arrivée au Sénat il y a près de trois ans, il n’est pas habituel pour moi de m’opposer à un projet de loi gouvernemental. Aujourd’hui, je le fais à la fois en tant qu’économiste, mais aussi comme ex-ministre du gouvernement du Québec. Il est vrai que je n’ai pas pu participer aux travaux du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie en raison du conflit d’horaire avec les comités auxquels je siège. Néanmoins, sachez que j’ai suivi en différé toutes les séances du comité portant sur l’analyse de ce projet de loi.

La première raison de mon inconfort a trait à ma vision du fédéralisme, qui a été influencée par mon passage en politique provinciale aux côtés de l’ex-premier ministre libéral Jean Charest. Il était un vrai progressiste au sens noble du terme, mais aussi un ardent fédéraliste et défenseur d’un fédéralisme décentralisé et asymétrique. Je crois moi aussi en un fédéralisme asymétrique, où les priorités économiques et sociales d’une province peuvent varier par rapport à une autre.

Je n’éprouve aucun malaise sur le fait que le régime d’assurance médicaments au Québec prévoie une couverture différente de celle du Manitoba, ou que les Québécois doivent payer une franchise annuelle différente de celle de leurs homologues ontariens. Je n’éprouve aucun malaise à ce que l’âge minimal pour consommer de l’alcool dans un bar au Québec ou obtenir un permis de conduire puisse être différent de ce qui est en vigueur en Ontario ou en Alberta.

Vous l’aurez compris, je ne peux me résoudre à ce nouvel envahissement du gouvernement fédéral dans la façon d’offrir les soins de santé partout au Canada.

En raison de leur proximité avec les citoyens, je suis d’avis que les provinces et les territoires sont nettement mieux placés qu’Ottawa pour subvenir aux besoins de nos concitoyens pour l’éducation et les soins de santé, y compris au moyen de leur régime respectif d’assurance médicaments. D’ailleurs, l’Assemblée nationale du Québec a condamné à l’unanimité le projet de loi C-64 et exige ce que l’on appelle « retrait inconditionnel avec pleine compensation financière ».

Au Québec, il faut savoir que c’est plus de 8 000 médicaments actuellement, y compris différentes teneurs et formes posologiques, qui sont déjà couverts par la Régie de l’assurance maladie du Québec.

Le Québec est reconnu comme ayant été un précurseur au pays, car il a mis en place sa couverture d’assurance médicaments dès 1997. Au fil du temps, le régime a été bonifié pour faire en sorte que tout le monde soit couvert, moyennant une franchise annuelle maximale qui atteint 1 200 $ en 2024. Toutefois, il importe de souligner que les médicaments prescrits sont gratuits au Québec pour les clientèles vulnérables, notamment les personnes bénéficiaires de l’aide sociale ou encore les aînés qui reçoivent le montant maximum du Supplément de revenu garanti.

[Traduction]

Honorables collègues, je ne dis pas cela pour ignorer les milliers de Canadiens à l’extérieur du Québec qui sont exclus de ce régime provincial d’assurance-médicaments. Je comprends certainement pourquoi plusieurs d’entre vous voient d’un bon œil le projet de loi C-64. Je ne suis pas ici pour vous juger. Je comprends.

Je vous invite cependant à vous poser certaines questions : jusqu’où ce fédéralisme paternaliste va-t-il nous conduire? Est-ce que la prochaine étape sera d’instaurer un nouveau régime fédéral prenant en charge tous les sans-abri du pays pour leur offrir à chacun un logement sous prétexte que nos villes et nos provinces sont incapables de s’occuper d’eux ou ne le souhaitent pas?

En tant que sénateur progressiste, je suis totalement d’accord pour aider les personnes dans le besoin, mais je ne suis pas d’accord avec l’approche du gouvernement actuel, dont la gouvernance reflète la vision d’un fédéralisme centralisateur du NPD.

Les membres du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie ont probablement remarqué que le NPD a une influence démesurée dans la rédaction du projet de loi C-64. Lors de son témoignage, le ministre Holland n’avait pratiquement aucune marge de manœuvre pour accepter des amendements, au risque de perdre l’appui du NPD à l’autre endroit.

(1750)

En passant, on peut s’attendre à voir la même pression amicale du gouvernement lors du débat sur le projet de loi C-282 sur la gestion de l’offre, car un rejet ou une adoption avec des amendements par le Sénat risquerait aussi de faire tomber le gouvernement.

[Français]

Honorables sénateurs et sénatrices, je ne nie pas qu’Ottawa a certainement son mot à dire dans le domaine de la santé. C’est ce que le gouvernement fédéral a fait, après la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’il a adopté une formule à frais partagés moitié-moitié pour les transferts en matière de santé et les programmes sociaux, jusqu’au milieu des années 1970.

Par la suite, les règles du jeu ont commencé à changer progressivement avec l’adoption, en 1977, de ce qu’on a appelé le Financement des programmes établis, un programme fédéral qui abandonnait la formule à frais partagés moitié-moitié pour le versement aux provinces d’un montant annuel fixe par habitant par année. Cela a été suivi, en 1984, par l’adoption de la Loi canadienne sur la santé et ses cinq critères d’admissibilité.

Je m’en souviens très bien. Pourquoi? Parce qu’au début de ma carrière, j’ai été fonctionnaire au ministère des Finances du Québec, à la Division des transferts fédéraux et des arrangements fiscaux. On peut donc en parler.

Plus précisément, la contribution fédérale au financement des dépenses publiques en matière de santé au Canada est passée d’une formule moitié-moitié de partage des coûts jusqu’au milieu des années 1970 à une contribution fixe par habitant, qui atteint maintenant un creux de 22 % des dépenses publiques en santé au Canada qui sont assumées par le gouvernement fédéral. Cependant, avec la récente renégociation qui a eu lieu en 2023, ces dépenses s’élèvent plutôt à environ 25 %. Donc, nous sommes loin de la formule à frais partagés moitié-moitié du début des années 1970.

À mon humble avis, lorsque le gouvernement fédéral assume uniquement 25 % de la facture des dépenses en santé, à Ottawa on devrait se montrer moins critique et se garder une petite gêne avant d’empiéter sur le champ de compétence des provinces avec de nouvelles initiatives. Aussi longtemps qu’elle représentera moins de 50 % de contribution aux dépenses en matière de santé au Canada, l’implication du gouvernement fédéral dans l’assurance médicaments devrait se limiter à son rôle actuel d’approbation, comme le fait le Secrétariat américain aux produits alimentaires et pharmaceutiques, au sud de la frontière.

Outre mon opposition au dédoublement des responsabilités avec les provinces, ma seconde préoccupation — je porte maintenant mon chapeau d’économiste — est de nature financière et elle concerne les coûts réels liés à la mise en œuvre d’un régime public universel d’assurance médicaments.

S’il est vrai que le Bureau du directeur parlementaire du budget indiquait dans son rapport le chiffre de 1,9 milliard sur cinq ans pour le coût du Régime d’assurance médicaments qui couvre uniquement le diabète et les contraceptifs, M. Giroux a bien précisé devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie que cela ne présumait aucun effet de substitution des médicaments et que les gens conserveraient leur couverture actuelle avec les compagnies d’assurance.

Permettez-moi d’en douter. Pour avoir travaillé dans le domaine des assurances, à mon avis, ce n’est pas ce qui va se produire. Au minimum, nous pouvons nous attendre à ce que le coût du nouveau régime s’élève à 4,3 milliards de dollars sur cinq ans, plutôt qu’à 1,9 milliard de dollars. La facture augmentera au fur et à mesure qu’on augmentera le nombre de médicaments qui sont couverts.

Certains témoins ont évoqué des économies éventuelles sur le prix des médicaments par la mise sur pied de ce régime canadien universel, ainsi qu’un meilleur rapport de force avec les compagnies pharmaceutiques. J’éprouve là aussi un certain scepticisme puisque, depuis 2010, il existe un mécanisme de négociation pancanadien créé par les premiers ministres provinciaux et territoriaux, appelé l’Alliance pharmaceutique pancanadienne, qui a pour objectif de faire en sorte qu’avec les programmes publics d’assurance médicaments, les patients en obtiennent plus pour leur argent et que ce soit le même prix fixe d’une province à l’autre pour un médicament donné.

Comme l’a expliqué Dominic Tan, chef de la direction adjoint de l’Alliance pharmaceutique pancanadienne, l’Alliance négocie des prix qui s’appliquent partout. Il a mentionné ce qui suit :

[Traduction]

Notre mandat consiste à négocier les prix des médicaments pour le compte des régimes publics d’assurance médicaments pour l’ensemble du pays. Cela signifie que notre mandat nous est également conféré par nos membres. Cela dit, il est certain que nous sommes impatients d’en savoir plus sur ce que représente l’achat en gros, car nous sommes certainement heureux de collaborer avec nos partenaires.

[Français]

Nous ne connaissons pas encore tous les détails des achats en gros tels qu’ils sont décrits dans le projet de loi actuel. C’est ce que nous devons mieux comprendre et ce sur quoi nous devons collaborer avec les partenaires [...]

En d’autres termes, le verdict n’est pas encore tombé. De plus, quelle sera l’incidence sur la gestion du régime d’assurance médicaments actuel par la Régie de l’assurance maladie du Québec et les pharmaciens au Québec si dans trois ans le gouvernement fédéral couvre des dizaines, voire des centaines d’autres médicaments? Cela représentera très certainement un défi.

[Traduction]

Il me semble que les priorités actuelles du gouvernement devraient être ailleurs. Le dernier rapport de l’Institut Fraser, publié vendredi dernier, montre que le salaire médian des 10 provinces canadiennes est désormais inférieur à celui de tous les États américains, y compris la Louisiane et l’Alabama. Pouvez-vous le croire? C’est difficile à croire.

Je suggère humblement au gouvernement de se concentrer davantage sur la création de la richesse; sinon, nous pourrions facilement — dans 10, 15 ou 20 ans — suivre le même chemin et connaître le même sort que l’Argentine et la Grèce.

[Français]

Honorables sénateurs et sénatrices, en conclusion, je réitère mon inconfort par rapport à ce projet de loi rempli, certes, de bonnes intentions. Je comprends très bien que la perception est totalement différente selon que vous vivez au Québec ou dans une autre province. Cependant, cela ne correspond pas à ma vision d’un fédéralisme décentralisé, efficace, soucieux d’éviter les chevauchements et les duplications avec les provinces.

Pour toutes les raisons évoquées précédemment, j’ai l’intention de voter contre le projet de loi. Merci de votre compréhension. Meegwetch.

L’honorable Julie Miville-Dechêne : J’aimerais poser une question à mon cher voisin, le sénateur Gignac.

Un peu comme vous, je suis déchirée par ces questions de sphère de compétence et je crois qu’il n’est pas simple de se prononcer sur ce projet de loi.

Par ailleurs, je trouve que votre vision du régime québécois d’assurance médicaments est légèrement idéalisée. Cela m’a frappée lorsque j’ai discuté avec différentes sources, notamment Marc-André Gagnon, un expert de l’Université Carleton.

Au Québec, non seulement nous payons environ 1 200 $ par année pour faire partie de ce régime, mais que sur chaque médicament, il y a aussi une franchise à payer. Par exemple, pour les moyens de contraception, le coût de la franchise représente environ la moitié de la valeur du médicament. En plus, le professeur Gagnon affirme que les Québécois qui participent au régime ne bénéficient même pas des rabais confidentiels que les compagnies pharmaceutiques donnent pour la vente d’une grande quantité de médicaments. Donc, on exige une franchise qui est trop élevée.

Ce qui veut dire qu’au Québec, les gens qui ne sont pas assez pauvres pour recevoir de l’aide sociale, mais pas assez riches pour détenir une assurance plus généreuse se retrouvent un peu coincés. Que faut-il faire?

Je comprends que vous dites que c’est de compétence provinciale. Il est vrai que cela va coûter cher parce que des assureurs privés vont effectivement transmettre la facture au gouvernement fédéral, mais que dire des jeunes femmes qui ont besoin de contraception et qui sont prises dans un système où, malheureusement, ce n’est pas toujours abordable?

Son Honneur la Présidente : Sénateur Gignac, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous plus de temps pour répondre à la question?

Le sénateur Gignac : Oui.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Gignac : C’est une très bonne question, sénatrice. Sans vouloir manquer d’empathie par rapport à ce dossier, je me demande si c’est bien ici, à Ottawa, à la Chambre des communes et au Sénat, qu’il faut mener la bataille. Si nous sommes mécontents et que nous voulons que la franchise soit moins élevée ou même que ce soit gratuit, faisons en sorte que le débat se tienne dans les assemblées législatives provinciales. C’est seulement que j’ignore jusqu’où l’on ira. J’ai donné l’exemple des plus démunis ou des sans-abris et ce sera la même logique : on risque d’en arriver là.

(1800)

À mon avis, au lieu de débattre de la question ici, j’aurais tendance à dire que c’est à l’échelle des provinces que la pression doit s’exercer.

[Traduction]

L’honorable Ratna Omidvar : Honorables sénateurs, je prends la parole très brièvement pour aborder le projet de loi C-64, Loi concernant l’assurance médicaments.

Je tiens à remercier la marraine du projet de loi, la sénatrice Pate, la critique du projet de loi, la sénatrice Seidman, les membres du comité et les nombreux témoins qui ont partagé leur sagesse et leurs points de vue avec nous lors des travaux du comité.

Comme beaucoup d’autres mesures législatives, ce projet de loi n’est pas parfait. Il contient d’ailleurs plus que sa part d’imperfections. Il y a trop d’ambiguïtés, trop de termes qui ne sont pas définis, des problèmes d’évaluation des coûts et des incertitudes quant à la forme que prendront les accords avec les provinces. Le projet de loi suscite des débats où certains pensent qu’il retirera des avantages aux Canadiens au lieu de les garantir.

Pourtant, chers collègues, je soutiens pleinement ce projet de loi parce que je vois ce qu’il fera pour la vie des pauvres, des familles qui n’ont pas de couverture d’assurance ou des familles et des personnes dont l’employeur offre une assurance, mais qui ne peuvent pas payer les primes requises ou leur quote-part du prix des médicaments qui leur sont prescrits.

Les statistiques sont considérables. Le Conference Board du Canada nous dit que 3,7 % des Canadiens n’ont aucune couverture pour leurs médicaments, quelle qu’en soit la sorte. Le seul temps où ils obtiennent des médicaments sans frais, c’est lorsqu’ils sont hospitalisés. En outre, 7 % des Canadiens n’ont pas d’assurance parce qu’ils n’ont pas les moyens de payer la cotisation du régime d’assurance-médicaments offert par leur employeur. Cela représente donc près de 10 % de la population. Ce n’est pas négligeable, chers collègues. Il s’agit d’une mesure extrêmement importante pour le parent d’un enfant diabétique qui doit faire le choix difficile, voire impossible, entre acheter les médicaments dont son enfant a besoin ou payer le loyer.

Il ne s’agit pas de quelques cas isolés. C’est la dure réalité pour de nombreuses personnes. Près de 60 % des Canadiens diabétiques disent avoir de la difficulté à respecter les traitements qui leur sont prescrits parce que les médicaments et les fournitures médicales coûtent trop cher. Le comité a entendu que, la plupart du temps, le prix des médicaments est si élevé qu’il est prohibitif, même avec une couverture d’assurance.

Je vous donne un exemple. Une infirmière de la Saskatchewan qui n’est certainement pas pauvre a deux enfants diabétiques adultes qui vivent chez elle. Elle bénéficie d’une couverture d’assurance par l’entremise de son employeur, mais les médicaments sont si dispendieux que les frais de coassurance dépassent ses moyens. Par conséquent, sa fille ne peut pas fréquenter l’université, et son fils ne peut pas garder un emploi parce que ces médicaments leur sont inaccessibles.

Ce n’est qu’une anecdote, mais il faut se rappeler ce chiffre : 60 % des Canadiens atteints de diabète se heurtent à des problèmes d’abordabilité. Les conséquences sont terribles. La non-observance du plan de traitement entraîne de graves complications qui ont une incidence sur la santé individuelle et qui exercent des pressions énormes sur le système de santé. Pensons aux coûts plus élevés, pour la personne et pour le système, des visites aux urgences et des hospitalisations. Pensons aux conséquences pour la santé mentale du stress financier qui pèse sur les personnes et leur famille, et qui a une incidence non seulement sur la santé physique, mais aussi sur la résilience mentale.

En outre, des témoins sont venus nous dire que la situation est particulièrement inquiétante pour les groupes déjà marginalisés. Mme Laura Syron, présidente et directrice générale de Diabète Canada, a dit que le statut socioéconomique et les facteurs socioéconomiques jouent un grand rôle dans les taux élevés de diabète au sein des groupes marginalisés, mais que c’est aussi le cas des facteurs environnementaux et génétiques. Elle a déclaré que, de plus en plus, nous constatons que les répercussions du diabète sur la santé mentale sont un fardeau qui pèse plus lourd pour certains groupes que pour d’autres. Je pense que nous savons tous de quels groupes elle parle : les personnes racisées, les communautés autochtones et d’autres.

Permettez-moi d’aborder brièvement la question des coûts. Le directeur parlementaire du budget a indiqué que le projet de loi C-64 entraînerait une augmentation des dépenses de 1,9 milliard de dollars. Le sénateur Gignac a mentionné que ce montant pourrait atteindre 4 milliards de dollars, mais je crois que la vérité se trouve quelque part entre les deux. Je conviens qu’il y aura un coût initial élevé pour le trésor public, mais il y aura aussi des économies grâce à la réduction du nombre de visites dans les hôpitaux et d’admissions aux urgences, en plus des économies liées à l’amélioration de l’accès aux médicaments pour traiter le diabète et aux contraceptifs.

Personne n’a vraiment établi de bilan des coûts et des économies, mais les avantages ne se chiffrent pas seulement en argent. Des gens verront leur qualité de vie améliorée, des familles recevront de l’aide, et des perspectives seront embellies.

Que les contraceptifs ne soient pas couverts par une assurance universelle a également de graves conséquences. Près de la moitié des grossesses au Canada ne sont pas intentionnelles. Même si des femmes accueillent la grossesse inattendue avec joie, il faut l’admettre, d’autres en ressentent une forte pression psychologique et financière. Les femmes et les jeunes filles se heurtent à des choix difficiles : se faire avorter, confier son enfant en adoption ou l’élever sans soutien adéquat.

L’effet domino du manque d’accès aux contraceptifs va très loin. Il peut être ressenti jusque dans la génération suivante, qui aura probablement besoin d’accéder aux services sociaux.

Le Canada est une exception si nous le comparons à d’autres pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques qui partagent les mêmes idées; il a beaucoup de retard à rattraper.

Je reconnais donc que ce projet de loi présente des lacunes, surtout en ce qui concerne les définitions, la clarté et les compétences provinciales, mais je me réjouis que ce soit la première d’une longue série de mesures à prendre. Je crois aux améliorations graduelles. Le Sénat n’a jamais eu à étudier un projet de loi parfait. Il est important pour le Canada de faire le premier pas en avant, car c’est toujours le plus difficile à faire.

Je vous invite à faire ce premier pas et à appuyer ce projet de loi. Je pense même que nous avons le devoir de l’adopter dans l’intérêt des personnes les plus démunies au Canada. Merci.

L’honorable Flordeliz (Gigi) Osler : La sénatrice Omidvar accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Omidvar : Oui, merci.

La sénatrice Osler : Merci, madame la sénatrice. Ma question porte sur une statistique que vous avez mentionnée dans votre discours.

Je crois que vous avez dit que 2,8 % des Canadiens n’ont aucune assurance pour couvrir le coût des médicaments sur ordonnance. C’est une statistique qui a été fournie au Comité des affaires sociales et qui provient d’un rapport du Conference Board du Canada selon lequel 97,2 % des Canadiens bénéficient d’une assurance couvrant les médicaments sur ordonnance. C’est la raison pour laquelle j’ai parlé, dans mon discours, d’un rapport publié par Statistique Canada en 2022, selon lequel 21 % des Canadiens ont déclaré n’avoir aucune assurance alors qu’ils seraient seulement 2,8 % selon le Conference Board du Canada.

Ma question est la suivante : saviez-vous que le financement du rapport du Conference Board du Canada provenait de l’association nationale qui représente l’industrie pharmaceutique novatrice du Canada?

La sénatrice Omidvar : Nous avons des chiffres différents. Selon le Conference Board du Canada, le taux est de 3,7 %. Nous avons vérifié. Je ne savais pas que le financement pour ce rapport provenait de Médicaments novateurs Canada. Ils ont témoigné devant notre comité.

(1810)

La sénatrice Osler : Je ne pense pas que nous abordions la question sous des angles différents. Ce que je voulais dire, c’est que ce rapport, qu’on a beaucoup utilisé, a été publié par le Conference Board du Canada, mais la source de financement n’était pas la même. Je me demandais si vous saviez que le financement venait de cet organisme. C’est pour cette raison que, dans mon discours, j’ai choisi d’utiliser les données de Statistique Canada. On dirait que vous êtes au courant.

La sénatrice Omidvar : Ce n’est pas une question, mais je suis d’accord.

L’honorable Jim Quinn : La sénatrice accepterait-elle de répondre à une autre question?

La sénatrice Omidvar : Oui.

Le sénateur Quinn : Merci pour votre discours, sénatrice Omidvar, en particulier pour ce que vous avez dit sur l’importance de faire ce premier pas pour aider les Canadiens n’ayant pas les moyens actuellement de se payer des médicaments. Je crois qu’il s’agit là d’un enjeu crucial.

Durant toutes les audiences de votre comité sur la mesure législative, avez-vous déterminé si son adoption créerait des failles qui pourraient toucher les gens actuellement couverts par des régimes d’assurance? Serait-il possible qu’en nous occupant d’un segment de la population — un segment très important —, nous créions une faille dans un autre secteur, même s’il s’agit d’une faille temporaire durant le processus de négociation? Croyez-vous que des failles pourraient être créées, même de manière temporaire?

La sénatrice Omidvar : À propos des failles, je ne suis pas certaine. Nous avons entendu parler de failles, sénateur Quinn, surtout au cours de la mise en place initiale, mais je n’ai pas la certitude d’avoir connaissance d’une faille en particulier. Nous avons entendu que, au moment de la mise en place de la liste des médicaments assurés, il est possible que certaines personnes qui sont couvertes par un régime d’assurance privé cessent de l’être pour ces médicaments ou soient couvertes par le gouvernement. Je pense qu’il y aura des problèmes au début. J’en suis consciente.

[Français]

L’honorable Marie-Françoise Mégie : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui afin d’appuyer le projet de loi C-64, Loi concernant l’assurance médicaments. Je remercie la sénatrice Pate pour le travail formidable effectué dans le parrainage de ce projet de loi.

Ce projet de loi constitue une étape importante vers la mise en place d’un régime d’assurance médicaments universel, qui permettra de sauver des vies en améliorant la santé de la population canadienne tout en réduisant le coût de notre système de santé.

Selon le rapport final de 2019 du Conseil consultatif sur la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments, une personne sur cinq, soit 7,5 millions de Canadiens, n’a pas d’assurance médicaments ou bénéficie d’une couverture insuffisante pour assumer adéquatement le coût de ses médicaments.

Honorables sénateurs, c’est notre responsabilité constitutionnelle. Nous devons défendre les groupes vulnérables qui sont les moins susceptibles d’avoir accès à un régime d’assurance médicaments, notamment les Autochtones, les immigrants et les personnes racisées. Par conséquent, il semble opportun que le gouvernement prenne des mesures pour remédier à cette importante lacune. Pour atteindre cet objectif, le projet de loi C-64 s’articule autour de quatre principes directeurs énoncés à l’article 4 : accessibilité, abordabilité, universalité et utilisation appropriée.

Chers collègues, saviez-vous que, selon un sondage réalisé cette année par Cœur+AVC et la Société canadienne du cancer, plus d’une personne sur quatre au Canada a de la difficulté à payer le coût de ses ordonnances? Près d’un quart des Canadiennes et Canadiens ont déclaré fractionner des comprimés, sauter des doses ou décider de ne pas remplir ou renouveler une ordonnance en raison du coût; plus d’une personne sur quatre a dû faire des choix difficiles pour se payer des médicaments d’ordonnance, comme réduire son épicerie, retarder le paiement de son loyer, de son hypothèque ou de ses factures de services publics et s’endetter.

Ces chiffres révélateurs démontrent des lacunes dans notre système de santé qu’il est nécessaire de combler avec le projet de loi C-64.

Comme l’a mentionné le ministre de la Santé, M. Mark Holland, dans son témoignage au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, le projet de loi C-64 nous permettrait de « […] bénéficier d’un accès gratuit, sans co‑paiement ni franchise, à une gamme de médicaments contraceptifs et contre le diabète. »

Le caractère abordable et l’accessibilité sont indissociables. En effet, pour qu’un produit ou un service soit véritablement accessible, il doit également être financièrement abordable. Si les médicaments ou les soins de santé sont disponibles, mais hors de portée financière pour une partie de la population, leur accessibilité devient limitée ou même inexistante. Par exemple, en 2015, un Canadien sur quatre atteint de diabète a indiqué que son adhésion au traitement dépendait du coût.

L’accès aux médicaments d’ordonnance doit être basé sur un besoin médical, et non sur la capacité de payer. Ce sont mes 35 ans d’expérience en médecine familiale et mon expertise particulière en pied diabétique qui me permettent de vous affirmer qu’un diabète mal contrôlé entraîne souvent des complications graves, qui vont de l’infarctus à l’amputation en passant par la cécité. Ces situations accentuent les inégalités systémiques. Comme on l’a mentionné précédemment, ce sont les plus démunis qui subissent les conséquences les plus importantes. D’ailleurs, selon le Conference Board du Canada, 5 à 8 % des patients amputés d’une jambe sont des sans-abris. Si ce projet de loi n’est pas adopté, les inégalités en matière de santé demeureront. Ce serait une épée de Damoclès pour près d’un million de diabétiques qui, selon l’Institut canadien d’information sur la santé, risquent de souffrir d’une complication grave.

Jusqu’ici, nous parlons du coût des médicaments. Je n’ai pas souvent entendu parler des coûts humains et sociaux. On parle d’une personne sur le marché du travail qui a fait un AVC, a subi une amputation ou devient aveugle. Qu’arrivera-t-il de sa vie? De plus, nos urgences débordent, car on ne fait pas suffisamment de prévention. Ces patients n’ont pas eu leur médicament comme il se doit. Selon un rapport de l’Institut canadien d’information sur la santé, plus de 30 000 hospitalisations chaque année sont directement liées aux complications du diabète affectant les membres inférieurs. Ces hospitalisations ont coûté plus de 750 millions de dollars par an. Je vous parle du diabète, parce que cela concerne le projet de loi C-64, mais en réalité, toute maladie chronique mal soignée, faute de médicaments ou autres, aboutit à moyen ou à long terme à des complications variables en sévérité.

Chers collègues, je n’ai pas encore parlé du fardeau émotionnel et financier qui pèse sur les proches aidants. Dans bien des cas, ils sont eux-mêmes sur le marché du travail et se voient contraints de le quitter pour s’occuper de leur proche malade. J’ai eu l’occasion d’accompagner des patients et leurs proches aidants durant ma pratique médicale en soins à domicile. J’ai pu constater leur souffrance, leur sentiment de culpabilité et leur détresse.

L’accès aux soins de santé au Canada doit demeurer un droit universel et fondamental dans une société juste et équitable.

Comme l’a mentionné le ministre de la Santé, ce projet de loi est une première étape réalisée par le gouvernement du Canada pour arriver à une couverture plus étendue. Son prochain défi, puisque l’administration de la santé est de compétence provinciale, est de travailler en étroite collaboration avec les provinces et les territoires pour conclure des accords bilatéraux. Cela garantirait que les politiques de santé publique répondent aux besoins réels des populations, tout en tenant compte des particularités provinciales et territoriales, comme nous l’avons entendu au Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Il n’est pas de notre ressort de dicter les termes de ces accords entre les gouvernements. Je félicite la Colombie-Britannique, qui a conclu un protocole d’entente avec le gouvernement fédéral le 12 septembre 2024.

J’aimerais aussi souligner un exemple lié au projet de loi C-35, Loi relative à l’apprentissage et à la garde des jeunes enfants au Canada. Lors de son adoption, le Québec, qui disposait déjà d’un réseau public de services de garde éducatifs de qualité et d’un programme de places à contribution réduite, a vu ses besoins particuliers pris en compte dans l’accord de 2021-2026 conclu avec le gouvernement fédéral. À cet égard, l’article 5 de cet accord stipule ce qui suit :

[…] le Québec entend utiliser une portion significative des contributions versées en vertu de cet accord pour financer d’autres améliorations à son système d’apprentissage et de garde des jeunes enfants [...]

(1820)

En tant que fière Québécoise et après avoir vu la mise en œuvre du régime public d’assurance médicaments en 1997, je peux attester de son efficacité, même s’il reste encore bien des défis à relever dans notre système.

Ce fleuron québécois a montré qu’il est possible d’assurer une couverture de médicaments pour l’ensemble de la population, tout en garantissant un accès équitable aux soins et aux médicaments.

En ce qui concerne les critiques qui ont évoqué le coût plus élevé de ce régime, vous devez comprendre que celui-ci couvre plus de 8 000 médicaments. Il permet cependant de réduire les inégalités et d’améliorer la qualité de vie de la population québécoise depuis plus de 25 ans.

En conclusion, nous avons aujourd’hui l’occasion d’établir une assurance médicaments pancanadienne. Profitons de cette lancée pour adopter le projet de loi C-64 sans amendements, afin de ne pas laisser 7,5 millions de Canadiens et de Canadiennes sans assurance médicaments. C’est une question d’équité!

Je vous remercie.

Des voix : Bravo!

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Projet de loi sur la Commission d’examen des erreurs du système judiciaire (Loi de David et Joyce Milgaard)

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Arnot, appuyée par l’honorable sénatrice Clement, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-40, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement (examen des erreurs judiciaires).

L’honorable Pierre J. Dalphond : Chers collègues, permettez-moi d’expliquer pourquoi je suis en faveur de l’adoption rapide du projet de loi C-40, Loi sur la Commission d’examen des erreurs du système judiciaire, appelée Loi de David et Joyce Milgaard, qui propose la création d’une commission indépendante pour traiter des demandes alléguant des erreurs judiciaires.

La nécessité d’un mécanisme indépendant pour traiter d’erreurs judiciaires possibles est une question qui m’intéresse depuis mes années à la Cour d’appel du Québec.

J’ai été saisi une fois d’une révocation d’une condamnation, maintenue quelques années plus tôt malgré des appels portés jusqu’en Cour suprême du Canada. Tout au long du processus judiciaire, l’accusé maintenait son innocence et affirmait qu’il n’était pas l’auteur du document incriminant qui comportait des menaces de mort à l’égard de son ex-conjointe, ce que le juge n’avait pas cru.

Or, deux ans plus tard, des rapports d’expertise en écriture, dont l’un du ministère public, ont conclu qu’il ne pouvait être la personne qui avait écrit le document incriminant et que la pseudovictime en était l’auteur.

Mon étude du dossier m’a amené à conclure que le fait que l’accusé était un immigrant du Moyen-Orient, sans moyens financiers pour engager un expert, avait été un facteur déterminant dans cette erreur judiciaire.

Un autre dossier m’a troublé, soit l’affaire Dumont. Ce dernier a été condamné pour meurtre sur la base d’une preuve circonstancielle dont l’élément clé était le témoignage d’une inconnue, qui a affirmé au procès l’avoir entrevu pendant quelques secondes dans un club vidéo à proximité de la résidence de la victime, peu avant l’heure du crime. Dumont a toujours clamé son innocence, en s’appuyant pour bien faire sur un alibi qui s’est révélé faux.

Quelques années plus tard, dans une entrevue télévisée, la témoin vedette a déclaré regretter son témoignage, ajoutant qu’elle croyait désormais que ce n’était pas M. Dumont qu’elle avait entrevu le soir du meurtre, mais quelqu’un d’autre.

Chers collègues, je mentionne ces deux affaires pour illustrer le fait que notre système de justice criminelle repose essentiellement sur le travail de policiers, les versions des témoins, l’obtention de preuves documentaires et autres et l’analyse du dossier par le ministère public et l’avocat de la défense. La décision de culpabilité revient soit à un juge, soit à un jury de 12 personnes sans formation juridique, dans les cas les plus graves.

Même si une condamnation n’est possible qu’en présence de la conclusion hors de tout doute raisonnable que l’accusé a commis l’infraction, il reste que les facteurs humains sont omniprésents dans tout le processus, depuis l’intervention de la police jusqu’au prononcé du jugement de culpabilité.

Cela peut impliquer la présence de préjugés, la vision en tunnel de la preuve par les enquêteurs, les omissions dans le traitement des dossiers par des avocats débordés de la poursuite ou de l’aide juridique, l’incapacité de l’accusé de se payer un expert, et cetera.

J’ajoute que la faillibilité du système est amplifiée par le manque de ressources judiciaires, la pression d’être plus efficace malgré tout et les encouragements répétés à faire des aveux de culpabilité à une infraction moindre pour éviter des procès.

Malheureusement, il peut en résulter plus de condamnations de personnes innocentes, surtout issues de groupes défavorisés ou vulnérables.

Cela peut se produire même dans les affaires les plus graves. Comme le mentionnait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt États-Unis c. Burns et Rafay, qui a été rendu en 2001, la découverte incessante de déclarations erronées de culpabilité pour meurtres au Canada et aux États-Unis au cours des dernières années fait tragiquement ressortir la faillibilité du système juridique, et ce, malgré les garanties étendues qui existent afin de protéger les innocents.

Un site Web de l’Université de Toronto, Canadian Registry of Wrongful Convictions, a répertorié à partir d’articles de journaux et de jugements 89 cas de condamnations erronées entre 1956 et 2016, lesquelles concernent de manière disproportionnelle des membres des communautés racisées et autochtones. Malheureusement, il ne pourrait s’agir que de la pointe de l’iceberg.

M’inspirant de la méthode Cotter, le reste de mon discours sera divisé en quatre parties : premièrement, le système actuel et ses lacunes; deuxièmement, l’affaire Milgaard; troisièmement, l’instigateur de ce projet de loi; enfin, les caractéristiques de la commission proposée.

[Traduction]

Passons à la première partie. Depuis 1892, le ministre de la Justice a le pouvoir, sous une forme ou une autre, de réexaminer une condamnation au criminel au titre du droit fédéral afin de déterminer s’il y a eu erreur judiciaire.

En 2002, à la suite de consultations publiques, le régime actuel a été introduit sous la partie XXI.1 du Code criminel, intitulée Demandes de révision auprès du ministre — erreurs judiciaires, qui comprend six dispositions. Avec le Règlement sur les demandes de révision auprès du ministre — erreurs judiciaires, cette partie complète le cadre du système actuel.

Avant d’ordonner un nouveau procès ou un appel, le ministre doit être convaincu qu’il y a un motif raisonnable de croire qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite. Ce critère est plus strict que le précédent, qui consistait à « entretenir un doute ». Il est également plus strict qu’un critère plus ouvert, par exemple que le ministre soit convaincu qu’un renvoi devant les tribunaux est dans l’intérêt de la justice.

Le ministre de la Justice de l’époque a déclaré que ce recours devait être extraordinaire. Dans la pratique, le travail est exécuté par un groupe spécial au sein du ministère de la Justice, soit le Groupe de la révision des condamnations criminelles.

Le travail de ce groupe est régi par le règlement que j’ai mentionné et qui prescrit un processus d’examen en quatre étapes : une évaluation préliminaire, qui pourrait conduire à une enquête, suivie d’un rapport d’enquête préliminaire dont une copie est remise au demandeur pour obtenir des renseignements complémentaires et, une fois le rapport jugé définitif, une recommandation au ministre pour obtenir une décision. Le ministre peut renvoyer l’affaire devant les tribunaux, soit en la renvoyant devant une cour d’appel pour qu’elle soit entendue en tant que nouvelle affaire, soit en prescrivant la tenue d’un nouveau procès.

(1830)

En pratique, le groupe spécial procède à des évaluations préliminaires, en prenant en compte tous les facteurs pertinents, dont la question de savoir si la demande repose sur une nouvelle question importante, ce qui veut habituellement dire de nouveaux renseignements ou éléments de preuve d’importance qui n’ont pas été étudiés par les tribunaux. C’est uniquement si le groupe est convaincu qu’il en est ainsi qu’une enquête peut être lancée.

Comme le montre le rapport annuel de 2022-2023 présenté par le ministre de la Justice en octobre 2023, la plupart des dossiers n’atteindront pas la deuxième étape. Autrement dit, il n’y a pas d’enquête. Comme l’a fait remarquer le sénateur Arnot, depuis 2002, seules quelque 200 demandes ont été examinées par le groupe spécial. Parmi celles-ci, 30 seulement ont donné lieu à un renvoi devant les tribunaux, et 24 d’entre elles ont abouti à un acquittement ou à l’annulation ou à la suspension d’une condamnation. Autrement dit, on a fait moins de deux renvois par an devant les tribunaux. Notamment, seuls 7 de ces 30 renvois devant les tribunaux concernaient des demandeurs racisés, et aucun ne concernait une femme.

Il est évident que ces chiffres ne reflètent pas les caractéristiques démographiques de la population carcérale canadienne. À mon avis, ce nombre incroyablement faible de condamnations injustifiées découvertes et rectifiées au Canada est un signe que le système actuel ne fonctionne pas.

Cette conclusion s’appuie sur l’expérience de régimes aux vues similaires, par exemple ceux de l’Angleterre, de l’Écosse et de la Nouvelle-Zélande, qui disposent de commissions indépendantes. Comme nous l’a dit le sénateur Arnot, la commission écossaise de révision des affaires pénales a reçu plus de 3 200 demandes entre 1999 et mars 2024, ce qui a permis de renvoyer 96 affaires devant les tribunaux. Autrement dit, l’Écosse, dont la population correspond à moins d’un septième de celle du Canada, a renvoyé plus de trois fois plus d’affaires dans un délai comparable.

Les données de la commission britannique de révision des affaires pénales, qui englobe l’Angleterre, le pays de Galles et l’Irlande du Nord, montrent qu’elle a reçu plus de 32 000 demandes depuis sa création en 1997. Elle a renvoyé 848 affaires devant des cours d’appel, dont 828 ont été entendues jusqu’à présent, ce qui a permis de rectifier 587 condamnations injustifiées.

La commission britannique traite plusieurs centaines de cas par an et a repéré plus de 300 condamnations injustifiées en seulement 2 ans, soit entre 2016 et 2018. En comparaison, au Canada, nous parlons de moins de deux cas par an.

Entre sa création en 2020 et les dernières données qu’elle a publiées en 2024, la commission de la Nouvelle-Zélande a reçu un total de 471 demandes, a effectué 221 examens et a renvoyé jusqu’à présent 3 affaires devant une cour d’appel à la suite d’enquêtes. Veuillez noter que la population du Canada est environ 8 fois supérieure à celle de la Nouvelle-Zélande.

[Français]

Je termine cette revue du système actuel en vous parlant d’une affaire qui a fait couler de l’encre au Québec : le dossier de Daniel Jolivet, condamné à perpétuité en 1994 pour un quadruple meurtre sur la foi du témoignage d’un délateur qui a affirmé que Jolivet lui avait avoué les meurtres le lendemain. Jolivet a toujours nié être l’auteur de ces quatre meurtres, déclaration confirmée par un détecteur de mensonges passé il y a quelques années.

Dès que la Cour suprême eut cassé l’ordonnance de la Cour d’appel d’un nouveau procès en raison d’irrégularités durant son premier procès, Jolivet débute ses demandes en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels du Québec. Ainsi, il découvre de nombreux éléments de preuve qui n’avaient jamais été divulgués et des témoins dont ses avocats ignoraient tout de l’existence avant son procès de 1994.

L’une de ces déclarations contredisait la déclaration du témoin principal à son procès, qui disait l’avoir reconnu au moment où le délateur aurait reçu les supposés aveux de Jolivet. Un autre élément de preuve situait Jolivet chez un bijoutier, à un lieu assez éloigné du restaurant où le délateur avait reçu les aveux, ce qui tendait à disculper Jolivet. Plusieurs de ces éléments de preuve disculpaient Jolivet ou jetaient à tout le moins un doute sérieux sur sa culpabilité. De plus, Jolivet avait appris que le contrat de délateur avait été rompu par la police, ce qui suggérait que le ministère public ne le croyait plus.

Fort de ces découvertes, Jolivet soumet une demande de révision au groupe spécial. Deux ans plus tard, le groupe l’informe qu’il n’y aura pas d’enquête au motif que les faits nouveaux invoqués « ne sont ni suffisamment fiables, ni suffisamment importants pour remettre en question le verdict ». Notons que le rapport du Groupe de la révision des condamnations criminelles (GRCC) contenait des erreurs dans les faits, notamment que l’arme du crime avait été trouvée chez le père de Jolivet, alors que le procès a établi que cette arme n’avait jamais été retrouvée, ce qui est toujours le cas à ce jour.

Comme il était d’avis que la décision du GRCC était déraisonnable, Jolivet, par ses avocats, l’attaque en Cour fédérale. Puis, étant aussi d’avis que le GRCC n’avait pu conclure comme il l’avait fait, à moins d’avoir eu accès à l’ensemble des éléments de preuve qui lui avaient été cachés, Jolivet demande au groupe de lui fournir, entre autres, les documents obtenus de la Sûreté du Québec et considérés par le GRCC avant de conclure au rejet de sa demande de révision.

Le GRCC refuse la transmission des documents obtenus de la Sûreté du Québec au motif qu’ils ne seraient pas pertinents aux fins de statuer sur la légalité de sa décision. Il ajoute que certains documents ont été renvoyés à la Sûreté du Québec sans que des photocopies aient été faites. Enfin, ils font valoir que Jolivet devrait plutôt se prévaloir de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels du Québec.

Certains pourraient dire que ces arguments montrent bien l’attitude du GRCC, qui n’a pas l’habitude d’aider un demandeur à faire la preuve de son innocence.

En 2011, un juge de la Cour fédérale ordonne au ministre et au responsable du GRCC de transmettre les documents qui étaient devant le groupe lorsqu’il a rendu ses décisions du 24 septembre 2007 et du 13 novembre 2008, sauf ceux visés par le secret professionnel ou le secret avocat-client. Il ordonne aussi d’identifier quels documents se trouvaient devant le groupe lorsqu’il a pris ses décisions, mais ne se trouvent plus en sa possession. Il a donc fallu l’intervention d’un juge pour obtenir une certaine collaboration.

En septembre 2016, Jolivet soumet au GRCC une deuxième demande de révision appuyée par de nouvelles preuves. Rien n’y fait et, encore une fois, en octobre 2018, donc deux ans plus tard, le GRCC rejette sa nouvelle demande sans même passer à la deuxième étape, soit une enquête par le groupe ou par une personne désignée à cet effet.

En 2021, Jolivet présente une troisième demande de révision au GRCC. Avant de déposer sa demande, son avocate, qui est maintenant juge, et une personne qui croit en l’innocence de Jolivet me contactent.

(1840)

Après avoir passé plusieurs jours à prendre connaissance du volumineux dossier, je suis troublé par le défaut du ministère public d’avoir caché à l’avocat de Jolivet, avant le procès, l’ensemble du dossier d’enquête qui contenait des éléments susceptibles d’influencer l’issue du procès.

Comme Jolivet n’est pas un enfant de chœur et qu’il a un casier judiciaire étoffé, je demande qu’il se soumette à un détecteur de mensonges, ce qu’il accepte de faire.

Les résultats du test confirment qu’il dit la vérité lorsqu’il déclare ne pas avoir commis ces quatre meurtres.

De plus, je note que même s’il pourrait soumettre une demande de libération sous condition à la Commission des libérations conditionnelles, il ne le fait pas, parce qu’il refuse de reconnaître le bien-fondé de sa condamnation.

C’est alors que j’accepte d’aider bénévolement son avocate à rédiger une nouvelle demande de révision au Groupe de la révision des condamnations criminelles (GRCC).

De plus, un avocat criminaliste bien connu de Montréal, convaincu qu’il fallait un nouveau procès, accepte, lui aussi bénévolement, d’aider à la rédaction de la troisième demande de révision.

Deux ans plus tard, la troisième demande, qui me semblait commander un renvoi aux tribunaux du dossier, est rejetée sans même passer à la deuxième étape : celle de l’enquête.

À ce jour, Jolivet est toujours en détention, même si celle-ci excède désormais 25 ans et que la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ne requiert pas que le prisonnier reconnaisse sa responsabilité.

Jolivet ne veut qu’une chose : un nouveau procès ou un renvoi à la Cour d’appel.

Sa situation s’apparente ainsi à celle qui est décrite dans un jugement de 2019 de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, dans l’affaire Skiffington, où le juge a écrit ce qui suit :

[Traduction]

... on peut soutenir avec force que la seule raison, ou du moins la raison principale, pour laquelle le demandeur n’est pas actuellement dans la collectivité, à bénéficier d’une libération structurée, c’est qu’il continue d’affirmer son innocence et son désir de faire réviser sa condamnation.

Je passe maintenant à la deuxième partie de mon discours.

En 1969, David Milgaard est inculpé pour le viol et le meurtre d’une étudiante en soins infirmiers à Saskatoon. Il a 16 ans à l’époque. En janvier 1970, à l’issue d’un procès devant juge et jury, il est reconnu coupable de meurtre et condamné à la prison à vie, malgré son jeune âge. Sa condamnation est confirmée par la Cour d’appel de la Saskatchewan, et sa demande d’interjeter appel devant la Cour suprême est refusée.

Avec l’aide de sa mère, Joyce, David commence à clamer publiquement son innocence en 1980. À l’insu de David et de sa mère, l’ex-femme d’un certain Larry Fisher se rend au service de police de Saskatoon pour signaler qu’elle soupçonne son ex-mari d’avoir tué l’étudiante. Le service de police de Saskatoon ne donne pas suite à sa déclaration.

Une demande de révision est déposée en décembre 1988. Le ministre de la Justice de l’époque la rejette le 27 février 1991.

Par une lettre datée du 14 août 1991, il fait une deuxième demande sur la base de motifs différents, et envoie une copie au premier ministre de l’époque, M. Mulroney. Cette demande donne lieu à une rencontre entre la mère de David et le très honorable Brian Mulroney.

Après cette réunion, le gouverneur en conseil a présenté un renvoi à la Cour suprême, où il est indiqué :

[...] ATTENDU QUE la question de savoir s’il y a eu erreur judiciaire cause de graves préoccupations et qu’il est dans l’intérêt de la justice que cette question soit examinée [...]

La Cour suprême a entendu plusieurs témoins en quelques jours, ce qui est très rare à la Cour suprême, dont M. Milgaard, qui n’avait pas témoigné lors de son procès, et de nouveaux éléments de preuve ont été présentés, y compris en ce qui concerne Larry Fisher.

Dans son jugement rendu public le 14 avril 1992, la Cour suprême a déclaré :

[...] nous sommes convaincus qu’on nous a présenté une nouvelle preuve raisonnablement digne de foi dont on peut raisonnablement penser que, considérée avec la preuve présentée au procès, elle aurait pu avoir une incidence sur le verdict. Nous conseillerons donc au ministre de la Justice d’annuler la déclaration de culpabilité et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès [...]

En d’autres termes, la procédure d’alors ne fonctionnait pas, et il fallait que la Cour suprême ordonne au ministre de renvoyer l’affaire devant les tribunaux.

Le ministre de la Justice a alors ordonné un nouveau procès, mais la Couronne de la Saskatchewan a choisi de suspendre les procédures, privant ainsi M. Milgaard d’un éventuel jugement rejetant l’accusation.

M. Milgaard a été libéré de prison le 16 avril 1992, mais son innocence était toujours mise en doute. Il continuait de clamer son innocence.

Cinq ans plus tard, le 18 juillet 1997, un laboratoire d’analyse d’ADN du Royaume-Uni publiait un rapport confirmant que les échantillons de sperme sur les vêtements de la victime ne provenaient pas de Milgaard, mais de Fisher. M. Fisher a été arrêté et condamné deux ans plus tard pour ce meurtre.

Le 17 mai 1999, les gouvernements du Canada et de la Saskatchewan ont annoncé un règlement avec Milgaard dans le cadre duquel il a reçu 10 millions de dollars en indemnisation pour sa douleur et sa souffrance, la perte de son salaire et ses frais juridiques.

Quatre ans plus tard, le 30 septembre 2003, le gouvernement de la Saskatchewan a annoncé qu’une commission d’enquête parlementaire enquêterait sur la condamnation injustifiée de Milgaard. Cinq ans plus tard, la commission indiquait que la police, qui subissait des pressions pour résoudre le crime, avait porté son attention sur Milgaard et ses deux amis, avait presque contraint les amis à faire de fausses déclarations et s’était fiée à un faux témoignage donné par la personne à qui Milgaard et ses deux amis rendaient visite et qui, soit dit en passant, sous-louait son sous-sol au meurtrier.

C’est ce qu’on appelle une vision en tunnel. Lorsque la police adopte un raisonnement initial et que tout est organisé pour cadrer avec ce raisonnement, on appelle cela une vision en tunnel.

Le commissaire, un juge, a conclu ceci :

Le système de révision des condamnations au Canada est fondé sur la pensée que les condamnations injustifiées sont rares et que toute mesure de redressement accordée par le ministre fédéral est un recours extraordinaire. Un changement est nécessaire pour refléter la compréhension actuelle du caractère inévitable des condamnations injustifiées et de la responsabilité du système de justice pénale de corriger ses propres erreurs […] Je recommande que l’enquête sur les allégations de condamnation injustifiée soit confiée à un organisme de révision indépendant du gouvernement [...]

En fait, l’argumentaire en faveur de ce projet de loi peut tenir en seulement 183 mots. C’est la longueur de la chanson « Wheat Kings » du groupe de rock canadien The Tragically Hip, qui raconte l’histoire de David Milgaard. La chanson est sortie sur l’album Fully Completely en octobre 1992, six mois après la libération de David.

Bien entendu, il existe d’autres cas d’erreurs judiciaires graves, notamment celui de Donald Marshall Jr., en Nouvelle-Écosse, auquel mon collègue le sénateur Cuzner a récemment fait référence.

Je passe à la troisième partie.

L’initiateur du projet de loi est l’honorable David Lametti. Lors de l’élection générale de 2019, le ministre Lametti a annoncé que, s’il était réélu, le Parti libéral ferait pression pour la création d’une commission indépendante. Lorsqu’il lui a été demandé de reprendre le poste de ministre de la Justice, il a insisté pour que le premier ministre inclue dans sa lettre de mandat la création d’une commission indépendante.

En mars 2021, il a nommé un comité spécial composé de deux juges à la retraite : Harry LaForme, premier Autochtone nommé à une cour d’appel, et Juanita Westmoreland-Traoré, première Canadienne noire à accéder à la magistrature au Québec.

(1850)

Cette commission a organisé 45 tables rondes auxquelles ont participé 215 personnes, elle a entendu 17 personnes exonérées qui ont été victimes d’erreurs judiciaires, et elle s’est entretenue avec des représentants de commissions étrangères sur les erreurs judiciaires. Elle s’est également entretenue avec des victimes d’actes criminels et des représentants du corps policier, des procureurs, des avocats de la défense, des responsables de l’aide juridique, des juges et des experts légistes.

Dans son rapport, soumis au ministre de la Justice en novembre 2021, la commission a conclu à l’urgence d’établir une commission de révision indépendante et a fait 51 propositions concernant ses fonctions et sa composition. Elle a constaté que le système actuel ne permet pas aux femmes, aux Autochtones et aux Noirs d’obtenir réparation.

Cela a mené à la rédaction du projet de loi C-40, qui a été présenté le 16 février 2023 et adopté avec dissidence à la Chambre le 19 juin 2024.

Aujourd’hui, je tiens à remercier David Lametti d’avoir proposé un projet de loi qui répond au souhait de David Milgaard et de sa famille. Celui-ci permettra d’éviter que son calvaire ne se répète. Comme l’a dit M. Milgaard : « Les personnes condamnées à tort ont déjà été déçues une fois par le système de justice. Les laisser tomber une seconde fois n’est pas une option négociable. »

J’en viens maintenant aux principales caractéristiques du processus proposé. Une commission indépendante examinerait les cas où des erreurs judiciaires auraient été commises, ferait enquête à cet égard et, le cas échéant, renverrait les dossiers à une cour d’appel ou ordonnerait la tenue d’un nouveau procès.

Le projet de loi C-40 élargit les groupes de personnes qui peuvent demander un examen, notamment en incluant les personnes qui ont été déclarées coupables sous le régime de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents ou de la Loi sur les jeunes contrevenants, celles qui ont plaidé coupables, celles qui ont été absoutes en vertu de l’article 730 du Code criminel, et celles qui ont reçu un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux. Les changements apportés mettent œuvre les recommandations 20 et 21 du rapport.

L’inclusion des accusés qui ont plaidé coupable est vraiment la bienvenue. En effet, 18 % des condamnations injustifiées figurant dans le registre canadien des condamnations injustifiées résultent de plaidoyers de culpabilité qui ont souvent été faits sous la pression de la négociation, par crainte d’une peine plus sévère ou en raison de conseils juridiques inadéquats. Notons aussi que la quasi-totalité des personnes qui ont plaidé coupable malgré leur innocence étaient des Autochtones, des personnes racisées, des femmes ou des personnes handicapées.

Comme le régime existant, la nouvelle procédure exige qu’un demandeur épuise d’abord ses droits d’appel, tout en laissant à la commission le pouvoir discrétionnaire d’écarter cette exigence.

Le projet de loi indique aussi que la commission doit traiter la demande « le plus rapidement possible et fourni[r] régulièrement au demandeur des mises à jour ». Il s’agit là d’un véritable revirement par rapport à la procédure actuelle, croyez-moi.

En ce qui concerne le seuil applicable, la commission peut mener une enquête relativement à une demande :

[s]i elle a des motifs raisonnables de croire qu’une erreur judiciaire a pu être commise ou si elle estime que cela servirait l’intérêt de la justice [...]

Ce seuil pour donner lieu à une enquête est beaucoup plus facile à atteindre que sous le régime actuel, et il s’agit d’une amélioration essentielle, car nous savons que des erreurs judiciaires se produisent.

Au terme de l’examen, la commission doit prendre une décision au sujet de la demande. Si elle a des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire a pu être commise et qu’elle estime que cela servirait l’intérêt de la justice, elle peut renvoyer l’affaire devant la cour.

Il convient de souligner que le projet de loi décrit les facteurs que la commission doit prendre en compte pour prendre sa décision dans l’intérêt de la justice, notamment les deux suivants : premièrement, la situation personnelle du demandeur, et deuxièmement, les difficultés spécifiques rencontrées par les demandeurs appartenant à certaines populations pour obtenir des mesures de redressement en cas d’erreur judiciaire, particulièrement en ce qui touche la situation des demandeurs autochtones ou noirs. Il s’agit manifestement d’une réponse à la discrimination systémique associée au processus pénal lorsqu’il s’applique à ces groupes.

La commission se composera d’un commissaire en chef et de quatre à huit autres commissaires. Lorsqu’il recommande des commissaires, le ministre de la Justice :

[...] cherche à refléter la diversité de la société canadienne et tient compte de facteurs comme l’égalité des genres et la surreprésentation de certains groupes dans le système de justice pénale, notamment les peuples autochtones et les personnes noires.

De plus, tous les commissaires devront posséder « des connaissances et de l’expérience liées à la mission de la [c]ommission ».

Cependant, seuls le commissaire en chef et au moins le tiers, mais pas plus de la moitié, des commissaires seront des avocats ayant au moins 10 ans d’expérience en droit pénal. L’autre moitié sera composée de personnes qui n’ont pas de formation juridique, mais qui connaissent bien le système.

La commission devra publier ses décisions en ligne, ce qui tranche avec le manque de transparence du régime actuel, qui n’oblige pas le ministre de la Justice à publier les décisions sur la révision des condamnations.

Enfin, la commission sera habilitée à fournir aux demandeurs et aux demandeurs potentiels des informations et des conseils à chaque étape du processus d’examen. En outre, elle pourra offrir du soutien aux demandeurs dans le besoin, notamment en les orientant vers des services communautaires, en les aidant à accéder à des services, en leur fournissant des services de traduction ou d’interprétation, ou en les aidant à obtenir une assistance juridique en lien avec leur demande. Il faut savoir que bon nombre des demandeurs sont en prison et qu’il leur est donc difficile d’accéder ne serait-ce qu’à une photocopieuse.

Si l’on considère que de nombreuses personnes condamnées à tort purgent leur peine en prison, où, comme je l’ai dit, elles ont un accès limité aux ressources et elles ont du mal à parler à un avocat, c’est une évolution très positive.

Enfin, avant de conclure, je souhaite saluer le travail d’Innocence Canada, anciennement l’Association in Defence of the Wrongly Convicted. Il s’agit d’une organisation à but non lucratif fondée en 1993 qui se concentre sur les personnes objectivement innocentes, ce qui nous rappelle de façon marquante que lorsque nous parlons d’erreurs judiciaires, nous ne parlons pas seulement des personnes qui n’auraient pas dû être condamnées au sens juridique, mais aussi de celles qui n’ont vraiment pas commis les crimes pour lesquels elles ont été condamnées.

Depuis sa création, Innocence Canada a contribué à disculper 29 personnes innocentes, dont Guy Paul Morin.

En conclusion, chers collègues, un système de justice pénale entièrement dépourvu d’erreurs est impossible. Toutefois, pour paraphraser M. Milgaard, il est en notre pouvoir de faire en sorte que le système de justice ne laisse pas tomber une seconde fois les personnes condamnées à tort.

Le projet de loi nous donne un moyen de remplir cette obligation cruciale, et compte tenu des circonstances qui règnent dans la bulle d’Ottawa, je nous invite à terminer notre deuxième lecture le plus rapidement possible.

Merci. Meegwetch.

Son Honneur la Présidente : Sénatrice Batters, aviez-vous une question? Est-ce une question brève? Je devrai tenir compte de l’heure.

L’honorable Denise Batters : Oui, j’ai deux questions brèves. D’abord, sénateur Dalphond, merci de votre discours. Voici une de mes questions : présentement, les révisions sont traitées par le ministre de la justice, par l’intermédiaire — vous l’avez mentionné dans votre discours — du Groupe de la révision des condamnations criminelles. Vous avez ajouté qu’il s’agissait d’un groupe au sein du ministère de la Justice. Qui sont les membres de ce groupe? S’agit-il tous d’avocats?

Le sénateur Dalphond : Merci beaucoup. C’est une excellente question. Ce sont des avocats. Ils sont sous la supervision d’un directeur, qui est également avocat, et ils travaillent séparément du cabinet du ministre. Ils ne rendent pas de comptes au ministre, sauf à la fin, lorsqu’ils présentent un rapport d’enquête et quelques suggestions sur le type de décisions qui seront prises, y compris des avis juridiques.

La sénatrice Batters : Je m’interroge : vous avez parlé du petit nombre d’environ 200 cas qui ont été renvoyés devant les tribunaux au cours des 20 dernières années; je suis désolée, 30 cas sur les 200 ont été renvoyés devant les tribunaux. Aucune de ces affaires ne concernait une femme. Vous en avez parlé dans votre discours, tout comme le sénateur Arnot, et on a discuté de la possibilité que les femmes, en tant que groupe, soient mal servies.

(1900)

Je me suis demandé quelle était la proportion de femmes parmi les personnes condamnées au Canada. Mon assistante vient de me faire parvenir une statistique selon laquelle 6 % des délinquants fédéraux au Canada sont des femmes. C’est donc un très petit pourcentage.

Je me demande si vous savez également quel est le pourcentage de femmes parmi les personnes condamnées pour des crimes violents au Canada, car j’imagine qu’il est aussi très faible.

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, il est 19 heures. Conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je suis obligée de quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, moment où nous reprendrons nos travaux, à moins que vous souhaitiez ne pas tenir compte de l’heure.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, de ne pas tenir compte de l’heure?

Des voix : D’accord.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : J’ai entendu un « non ».

Honorables sénateurs, le consentement n’a pas été accordé. Par conséquent, la séance est suspendue, et je quitterai le fauteuil jusqu’à 20 heures.

(La séance du Sénat est suspendue.)

(Le Sénat reprend sa séance.)

(2000)

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Le discours du Trône

Motion d’adoption de l’Adresse en réponse—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Gold, c.p., appuyée par l’honorable sénatrice LaBoucane-Benson,

Que l’Adresse, dont le texte suit, soit présentée à Son Excellence la gouverneure générale du Canada :

À Son Excellence la très honorable Mary May Simon, chancelière et compagnon principal de l’Ordre du Canada, chancelière et commandeure de l’Ordre du mérite militaire, chancelière et commandeure de l’Ordre du mérite des corps policiers, gouverneure générale et commandante en chef du Canada.

QU’IL PLAISE À VOTRE EXCELLENCE :

Nous, sujets très dévoués et fidèles de Sa Majesté, le Sénat du Canada, assemblé en Parlement, prions respectueusement Votre Excellence d’agréer nos humbles remerciements pour le gracieux discours qu’elle a adressé aux deux Chambres du Parlement.

L’honorable Paul J. Prosper : Honorables sénateurs, le débat sur cet article est ajourné au nom de l’honorable sénateur Plett, et je demande le consentement du Sénat pour que, à la suite de mon intervention, le reste du temps de parole du sénateur lui soit réservé.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé?

Des voix : D’accord.

Son Honneur la Présidente : Il en est ainsi ordonné.

Le sénateur Prosper : Honorables sénateurs, comme l’a déclaré Son Excellence la très honorable Mary Simon dans le discours du Trône :

La réconciliation n’est pas un geste ponctuel assorti d’une échéance. La réconciliation est le cheminement de toute une vie vers la guérison, le respect et la compréhension.

Chers collègues, dans mon discours, je me pencherai sur la signification de la réconciliation et sur sa relation avec l’obligation de consulter. Je parlerai du projet de loi C-49, de mon cher ami Wayne Fulcher et d’un rêve étrange à propos du projet de loi C-49. Enfin, je ferai un hommage sous forme de post-scriptum.

Le projet de loi C-49, Loi modifiant la Loi de mise en œuvre de l’Accord atlantique Canada — Terre-Neuve-et-Labrador et la Loi de mise en œuvre de l’Accord Canada — Nouvelle-Écosse sur les hydrocarbures extracôtiers et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, est fort complexe.

Je n’ai pas pu participer à l’étape de la troisième lecture la semaine dernière en raison de mes engagements préalables, mais j’ai regardé les débats enregistrés. Je tiens à remercier les sénateurs Deacon, Ross, Aucoin, Robinson, Verner et Tannas, ainsi que tous les autres membres du Groupe des sénateurs canadiens. Merci d’avoir aidé à faire en sorte que ma voix puisse être entendue dans cette enceinte et au comité. Je remercie également le sénateur Wells et la sénatrice McCallum de leur soutien. Enfin, je remercie le sénateur Dalphond de m’avoir traité de fauteur de troubles.

Chers collègues, la consultation, c’est la réconciliation en action. La loi prévoit que, lorsque la Couronne envisage une action ou une décision susceptible de porter atteinte à un droit visé à l’article 35, elle a l’obligation de consulter les détenteurs de ces droits et, le cas échéant, de tenir compte des intérêts des Autochtones. Les Mi’kmaqs ont des droits ancestraux et issus de traités qui ont été reconnus et confirmés par la plus haute instance de notre pays, la Cour suprême du Canada.

Je tiens à souligner les efforts et le succès de la sénatrice Petten en tant que marraine du projet de loi C-49 au Sénat. Dans son discours à l’étape de la troisième lecture, elle a indiqué :

Cette mesure législative créera de nouveaux débouchés économiques, mais le projet de loi veille à ce que cela se fasse en consultant les peuples autochtones [...]

Elle a poursuivi ainsi :

Nous prenons au sérieux l’obligation de consulter les peuples autochtones sur toute question touchant leurs droits et intérêts durant le cycle de vie des projets d’énergie renouvelable extracôtière.

Chers collègues, dans le cas du projet de loi C-49, les preuves sont là. Il est clair que, dans le cas du projet de loi C-49 et des lois provinciales qui lui font écho, il peut y avoir un intérêt juridique ou une obligation pour l’organisme de réglementation de consulter les Autochtones ou d’accommoder leurs intérêts en vertu de l’article 35. Pourtant, les gouvernements fédéral et provinciaux n’ont procédé à aucune consultation lors de la rédaction du projet de loi C-49.

Il est clair que les preuves de dialogue se limitent à deux lettres, à une réponse et à une réunion avec des représentants des communautés, et que le dialogue est séparé et distinct de l’obligation de consulter qui incombe à la Couronne. Il est clair que, depuis 2010, un accord officiel — le cadre de référence — définit la manière dont les consultations doivent se dérouler en Nouvelle-Écosse. Ce cadre de référence a été utilisé pour des centaines de consultations entre les Mi’kmaqs et les gouvernements fédéral et provincial. Il est clair que ni le gouvernement fédéral ni le gouvernement provincial n’ont soulevé la question du projet de loi C-49 lors des nombreuses consultations et réunions avec les Mi’kmaqs dans le domaine de l’énergie.

Le gouvernement fédéral considère qu’une consultation a lieu à l’étape de l’autorisation finale. Le chef Sidney Peters, coprésident de l’Assemblée des chefs mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse, a été mandaté par 12 des 13 bandes mi’kmaqs de Nouvelle-Écosse pour proposer des modifications au projet de loi C-49. Un processus de consultation avec les Mi’kmaqs devrait couvrir tous les principaux points de décision dans le processus de planification stratégique tel qu’il est décrit dans le projet de loi C-49.

Mercredi dernier, j’ai assisté à la célébration de la vie de mon cher ami Wayne Fulcher. Mon père est décédé quand j’avais deux ans, et Wayne a été comme un père pour moi. Il était présent dans cette enceinte l’an dernier quand j’ai prêté serment comme sénateur, et il est décédé à l’âge de 83 ans.

Ce que j’aimais chez Wayne, c’est qu’il avait toujours soif d’apprendre. Avec sa conjointe, Mary Ann, il a fondé la Fondation Fulcher, un organisme de bienfaisance privé axé sur l’inclusion, la croissance économique rurale et la durabilité. La Fondation Fulcher parraine un projet de gouvernance avec le Grand Conseil des Mi’kmaqs. Il s’agit d’un excellent exemple de réconciliation en action.

Wayne disait souvent : « Dites ce que vous pensez et pensez ce que vous dites. » Il ne supportait pas que les gens tournent autour du pot et ne s’expriment pas franchement. Ensuite, il s’attendait à ce que les gens respectent leur parole et agissent en conséquence; il voulait que les engagements soient respectés.

Lors de la cérémonie, quelqu’un a cité une phrase de George Bernard Shaw qui semblait résumer la vie de Wayne. Elle va comme suit :

Ceci est la vraie joie de vivre, servir un but que nous reconnaissons comme grandiose; être une force de la nature au lieu d’être une petite motte fiévreuse et égoïste de griefs et de tracas se plaignant que le monde n’est pas en train de se consacrer à son bonheur. Je suis convaincu que ma vie appartient à la communauté tout entière, et que tant que je vis c’est pour moi un privilège de faire tout ce que je peux pour elle. Je veux être usé jusqu’à la corde au moment de ma mort, car plus je travaille dur plus je vis. Je me réjouis de vivre au nom de la vie. La vie n’est pas pour moi une chandelle éphémère. C’est une sorte de flambeau splendide qu’il m’a été donné de tenir pour le moment, et je veux que sa flamme brûle de façon aussi éclatante que possible avant de la transmettre aux générations futures.

(2010)

Voilà qui représente l’esprit de Wayne Fulcher, et il me manquera à jamais.

Voici maintenant l’acte final. Vous vous demandez peut-être pourquoi j’ai intitulé ainsi cette partie. C’est parce que je suis obsédé par le projet de loi C-49. Sénatrice Petten, je ne dis pas que vous m’obsédez.

Chers collègues, les droits ancestraux ou issus de traités reposent en grande partie sur l’histoire, la culture et la tradition. Je ne pouvais pas croire que les droits constitutionnels des Mi’kmaqs ont été abandonnés dans l’ébauche du projet de loi C-49. Le chemin qui a conduit au litige à propos des droits des Mi’kmaqs est parsemé de décisions politiques expéditives et de compromis. J’attire l’attention des fonctionnaires, des ministres et des parlementaires sur le fait qu’il existe un processus de consultation efficace en Nouvelle-Écosse. Renseignez-vous à ce sujet. Utilisez-le.

Mon obsession à l’égard du projet de loi C-49 s’est même transposée dans mes rêves. Avez-vous déjà vu le film L’enlèvement mettant en vedette Liam Neeson? Dans ce film, il y a une scène où son personnage parle au téléphone avec l’individu qui a kidnappé sa fille. J’ai rêvé que j’étais Liam Neeson et que le kidnappeur était le gouvernement fédéral, qui gardait en otage les droits des Mi’kmaqs. Vous vous rendez compte?

Le dialogue était le suivant :

Je ne sais pas quel ordre de gouvernement vous représentez. Je ne sais pas ce que vous voulez. Si vous cherchez à rançonner nos droits en tant que Mi’kmaqs, je peux vous dire que je n’ai pas d’argent, mais que j’ai un ensemble de compétences très pratiques que j’ai acquises au cours d’une très longue carrière et qui font de moi un cauchemar pour des gens comme vous. Si vous nous consultez véritablement sur nos droits, vous n’aurez rien à craindre. Je ne vous chercherai pas. Je ne vous poursuivrai pas devant les comités. Cependant, si vous ne le faites pas, je vous chercherai, je vous trouverai et je laisserai un grand carnage dans mon sillage.

J’espère ne plus faire de rêves de ce genre.

Finalement, je désire dédier ce discours à ma sœur Dolly — ou Darlene — Prosper.

La sénatrice Coyle a travaillé avec Dolly à l’Université St. Francis Xavier. Il y a un an exactement, Dolly a entrepris son voyage dans le monde des esprits. Elle a joué un rôle majeur dans le développement de ma carrière. Elle m’a convaincu à deux reprises de me présenter comme chef de ma communauté. Au dos de sa carte funéraire figure une citation de Marianne Williamson. Elle se lit comme suit :

Notre peur la plus profonde n’est pas que nous ne soyons pas à la hauteur. Notre peur la plus profonde est que nous soyons puissants au-delà de toutes limites. C’est notre lumière et non nos ténèbres qui nous effraie le plus. Nous nous demandons : Qui suis-je pour être brillant, magnifique, talentueux et fabuleux? En fait, qui es-tu pour ne pas l’être? Tu es un enfant de Dieu. Te restreindre et voir petit, ne rend pas service au monde. Il n’y a rien de brillant à se diminuer afin que les autres ne puissent pas se sentir menacés autour de toi. Nous sommes tous nés pour briller, comme des enfants le font. Nous sommes nés pour rendre manifeste la gloire de Dieu qui est en nous. Elle n’est pas seulement chez certains d’entre nous, elle est en chacun de nous. Alors que nous laissons notre propre lumière briller, inconsciemment nous donnons aux autres la permission d’en faire de même. Alors que nous nous libérons de notre propre peur, notre présence libère automatiquement les autres.

Wela’lioq, merci beaucoup.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, j’aimerais poursuivre ma réponse au discours du Trône. Je suis persuadé que plusieurs d’entre vous auraient aimé que nous ayons toujours la pause de deux heures pour le souper plutôt que la pause d’une heure que nous avons maintenant. J’aimerais néanmoins prendre la parole un certain temps. Comme je l’ai dit la dernière fois, je ne fais pas cela pour les gens au Sénat. Je fais cela pour les 750 000 personnes qui ont visionné un de mes récents discours dans lesquels j’ai parlé des échecs de ce gouvernement. Je fais cela au nom des milliers de personnes qui m’ont demandé de poursuivre sur ma lancée. Je prononce ce discours au nom de mon chiropraticien qui, pas plus tard que lundi, m’a demandé « Quand allez-vous prononcer votre prochain discours? J’ai hâte de vous entendre. »

Aujourd’hui, je vais parler des expériences ratées de « l’apprenti sorcier woke ».

Comme je l’ai dit, je prends la parole pour poursuivre ma réponse au discours du Trône, en me concentrant sur le legs de Justin Trudeau.

Comme beaucoup de mes honorables collègues le savent — ou non —, le poète allemand Johann Wolfgang von Goethe a écrit en 1797 un poème intitulé « Der Zauberlehrling », ou « L’apprenti sorcier » en français. Il raconte l’histoire d’un vieux sorcier qui s’était absenté de son atelier en laissant quelques tâches à son apprenti.

Fatigué de traîner un seau pour aller puiser son eau, l’apprenti jette un sort à un balai pour qu’il fasse le travail à sa place, alors qu’il ne connaît pas tout de la magie. Le sol se trouve bientôt complètement détrempé, et l’apprenti se rend compte qu’il ne peut pas arrêter le balai parce qu’il ne connaît pas la formule magique. L’apprenti s’empare alors d’une hache et fend le balai en deux, mais chacun des deux morceaux devient un balai à part entière, qui prend les seaux et continue d’aller puiser de l’eau, deux fois plus vite qu’avant. À ce rythme, la pièce entière se retrouve rapidement inondée.

Alors que tout semble perdu, le vieux sorcier revient et rompt rapidement le charme. Le poème se termine par une déclaration du vieux sorcier, qui dit que seul un maître devrait invoquer des esprits puissants.

Dans le poème, l’apprenti sorcier a recours à la magie pour alléger sa charge de travail, mais comme ses connaissances et sa compréhension sont limitées, le sort qu’il jette crée plus de problèmes qu’il n’en résout. Le poème illustre les dangers du pouvoir en l’absence de sagesse, ainsi que le risque que les créations humaines échappent à tout contrôle. De la même manière, je suis d’avis que Justin Trudeau, avec tout le pouvoir mais sans la sagesse requise, a déployé une idéologie sans la moindre contrainte, faisant de ses piliers la loi du pays, et a entièrement perdu le contrôle de sa propre création.

Le premier ministre présente fièrement le Canada comme l’une des nations les plus progressistes du monde, une nation en tête de peloton sur une toute série d’enjeux sociaux. Dans les faits, toutefois, comme il manque de prévoyance autant que de souplesse ou de subtilité, il a perdu le contrôle du monstre qu’il a créé dans presque tous les grands dossiers de politiques publiques.

Permettez-moi de souligner quelques-uns des domaines cruciaux dans lesquels notre « apprenti » a hâtivement ouvert les vannes, entraînant pour le gouvernement une perte de contrôle totale qui est, dans bien des cas, irrémédiable. Je commencerai par le début, avec une promesse que M. Trudeau a faite avant même de devenir premier ministre : il a promis que l’élection de 2015 serait la dernière à se dérouler selon le système majoritaire uninominal à un tour. C’est une promesse qui avait été faite à plus de 2 000 reprises pendant la campagne électorale. Il s’était engagé à tenir des consultations et à former un comité représentatif pour trouver la meilleure solution.

(2020)

Or, très rapidement, il est devenu évident que le comité spécial, les assemblées citoyennes et les consultations nationales n’étaient rien de plus qu’un écran de fumée excessivement coûteux. Il savait qu’un référendum ne donnerait pas le résultat qu’il voulait alors il a opté pour une approbation automatique déguisée.

Immédiatement après son arrivée au pouvoir, le gouvernement Trudeau a promis que, peu importe le résultat des consultations, il mettrait fin au mode de scrutin en place depuis l’établissement de la démocratie canadienne. De plus, sans surprise, le « comité multipartite » du gouvernement sur la réforme électorale était composé en majorité de libéraux. En outre, le Parti vert et le Bloc Québécois n’avaient même pas le droit de vote. Puis on a donné à ce comité un échéancier impossible de six mois pour produire un rapport et des recommandations. Pour Trudeau, tout allait comme sur des roulettes et son rêve de changer le mode de scrutin de façon à garantir l’élection de gouvernements libéraux à perpétuité allait vite devenir réalité.

Le problème pour le premier ministre, c’est que, contrairement à ce qu’il affirmait publiquement, à savoir que le gouvernement était ouvert à toutes les propositions de réformes, en vérité, il avait déjà choisi un mode de scrutin en particulier et il n’était absolument pas prêt à envisager toute autre solution.

Le premier ministre voulait un mode de scrutin préférentiel, un système qui favoriserait indiscutablement le Parti libéral. Cependant, comme aucun des experts ayant témoigné devant le comité n’avait jugé cette idée judicieuse et que le comité a par la suite recommandé un référendum national, le premier ministre a soudainement tenu beaucoup moins à respecter sa promesse électorale.

En juin 2017, le premier ministre a annoncé qu’il était impossible d’instaurer une réforme électorale, parce qu’aucun des autres partis ne voulait céder à la préférence libérale pour le scrutin préférentiel.

Justin Trudeau s’est servi de la question de la réforme électorale pour obtenir une majorité, mais lorsque sa tentative pour biaiser le système en faveur des libéraux a échoué, il a renié sa promesse, avec cynisme.

On pourrait penser que M. Trudeau accepterait le fait que, lorsqu’on veut modifier le système électoral, on doit atteindre un certain niveau de consensus. On pourrait aussi penser que, puisqu’il n’y avait pas consensus, il aurait l’élégance de se retirer. Non, pas Justin Trudeau. Il a déclaré dans une baladodiffusion la semaine dernière qu’il regrettait de ne pas avoir utilisé sa majorité à la Chambre des communes pour faire avaler son nouveau système aux Canadiens. Il a franchement dit qu’il regrettait de ne pas avoir arranger le système en faveur des libéraux.

Ironiquement, il a également déclaré que l’une des principales raisons pour lesquelles il souhaitait se présenter une nouvelle fois était pour que son fils de 18 ans puisse voter pour lui et non pour ce qu’il ferait pour notre pays.

La réforme électorale n’est pas la seule façon dont Justin Trudeau a voulu faire pencher nos institutions démocratiques en faveur du Parti libéral. Les changements qu’il a apportés au Sénat visaient sans doute à s’assurer que ses politiques, même si elles sont rejetées par une large majorité de Canadiens, survivraient à la déroute électorale qui s’annonce.

Si le désir de réformer le Sénat est aussi ancien que l’institution elle-même, tout changement risquant de compromettre l’objectif même de l’institution a toujours été traité avec une extrême prudence. En 2014, la Cour suprême du Canada a statué que toute tentative d’un premier ministre de modifier fondamentalement la nature du Sénat, sans consulter les provinces, serait inconstitutionnelle. Par le passé, en cas de doute, les premiers ministres ont eu le bon sens de s’adresser à la plus haute instance pour obtenir des éclaircissements.

Pas ce premier ministre. La prudence n’est pas son style. Par opportunisme politique, lors de ce que l’on appelle aujourd’hui le scandale des dépenses du Sénat, Trudeau a décidé de prendre ses distances avec les sénateurs libéraux, du moins aux yeux du public, et de faire passer les libéraux nouvellement nommés au Sénat pour des indépendants.

Il leur a même donné de nouveaux titres amusants, ce qui n’a fait qu’engendrer de l’incertitude dans notre Règlement et donné lieu à lourd processus pour l’adapter aux nouveaux termes inventés.

Peu importe ce que le gouvernement voudrait nous faire croire, ces nouveaux sénateurs ont été triés sur le volet par Justin Trudeau. Ils n’ont pas été choisis par un quelconque groupe. Les 88 sénateurs nommés depuis 2015 ont été choisis par Justin Trudeau personnellement. Depuis neuf longues années, on nous répète que le Sénat de Justin Trudeau est apparemment plus indépendant qu’auparavant. Rien n’est plus faux.

En juillet dernier, nulle autre que la CBC a dit ceci :

Malgré la promesse du premier ministre Justin Trudeau de débarrasser le Sénat de la partisanerie et du favoritisme, la plupart des sénateurs nommés à la Chambre haute au cours de la dernière année ont des liens avec les libéraux.

Ces sénateurs prétendument indépendants ont donné de l’argent aux libéraux fédéraux ou ont travaillé avec le Parti libéral du Canada ou un Parti libéral d’une province.

Toujours en juillet dernier, le Globe and Mail l’a expliqué clairement :

Bien qu’il ait toujours été préférable pour la santé de l’esprit sceptique de mettre les mots « sénateurs indépendants » entre guillemets lorsqu’il s’agissait des convictions politiques des 82 personnes nommées par M. Trudeau depuis 2016, ses dernières nominations en font une nécessité médicale.

C’était avant les nominations les plus récentes.

Je tiens à être clair : je suis favorable aux nominations politiques au Sénat. Je ne vise aucun sénateur en particulier. J’appuie les nominations politiques. Pour faire ce travail efficacement, il faut comprendre le fonctionnement du Canada et de ses institutions politiques. Il faut avoir accès à un réseau, y compris à un caucus, qui fournit des connaissances et des points de vue.

Ce que je n’aime pas, c’est l’hypocrisie associée à l’utilisation du mot « indépendant » alors qu’on a été nommé par un premier ministre ultrapartisan qui est le chef du parti pour lequel on a travaillé pendant des années.

Comme je l’ai dit, nos nouveaux collègues vont se joindre aux dizaines de sénateurs nommés par Justin Trudeau qui votent 96 % du temps de la même manière que le leader du gouvernement au Sénat.

Les Canadiens n’ont pas cru au simulacre d’indépendance du Sénat de Trudeau, mais son expérience représente plus qu’un problème de poudre aux yeux. Premièrement, elle a entraîné une hausse importante des coûts. Avant que Justin Trudeau se mette à nommer de nouveaux sénateurs, le budget du Sénat pour l’exercice 2015-2106 s’élevait à un peu moins de 75 millions de dollars. Après les 82 nominations de Trudeau, le budget pour l’exercice en cours s’élève à 135 millions de dollars, ce qui représente 60 millions de plus pour le Sénat de Trudeau. Ce sont les faits, même si la sénatrice Moncion aimerait changer les chiffres.

Cette situation a également entraîné un manque d’efficacité au Sénat. Ce qui était auparavant négocié entre le gouvernement et l’opposition doit désormais impliquer plusieurs leaders, ce qui rend beaucoup plus difficiles l’obtention d’un consensus et le maintien des accords, même si les autres leaders suivent inévitablement l’exemple du gouvernement. Avec autant de groupes éclatés et un manque de cohésion au sein du caucus, il y a également une augmentation frappante du nombre de sénateurs qui prennent la parole — ce n’est pas seulement moi qui parle pendant une éternité — simplement pour répéter ce qui a déjà été dit. C’est un fardeau accablant pour la productivité.

Les sénateurs qui ont toujours fait preuve d’indépendance bénéficiaient également du soutien de leur caucus national respectif et ils entretenaient des relations de travail avec lui. Les discussions relatives à la rédaction des projets de loi se déroulaient lors des réunions du caucus, au cours desquelles les sénateurs pouvaient s’exprimer, par exemple, sur l’incidence régionale d’une proposition en particulier.

Le sénateur Prosper en est un bon exemple lorsqu’il parle du projet de loi C-49. Si cette question avait relevé de deux caucus, je pense que nous aurions franchi la ligne d’arrivée d’une bien meilleure manière qu’aujourd’hui.

(2030)

Maintenant, lorsque les sénateurs se penchent sur une proposition législative pour la première fois et que chaque sénateur a sa propre petite préoccupation, le processus s’enlise et prend du retard. Combien de projets de loi d’initiative parlementaire avons-nous au Sénat en ce moment? Vous pouvez ajouter à ce gâchis le fait que nous sommes saisis d’un nombre record de projets de loi d’intérêt public du Sénat, ce qui signifie que les comités n’ont plus le temps de mener des études.

Comme toutes les institutions qui existent depuis plus d’un siècle, le Sénat a toujours été appelé à devoir examiner régulièrement ses règles et procédures. Pourtant, ce qui était jadis une institution efficace qui procédait à des examens réfléchis est désormais devenu le vecteur d’innombrables projets personnels mis de l’avant au moyen de projets de loi d’intérêt public du Sénat. Ce qui a commencé comme une expérience de relations publiques précipitée pour Trudeau a entraîné le changement radical d’une institution, dont la productivité, la transparence et la valeur ajoutée pour les contribuables ont diminué.

Comme le Globe and Mail l’a conclu en juillet dernier :

[…] en plus d’être plus coûteux, mais non moins partisan qu’avant, le Sénat est également moins productif.

Il est maintenant clair que la tentative de changer le Sénat n’est qu’une expérience ratée de cet apprenti sorcier woke.

En ce qui concerne le cannabis, Justin Trudeau a abordé la légalisation du cannabis de la même façon : un mélange d’idéologie progressiste, de calcul politique et de désir de profits pour ses amis libéraux. C’était une combinaison gagnante ou du moins, c’est ce qu’il pensait.

Comme le rapporte la journaliste Susan Martinuk :

[…] il a sans doute pensé que ce serait l’une de ses tâches les plus faciles et les plus gratifiantes en tant que nouveau et très cool premier ministre du Canada […]

Cependant, lorsque des problèmes liés au projet de loi C-45 ont été révélés, M. Trudeau a quand même persisté. Comme l’a souligné Mme Martinuk :

La détermination de M. Trudeau à faire adopter le projet de loi C-45 expose clairement le problème que pose ce dernier. Il s’agit d’une mesure décisive qui couvre les politiques publiques, les soins de santé et le droit canadien. Pourtant, les libéraux refusent d’y voir autre chose qu’une promesse électorale qui doit être concrétisée d’ici août, sans se soucier aucunement des détails […]

Comme Trudeau a l’habitude de le faire lorsque les faits s’opposent à son idéologie, il a ignoré les experts. Il n’a pas écouté les services de police, qui ont affirmé ne pas être prêts. Il n’a pas tenu compte de l’avis des experts médicaux, qui ont dit que cette mesure législative présentait un risque important pour les enfants. Il a fait fi des experts du Colorado et de Washington qui sont venus témoigner pour l’exhorter à ralentir et à ne pas brûler les étapes. Ils l’ont prié de prendre son temps, malgré les revendications du public. Il n’a pas écouté non plus les professeurs de droit qui l’ont averti que la légalisation ne ferait pas disparaître le marché noir. Finalement, il a ignoré la Drug Enforcement Administration des États-Unis, qui a déclaré que la production illégale de marijuana avait été multipliée par 20 dans les États américains où cette substance avait été légalisée.

Cela fait maintenant plus de six ans que le cannabis a été légalisé. Comme beaucoup d’entre nous ici s’en souviennent, on nous a promis que la nouvelle politique accomplirait ce qui suit : premièrement, améliorer la sécurité et la santé publique et réduire l’accès des jeunes; deuxièmement, réduire la criminalité liée à la drogue et diminuer, voire éliminer, le marché illégal; et troisièmement, créer une nouvelle industrie rentable et légale.

La première promesse concernant la santé et la sécurité de nos jeunes n’a pas été tenue. À l’occasion du cinquième anniversaire de l’adoption du projet de loi C-45, le Journal de l’Association médicale canadienne a réalisé une vaste étude, l’une des plus importantes du genre, et a ensuite fait état de nombreuses conclusions inquiétantes.

Tout d’abord, selon le rapport, la prévalence de la consommation de cannabis a augmenté. Cette hausse est confirmée par Statistique Canada, dont les données montrent que 14,8 % des Canadiens consommaient du cannabis avant qu’il ne soit légalisé en 2017 et que ce chiffre s’est stabilisé à 22 % en 2021. Cela signifie qu’il y a environ 50 % plus de personnes qui consomment du cannabis par rapport au nombre de personnes qui en consommaient avant sa légalisation.

Ce n’est pas seulement l’augmentation du nombre de consommateurs qui est préoccupante. Il y a aussi la gravité des conséquences de cette consommation accrue. L’étude du Journal de l’Association médicale canadienne a montré une forte augmentation des visites aux urgences liées au cannabis et de la conduite sous l’influence de cette substance depuis la légalisation. L’étude a également découvert que les gens qui se rendent aux urgences parce qu’ils ont consommé du cannabis courent un risque accru de recevoir un diagnostic de schizophrénie. Parallèlement, les spécialistes de la santé mentale d’Ottawa affirment qu’ils constatent une augmentation spectaculaire du nombre de patients présentant des problèmes psychiatriques importants qui semblent liés à la consommation de cannabis, une tendance largement observée dans toute la province.

Le rapport note que, dans l’ensemble de l’Ontario, les taux annuels de psychoses induites par le cannabis ont augmenté de 220,7 % entre 2014 et 2021.

Comme l’avaient prédit ceux d’entre nous qui avaient mis en garde le gouvernement, on a constaté une forte augmentation des empoisonnements au cannabis chez les jeunes enfants dans les provinces où les produits comestibles sont légaux. L’augmentation de la disponibilité a également entraîné une hausse des hospitalisations attribuables au cannabis, en particulier chez les personnes de 25 ans et plus.

Nous en sommes maintenant au point où, selon Statistique Canada, de nombreux Canadiens consomment du cannabis avant ou pendant le travail, ce qui soulève des questions sur la sécurité. Statistique Canada a aussi rapporté que 1 Canadien sur 20 — environ 300 000 personnes — qui avait consommé du cannabis au cours de l’année précédente a obtenu un score suffisamment élevé sur l’échelle de gravité de la dépendance pour être considéré comme présentant un risque de toxicomanie.

Une voix : Cela explique pourquoi les membres du Cabinet Trudeau...

Le sénateur Plett : Merci. Je pense la même chose. Ils... eh bien, je ne peux probablement pas dire cela. Je devrais peut-être me rétracter.

Les résultats qu’on observe sont précisément ceux contre lesquels le premier ministre a été mis en garde. Pourtant, il n’a pas eu la sagesse ni la clairvoyance de prendre le temps de réfléchir ou de s’écarter du principe idéologique qui lui était si cher. Selon un article récent de la CBC — encore une fois, il s’agit de la CBC :

Cinq ans plus tard, les experts en santé publique affirment que la légalisation n’a pas eu d’effets bénéfiques sur la santé; elle est toutefois corrélée à de graves préoccupations.

La deuxième promesse, à savoir la réduction du rôle du crime organisé sur le marché du cannabis, n’a pas non plus été tenue. Le marché noir représente aujourd’hui environ 35 % des ventes, selon Statistique Canada, et ne court pratiquement aucun risque face à la loi. Selon une étude de Deloitte, le prix moyen sur le marché illicite reste inférieur de 20 % à celui pratiqué dans les magasins de détail légaux.

En ce qui concerne les entreprises qui font le commerce légal du cannabis, c’est aussi un échec colossal. Trop d’entreprises sont entrées sur le marché et le gouvernement n’a pas réussi à mettre en place un régime fiscal réaliste.

Paul McCarthy, président du Conseil du cannabis canadien, a été cité en juillet dernier dans le National Post et il a déclaré que 40 % de toutes les demandes de protection contre les créanciers déposées par des entreprises en vue d’une restructuration l’année dernière provenaient du secteur du cannabis. Il a dit que le régime réglementaire et fiscal étouffe cette activité.

Cela n’a toutefois pas d’importance pour bon nombre de proches des libéraux. Ils ont été les premiers à investir dans ce secteur, et certains l’ont fait bien avant que le projet de loi ne soit déposé : ils savaient qu’il s’en venait. Une fois que le projet de loi C-45 a été adopté et que le cannabis a fait fureur sur les marchés boursiers, ils se sont débarrassés de leurs actions dans la production de cannabis avant que leur valeur ne s’effondre.

Au lieu de faire preuve de prudence, Justin Trudeau voulait que le Canada soit, sous sa gouverne, le premier pays à légaliser la marijuana. Il aurait ainsi eu l’air, partout dans le monde, du mec cool qu’il croit être. Tout ce qu’il a réussi à faire, par contre, c’est de créer davantage de problèmes. Il s’agit d’une autre expérience ratée de M. Trudeau.

En ce qui concerne les drogues dangereuses, le gouvernement Trudeau a utilisé la même approche idéologique d’extrême gauche.

(2040)

En 2023, 8 049 personnes sont mortes d’une surdose d’opioïdes au Canada, dont plus de 2 500 en Colombie-Britannique.

Depuis que Justin Trudeau est au pouvoir, la criminalité, l’itinérance et le désespoir ont atteint des niveaux sans précédent. C’est un terrain fertile pour l’augmentation de la toxicomanie et c’est exactement ce qui se produit. Chers collègues, 45 000 personnes ont perdu la vie à cause de la crise des opioïdes toxiques au Canada depuis que Justin Trudeau est devenu premier ministre. Le nombre de décès a augmenté de 184 % par an depuis que notre apprenti sorcier adepte du wokisme est devenu premier ministre du Canada.

Cette année, l’équivalent de la moitié de la population de ma ville, Steinbach, mourra d’une surdose d’opioïdes au Canada. C’est une tragédie nationale. Cela ne tient même pas compte des ravages causés par les autres drogues dures.

Quelle a été la réponse de Justin Trudeau? Tout d’abord, il a décidé de faciliter la mise en liberté sous caution des trafiquants de drogue et il s’est assuré qu’il n’y aurait plus de peines sévères. J’y reviendrai plus tard. Ensuite, le gouvernement s’est lancé dans un programme visant essentiellement à fournir les drogues aux toxicomanes. Au lieu de traiter la dépendance, les libéraux ont décidé qu’il serait bon de l’alimenter, comme pour le suicide assisté, je suppose.

Ce programme est un échec. Il ne réduit pas le nombre de toxicomanes, il l’augmente. Plus tôt cette année, la police a effectué des saisies massives de drogues détournées à Prince George et à Campbell River. Selon le service de police de Vancouver, environ 50 % de tout l’hydromorphone saisi a été détourné du programme de drogues du gouvernement Trudeau, qui a été financé par les contribuables.

Selon le président de l’association des policiers de London, il est de notoriété publique que les prétendus programmes d’approvisionnement sûr font l’objet d’abus et que les drogues sont largement détournées vers la collectivité afin que les consommateurs puissent utiliser les profits de leur vente pour acheter encore plus de fentanyl, une drogue mortelle.

Les drogues dures fournies par le gouvernement Trudeau sont fréquemment revendues à des adolescents et à d’autres Canadiens vulnérables, ce qui les rend dépendants aux opioïdes et les entraîne dans le cycle destructeur de la dépendance.

Non seulement ces piqueries financées par le gouvernement distribuent des drogues qui sont revendues dans la rue, mais elles sont aussi souvent situées dans des zones résidentielles, près des écoles ou des garderies. Pour les libéraux de Trudeau, il n’y a aucun problème à ce que des seringues jonchent les terrains de jeu ou à ce que les maternelles demandent à la police d’accompagner les bambins pendant leur promenade quotidienne pour assurer leur sécurité.

Une autre politique cinglée mise en place par les libéraux cinglés est la décriminalisation des drogues dures. La Colombie-Britannique, où Trudeau — l’apprenti sorcier — a commencé son expérience, a enregistré une augmentation de 400 % des décès causés par une surdose de drogues. Les surdoses de drogues constituent maintenant la principale cause de décès chez les jeunes Britanno-Colombiens âgés de 10 à 18 ans. C’est navrant, chers collègues. Navrant.

Cette expérience a également conduit à une consommation de drogue généralisée et ouverte dans les terrains de jeux, les espaces publics et même les hôpitaux. C’est pourquoi même le premier ministre néo-démocrate de la Colombie-Britannique a dû demander au gouvernement de faire marche arrière avec cette dangereuse expérience ratée.

Si vous ne me croyez pas lorsque j’affirme que le plan de Trudeau n’est qu’une expérience ratée, tournez-vous vers notre ancien collègue Larry Campbell, à qui l’on peut reprocher bien des choses, chers collègues, mais être conservateur n’en fait pas partie. Le sénateur Campbell était un fervent partisan de l’approche Trudeau en matière de drogues illégales. En juillet dernier, il a déclaré que le gouvernement avait fait une erreur en décriminalisant la possession de petites quantités de drogues illicites sans réfléchir aux répercussions sur les collectivités. Il a ajouté que le gouvernement avait commis une erreur encore plus grave en commençant à distribuer des opioïdes sur ordonnance aux toxicomanes. Selon le sénateur Campbell, le gouvernement a trop mis l’accent sur la réduction des méfaits liés à la consommation de drogues au lieu d’aider les gens à se libérer de leur dépendance. Il est rare que je sois d’accord avec le sénateur Larry Campbell, mais c’est le cas en l’occurrence. Cette expérience a été un échec.

Le mandat de Justin Trudeau en tant que premier ministre a été marqué par la COVID. Une telle pandémie ne s’était pas produite depuis un siècle, ce qui a évidemment donné lieu à beaucoup d’improvisation et d’expérimentation de la part des gouvernements, ici et dans le monde entier. Permettez-moi de résumer la façon dont le gouvernement de Justin Trudeau s’en est sorti.

Tout d’abord, nous pouvons tous déplorer le fait qu’aucune des leçons qui auraient dû être tirées de pandémies moins importantes telles que le SRAS-CoV ou la grippe aviaire ne semble avoir été retenue par le gouvernement fédéral. C’est comme si nous avions été pris au dépourvu, sans équipement ni plan. Je trouve cela étrange étant donné que le gouvernement conservateur précédent l’avait clairement indiqué — il y avait plutôt ici un ministre qui voulait parler du gouvernement conservateur précédent. Des plans avaient été élaborés et nous disposions de stocks suffisants d’équipements de protection individuelle. Il est évident que le gouvernement libéral n’a pas maintenu nos stocks stratégiques de ces équipements et qu’il ne s’est pas préparé de manière adéquate à une pandémie que presque tous les experts avaient prédite.

Donc, pris au dépourvu, comment Justin Trudeau et compagnie ont-ils réagi? Tout d’abord, ils ont nié qu’il y avait un problème. Ils ont cru tous les mensonges que le Parti communiste chinois et l’Organisation mondiale de la santé ont débités jusqu’à ce qu’il devienne manifeste qu’il s’agissait bel et bien de mensonges. Même si les organismes de sécurité et nos alliés ont averti le gouvernement Trudeau de la propagation rapide de cette maladie dangereuse, le gouvernement n’a pas pris la menace au sérieux. Les libéraux ont refusé d’interrompre les vols en provenance de Chine avant qu’il ne soit trop tard et ils ont accusé de racisme ceux d’entre nous qui proposaient d’agir. Les libéraux ont tergiversé avant de commencer à constituer des stocks d’équipements de protection individuelle et de médicaments, ce qui a placé le Canada au bout de la file pour les achats. Quand les conservateurs ont soulevé la question à la Chambre des communes le 27 janvier 2020, la ministre de la Santé a déclaré ceci : « [...] le risque pour les Canadiens demeure faible. » Le risque pour les Canadiens demeure faible. Les libéraux n’ont rien fait jusqu’à ce qu’il soit trop tard.

Puis, en mars 2020, le gouvernement s’est rendu compte que la COVID était bel et bien une menace grave. Au début, les libéraux ont improvisé. De toute évidence, ils n’avaient aucune idée de ce qu’ils faisaient. Les experts de la santé nous ont dit de laver nos produits d’épicerie, mais que porter un masque ne servirait à rien étant donné que nous étions tous trop stupides pour savoir comment le porter.

Les libéraux ont paniqué et ont fait ce qu’ils font toujours, c’est-à-dire tenter de régler le problème à coup d’argent tout en permettant, bien sûr, à d’autres libéraux de s’enrichir. Ils ont acheté des millions et des millions de dollars d’équipement, toujours à des prix exorbitants et, la plupart du temps, pour rien. Ils ont signé des contrats avec des amis du Parti libéral, comme l’ancien député libéral Frank Baylis, qui a vendu des respirateurs, chers collègues, qui n’ont jamais été utilisés. D’ailleurs, le gouvernement a dépensé plus de 750 millions de dollars — 750 millions — sur des respirateurs, dont 95 % n’ont jamais été utilisés.

SNC-Lavalin a obtenu un contrat de 150 millions de dollars pour des hôpitaux de campagne qui n’ont jamais été demandés par Santé Canada. Aucune province n’a demandé ces fournitures. En plus des équipements et des fournitures qui n’ont jamais été utilisés, certains n’ont même pas été livrés. Le gouvernement lui-même a admis avoir payé plus de 100 millions de dollars pour des fournitures n’ayant jamais été livrées. Puisque nous ne possédons pas un compte rendu véridique de toutes les dépenses, nous pouvons supposer que ce montant est bien plus élevé en réalité.

Au même moment, le gouvernement libéral a décidé de fermer la frontière, quelque chose qu’il jugeait raciste quelques semaines auparavant. Les libéraux ont obligé des gens à se mettre en quarantaine dans des conditions dégoûtantes, tout cela selon de l’information erronée de l’application « ArnaqueCAN » et des tests non éprouvés.

(2050)

En parlant de tests, le Canada de Justin Trudeau a été l’un des derniers pays à comprendre que les tests étaient essentiels et à les acheter. Nous avons attendu des semaines et des semaines avant d’obtenir ce que d’autres pays avaient déjà. En février dernier, Global News a révélé ce qui suit :

Le gouvernement canadien a attribué deux des plus gros contrats de fournitures médicales de la pandémie à des importateurs participant à un programme fédéral sur invitation seulement, plutôt qu’à des fabricants canadiens offrant des prix plus bas [...]

Il a aussi révélé que les contrats ont été attribués malgré le fait que le gouvernement disposait de données incomplètes sur la précision des produits.

Les libéraux ont bêtement financé le développement d’un vaccin en collaboration avec CanSino, une entreprise établie nulle part ailleurs qu’en Chine. Le vaccin n’a jamais été livré.

Ils ont donné des centaines de millions de dollars à des proches du Parti libéral pour que Medicago développe un vaccin alors qu’ils savaient qu’il ne serait jamais homologué parce que l’entreprise avait des liens avec un fabricant de tabac.

Ils ont englouti 130 millions de dollars dans le Centre de production de produits biologiques pour construire une usine de fabrication de vaccins. Savez-vous combien de doses ont été fabriquées à cet endroit? Aucune.

Les libéraux ont dû faire appel à des sociétés étrangères pour fournir les vaccins. Comme ils l’ont fait tardivement, nous étions en retard par rapport à d’autres pays. En outre, les libéraux ont acheté de telles quantités de vaccins que la vérificatrice générale a estimé qu’au moins 50 millions de doses ont été gaspillées. Combien d’argent avons-nous gaspillé? Nous ne le saurons jamais, car le gouvernement refuse de nous le dire. Parce que nous avons trop acheté et trop payé, le Canada a été considéré comme le pire pays au monde pour ce qui est de stocker inutilement des doses de vaccins et de frustrer les pays les plus pauvres.

Une fois qu’ils ont eu les vaccins, les libéraux ont décidé d’obliger les gens à se faire vacciner. Ils ont imposé la vaccination à des personnes pour lesquelles cela n’avait aucun sens, comme les fonctionnaires qui travaillaient à domicile, les camionneurs qui travaillaient seuls dans leur camion et les personnes souffrant de problèmes de santé à qui leur médecin avait déconseillé de se faire vacciner. Ils ont fait pression sur les Canadiens pour qu’ils se fassent vacciner, ce qui a souvent été dommageable pour ceux qui ont reçu le vaccin. Transports Canada a qualifié l’obligation de se faire vacciner pour voyager de politique énergique et unique au monde. Des tribunaux ont maintenant jugé ces obligations de vaccination inconstitutionnelles.

Enfin, pour couronner le tout, Justin Trudeau a décidé qu’il avait besoin de la Loi sur les mesures d’urgence pour mettre fin à l’occupation de quatre ou cinq pâtés de maisons d’Ottawa par des camionneurs, qui semblaient très dangereux dans leur spa sur la rue Wellington. Le Canada a été universellement tourné en dérision, et Justin Trudeau nous est apparu tel qu’il est : puéril, arrogant et coléreux.

La COVID a servi d’excuse aux libéraux pour enrichir leurs amis. Je n’entrerai pas dans les détails au sujet des contrats qui ont été accordés pendant cette période, mais les scandales de l’organisme UNIS et de l’application « ArnaqueCan » sont devenus des symboles de la corruption libérale.

Le gouvernement a-t-il lutté efficacement contre la COVID? Permettez-moi de résumer la situation en lisant quelques manchettes : « Les centres de soins de longue durée du Canada affichent le pire bilan au chapitre des décès liés à la COVID-19 parmi les pays riches [...] » Encore une fois, il s’agit d’un article de CBC.

« Le Canada a l’un des pires bilans au monde en matière de lutte contre la COVID. »

« [...] les mesures de confinement « extrêmes » ont entraîné des coûts exceptionnels »

L’année dernière, le British Medical Journal a dit que, lorsque la COVID a frappé, le Canada était « un pays mal préparé qui avait des systèmes de données désuets, qui manquait de coordination et de cohésion et qui était aveugle aux divers besoins des citoyens ».

Ce sont les Canadiens eux-mêmes qu’on devrait féliciter pour avoir vaincu la COVID. Le journal conclut en disant que « [...] les Canadiens ont fait des efforts pour lutter contre la pandémie, alors que les gouvernements ont manqué à leur devoir ».

Je pourrais continuer de parler en détail de la mauvaise gestion de la crise de la COVID par les libéraux pendant plusieurs minutes.

L’honorable Leo Housakos : Vous pourriez continuer pendant des semaines.

Le sénateur Plett : Je le pourrais probablement. Comme d’habitude, dans le cas des libéraux, il y a un mélange d’incompétence, d’arrogance et de corruption qui leur fait prendre une mauvaise décision après l’autre. Je regrette profondément qu’il n’y ait jamais eu de véritable enquête ou d’audit sur les mesures prises par le gouvernement pour déterminer si elles ont fonctionné et comment nous pouvons faire mieux la prochaine fois, car, chers collègues, nous devons faire mieux la prochaine fois. Nous devons tirer des leçons de toutes les erreurs commises par l’apprenti sorcier libéral.

Si le gouvernement s’est assuré qu’une telle enquête n’ait jamais lieu, c’est parce qu’il savait qu’il avait échoué et que nous en apprendrions trop sur son incompétence et sa corruption. Les libéraux de Trudeau n’ont pas réussi à gérer les répercussions que la COVID-19 a eues sur la santé des gens. Ils n’ont pas non plus réussi à gérer les répercussions économiques de la pandémie.

Quand la pandémie de COVID-19 a frappé, la plupart des pays du monde ont dû déterminer quelles mesures financières seraient mises en place pour lutter contre une crise sanitaire mondiale qu’on ne comprenait pas encore. Les gouvernements ont été contraints de dépenser des fonds publics pour adopter des mesures visant à protéger les moyens de subsistance de leurs citoyens et l’économie dans son ensemble. Face à une telle incertitude, la plupart des pays ont agi avec retenue, avec prudence et de manière ciblée, mais pas notre premier ministre, notre apprenti sorcier.

Lors de la pandémie, les dépenses du gouvernement, que certains qualifiaient au départ de généreuses, ont rapidement échappé à tout contrôle. Dès le départ, il y avait des données à ce sujet, et des experts et des institutions financières lançaient des avertissements.

En novembre 2020, la CIBC a averti M. Trudeau que la majeure partie des prestations d’urgence qu’il accordait étaient consacrée à l’achat de biens de consommation importés et que cet argent fuyait donc vers l’économie d’autres pays. L’économiste qui a rédigé le rapport a noté qu’il serait facile de remédier à ces fuites en se concentrant sur des programmes qui encouragent les consommateurs à dépenser pour des services locaux. Il a également prévenu M. Trudeau que si rien n’était fait, le Canada devrait dépenser encore plus en soutien financier. Le Canada avait déjà dépensé plus que tous les pays du G20 pour ses mesures contre la pandémie mais, comme le souligne le rapport de la CIBC, cela n’avait pas eu d’effet bénéfique supplémentaire pour l’emploi ou le PIB. Ce conseil n’a pas été pris en compte.

En mars 2021, Statistique Canada a indiqué que, pendant la pandémie, les Canadiens avaient connu des changements exceptionnellement bénéfiques sur le plan de leur bien-être économique, puisque les paiements de soutien pour la COVID-19 leur avaient procuré des milliers de dollars de plus qu’ils n’en avaient perdu en salaire. Statistique Canada a indiqué qu’en fait, les prestations pour la COVID-19 étaient supérieures aux pertes de revenus dans les cinq groupes de revenus qu’elle avait étudiés.

Voici ce qu’en pense une économiste de la Banque Scotia :

Cela met en lumière, de manière générale, l’approche choisie par le gouvernement, c’est-à-dire de voir grand, de procéder rapidement et de ne pas lésiner sur les moyens [...]

Plusieurs économistes et plusieurs institutions ont averti le gouvernement qu’il devait revoir à la baisse ses programmes de prestations, en particulier la Prestation canadienne d’urgence; ils ont déclaré qu’elle était trop généreuse et risquait de dissuader les gens de reprendre le travail. Ces avertissements n’ont pas été pris en compte, eux non plus.

En février 2021, le Conference Board du Canada nous a mis en garde contre les conséquences inéluctables des dettes record accumulées pendant la pandémie, en déclarant :

Les répercussions durables sur les recettes et les dépenses portent à croire que les gouvernements du Canada auront du mal, à court et à long terme, à se sortir de ce gigantesque trou budgétaire.

Toujours en février 2021, le Fonds monétaire international a déclaré que les plans de dépenses considérables de M. Trudeau n’étaient guère justifiés et que toute autre dépense inutile pourrait affaiblir la crédibilité du cadre budgétaire.

La même semaine, l’Institut C.D. Howe a publié un rapport où les auteurs soulevaient de graves préoccupations concernant les 100 milliards de dollars de fonds de relance promis par M. Trudeau, jugeant peu prudent d’instaurer un programme de relance d’une telle ampleur.

Malgré les mises en garde, notre « apprenti » a maintenu le cap, et le déluge a commencé.

(2100)

En fait, au début de mars 2021, le gouvernement Trudeau, qui avait déclaré que l’administration de la Prestation canadienne de la relance économique coûterait environ 6,3 milliards de dollars, avait déjà dépassé ce montant et presque doublé les dépenses du programme, qui s’élevaient à 11,1 milliards de dollars.

Au cas où l’on serait convaincu que ces avertissements d’experts et de grandes banques ne sont pas parvenus jusqu’au bureau du premier ministre, n’oubliez pas, chers collègues, que le ministre des Finances de Justin Trudeau, Bill Morneau, qui était chargé de la gestion budgétaire du pays et de la mise en œuvre de ces programmes, a quitté l’une des plus hautes fonctions politiques du pays parce que les dépenses de M. Trudeau étaient devenues tout à fait démesurées.

Dans son livre intitulé Where To from Here: A Path to Canadian Prosperity, M. Morneau a écrit que M. Trudeau et lui étaient à couteaux tirés sur la question des dépenses liées à la COVID. À propos de ce qui s’est passé pendant la pandémie, il a déclaré :

[On a] mis de côté les calculs et les recommandations du ministère des Finances pour gagner un concours de popularité.

Il a ajouté que son rôle de ministre des Finances « [...] s’était détérioré à un point tel que je n’étais plus qu’une figure de proue. Je n’étais là que pour la forme. »

C’est ce qu’a dit notre premier ministre, professeur d’arts plastiques et instructeur de planche à neige, à un ministre des Finances érudit.

Pourtant, l’Institut Fraser a fait remarquer ce qui suit :

En 2021, la dette fédérale par habitant a atteint un nouveau sommet et s’élevait à 48 955 $. Cependant, encore une fois, la COVID n’est pas à blâmer pour cette accumulation de dettes. Sans dépenses liées à la COVID en 2020 ou 2021, la dette fédérale par habitant se serait quand même élevée, en 2021, à 41 340 $, soit le quatrième montant en importance dans l’histoire du Canada.

Les auteurs arrivent à cette conclusion :

De toute évidence, la dette fédérale était déjà à la hausse, et la pandémie n’a fait qu’exacerber le problème.

Il se trouve que tous les experts en économie et toutes les institutions financières qui nous ont mis en garde contre cette catastrophe avaient raison. Dans l’ensemble du Canada, l’inflation a pris une ampleur désastreuse, et ce, pour tous les produits et services. Les Canadiens en subissent encore les conséquences. L’ancien gouverneur de la Banque du Canada, Stephen Poloz, a comparé l’approche du gouvernement Trudeau à un pompier qui éteint un feu avec un boyau, ajoutant qu’on ne reproche jamais à un pompier d’utiliser trop d’eau.

Je ne suis pas d’accord. En fait, les politiques irresponsables du gouvernement Trudeau ont inondé l’économie canadienne avec trop d’argent facile. Elles ont créé le genre d’inflation contre lequel le premier ministre Trudeau avait été mis en garde. Le premier ministre Trudeau a continué d’utiliser le boyau d’incendie alors que le plancher était déjà inondé et que le feu était éteint depuis longtemps.

Le nouveau gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, a confirmé que les dépenses du gouvernement ont nui à la réduction de l’inflation. Comme l’inflation demeurait élevée, la banque n’a eu d’autre choix que d’augmenter les taux d’intérêt, ce qui a eu des effets dévastateurs sur les entreprises et les propriétaires d’habitation.

En mars 2023, le sous-gouverneur de la Banque du Canada a confirmé que si elle devait revivre la crise de la COVID, la Banque n’utiliserait pas la même stratégie.

Ces dépenses inconsidérées ont été motivées par la pensée de l’extrême gauche libérale selon laquelle tous les problèmes peuvent être résolus par une augmentation des dépenses publiques. Comme je l’ai dit, pour les libéraux, ces expériences radicales sont toujours menées en tenant compte des avantages politiques.

Justin Trudeau a cru pouvoir surfer sur cette vague de dépenses massives liées à la COVID et a déclenché des élections anticipées en 2021. Il pensait pouvoir acheter les Canadiens avec leur propre argent, et comme toujours avec le gouvernement Trudeau, les effets négatifs des politiques radicales, combinés au cynisme politique, sont aggravés par l’incompétence du gouvernement.

Les programmes étaient trop généreux, mais plus encore, ils sont devenus un bar ouvert. En mai dernier, l’Agence du revenu du Canada a confirmé qu’elle avait trouvé, à ce jour, 10 milliards de dollars de prestations liées à la pandémie qui ont été versés à des personnes qui n’étaient pas admissibles à ces programmes gouvernementaux. Des centaines de fonctionnaires ont déjà été licenciés pour détournement de fonds. Ce montant s’ajoute aux plus de 15 milliards de dollars cernés par la vérificatrice générale relativement à un autre programme. Le pire, c’est qu’on a à peine effleuré la surface.

Selon la vérificatrice générale Karen Hogan, lors de contrôles aléatoires, les enquêteurs ont découvert des problèmes dans près des deux tiers des demandes relatives à la Subvention salariale d’urgence du Canada, un programme de 100,6 milliards de dollars. La proportion était si élevée qu’elle « exige qu’on examine vraiment de plus près », a-t-elle dit.

On pourrait croire que le gouvernement tenterait par tous les moyens de récupérer ces énormes paiements, mais on aurait tort. Ce serait de la mauvaise politique, n’est-ce pas?

Le chef de l’Agence du revenu du Canada a déclaré que cela n’en valait pas le coup. Le directeur parlementaire du budget a pour sa part déclaré qu’une telle attitude était déconcertante. C’est le moins qu’on puisse dire, chers collègues.

Non content d’avoir doublé la dette et provoqué de l’inflation, notre apprenti sorcier poursuit ses expériences. C’est la dernière dont je vais parler ce soir, chers collègues. Croyez-moi, il y en aura d’autres, sénatrice Pate.

Le sénateur Housakos : Il y en a beaucoup.

Le sénateur Plett : Un exemple parmi les plus sombres et flagrants des expériences de notre apprenti sorcier est le régime de suicide assisté hors de contrôle du Canada. Comme c’est souvent le cas avec les pentes glissantes, l’histoire commence par le déni et la moquerie.

Dans le cas du suicide assisté, le gouvernement Trudeau et la Cour suprême du Canada ont nié haut et fort que nous nous engagions sur une pente glissante. Pourtant, il n’a pas fallu attendre longtemps avant que la proverbiale pente se profile à l’horizon.

Si vous regardez où nous avons commencé au moment de la légalisation initiale du suicide assisté, puis que vous regardez où nous en sommes aujourd’hui moins de 10 ans plus tard, c’est tout simplement choquant. Des experts inquiets d’autres administrations qui ont emprunté cette voie et qui en subissent actuellement les conséquences ont fait des mises en garde.

Dans l’affaire Carter, un expert médical belge a présenté des preuves indiquant qu’une pente glissante était très possible, à savoir qu’en ouvrant les vannes du suicide assisté, même dans un cadre étroit où des personnes en phase terminale se voient offrir de l’aide pour mettre fin à leurs jours, nous ouvririons la porte à un système dans lequel des groupes vulnérables comme les personnes handicapées se verraient offrir la mort avant de se voir offrir des soins adéquats.

La Cour a rejeté cet argument en indiquant que « [...] le régime permissif de la Belgique résulte d’une culture médico-légale très différente ».

Cette affirmation a été confirmée et répétée par le gouvernement Trudeau, qui a déclaré que nous éviterions un tel « [...] élargissement de l’admissibilité en mettant en place un « régime soigneusement réglementé » dont l’application demeurerait limitée et exceptionnelle ».

« Limitée et exceptionnelle », chers collègues.

Le nombre de Canadiens qui mettent fin à leur vie au moyen du suicide assisté a augmenté à une vitesse qui dépasse celle de tous les pays du monde. Nous sommes en train de devenir très rapidement la capitale mondiale du suicide assisté. Les cas les plus épouvantables au Canada font même l’objet d’une attention internationale.

En seulement 6 ans, le nombre de décès attribuables au suicide assisté a été multiplié par 13 : il est passé de 1 018 en 2016 à plus de 13 200 en 2022.

La sénatrice Martin : Incroyable.

Le sénateur Plett : C’est incroyable.

Au Canada, il y a plus de décès associés à l’euthanasie qu’à une maladie du foie, à l’Alzheimer, au diabète ou à la pneumonie. En fait, le suicide assisté est désormais à égalité avec la cinquième cause de décès au pays.

Pourtant, les chiffres du gouvernement ne reflètent pas cette réalité. Pourquoi?

Quand ils remplissent le certificat médical de décès, les médecins sont tenus d’indiquer comme cause du décès la maladie, l’affection ou le handicap à l’origine de la demande d’aide au suicide, plutôt que les médicaments administrés, qui en sont la cause réelle. Il s’agit d’une manipulation étrange et suspecte des données. Comme l’a demandé Barbara Kay : « Si l’aide médicale à mourir est un bien public, pourquoi cette diversion? »

(2110)

Si les chiffres astronomiques ne suffisent pas à vous convaincre que le gouvernement a perdu le contrôle, peut-être que certaines circonstances le feront.

Une femme de 54 ans de Vancouver fait partie des plus de 1,4 million de Canadiens handicapés qui vivent dans la pauvreté. Chers collègues, cela représente 40 % de ce segment de la population. En raison de l’absence de services adéquats pour la soutenir avec son handicap, elle utilise une carte de crédit pour couvrir ses dépenses. Au total, sa dette s’élève à 40 000 dollars. Les recherches insuffisantes sur son état font en sorte que les traitements qu’elle désire tombent dans la catégorie des traitements expérimentaux et, par conséquent, ils ne sont pas couverts par notre système de santé.

Cependant, elle a découvert que ce qui est couvert, c’est l’aide au suicide. Après l’élargissement de nos politiques en matière de suicide assisté par le biais du projet de loi C-7 — qui permet l’accès aux personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible —, elle a fait une demande pour le suicide assisté et sa demande a été approuvée. Ses amis ont créé une page GoFundMe dans une tentative désespérée de la garder plus longtemps en vie, mais ils admettent douter que cela soit suffisant. De l’avis de cette femme, le suicide assisté est probablement sa seule option.

Un homme de 54 ans, Amir Farsoud, de St. Catharines, en Ontario, a demandé à bénéficier de l’aide au suicide non pas parce qu’il veut mourir, mais parce que le filet social lui fait défaut et qu’il craint de ne pas avoir d’autre choix. Il a déclaré aux journalistes : « Je ne veux pas mourir, mais je veux encore moins devenir itinérant. »

Un autre cas troublant concerne Christine Gauthier, caporale à la retraite et athlète paralympique, qui demandait de l’aide depuis plus de cinq ans pour faire installer une rampe d’accès pour fauteuils roulants. Dans une entrevue accordée à CTV, Mme Gauthier a fait part de son incrédulité lorsque le gouvernement n’a pas pu accéder à sa demande, mais qu’il lui a plutôt proposé, chers collègues, l’aide à mourir. C’est l’œuvre de notre gouvernement.

Dans le reportage, elle a dit une chose déchirante : « [V]ous êtes prêts à m’aider à mourir, mais vous n’êtes pas prêts à m’aider à vivre? ».

C’est l’œuvre de notre gouvernement.

Nous avons tous entendu parler d’un certain nombre de cas de vétérans à qui l’on a proposé le suicide assisté pour soulager leurs souffrances mentales et physiques. Il s’agit d’un groupe envers lequel nous sommes collectivement — chacun d’entre nous dans cette salle et dans notre pays — redevables, et qui devrait pouvoir compter sur un réseau stable pour faciliter sa transition vers la vie civile. Pourtant, les travailleurs de ce système leur laissent entendre que leur vie ne vaut pas la peine d’être vécue.

L’été dernier, une femme de 37 ans, Kathrin Mentler, s’est rendue à l’hôpital général de Vancouver en pleine crise de santé mentale, alors qu’elle était terriblement vulnérable et suicidaire. Un clinicien l’a informée que l’attente pour voir un psychiatre serait longue et a fait remarquer que le système de santé est défaillant, puis lui a demandé si elle avait envisagé l’aide médicale à mourir. C’était un professionnel de la santé. Elle était une patiente vulnérable et suicidaire qui demandait de l’aide pour vivre, et on lui a plutôt offert une façon de mourir.

Chers collègues, si la prochaine étape sur ce terrain dangereux est menée à terme, c’est-à-dire l’expansion proposée de l’admissibilité au suicide assisté afin d’inclure les personnes dont la seule condition sous-jacente est un trouble mental, c’est le genre de cas qui risque de devenir la norme au pays. La politique va bien au-delà de ce que la société ou le système sont prêts à accepter, ou même disposés à accepter, que le gouvernement a initialement adopté une disposition de caducité et l’a ensuite reportée à deux reprises.

Les retards répétés ont donné lieu à de nombreuses occasions pour débattre et soulever la myriade de préoccupations morales et éthiques liées au fait d’offrir la mort à des patients suicidaires ou atteints d’une maladie mentale. Le gouvernement Trudeau et certaines des personnes qu’il a nommées au Sénat ont tenté à maintes reprises de faire la distinction entre les demandes de suicide assisté et les pensées suicidaires.

Lorsque la journaliste Althia Raj a demandé à l’ancien ministre de la Justice, David Lametti, comment faire en sorte que le système offre réellement aux gens des choix éthiques, il a répondu :

[N]’oublions pas que le suicide est généralement à la disposition des gens. On parle de membres d’un segment de la population qui, pour des raisons physiques ou possiblement mentales, n’ont pas la possibilité de passer elles-mêmes à l’acte. Au bout du compte, cette mesure leur offre un moyen plus humain d’opter pour une solution qu’elles auraient choisie si elles avaient eu la capacité de la mettre en œuvre.

Chers collègues, la meilleure chose à dire à propos de David Lametti, c’est qu’il a démissionné du Cabinet Trudeau.

L’aveu est clair comme le jour : le gouvernement Trudeau ne voit aucun problème à accélérer l’accès des patients déprimés et suicidaires à ce qu’il appelle une forme « humaine » de suicide.

Comme l’a fait remarquer Althia Raj :

La tâche du gouvernement n’est-elle pas de prévenir le suicide? Ne faudrait-il pas essayer de donner aux gens une raison de vivre?

Vous aurez remarqué que je n’emploie pas le terme « aide médicale à mourir » pour décrire ce qui est, fondamentalement, un suicide assisté. Pour moi, l’emploi du terme froid « aide médicale à mourir » fait partie des efforts déployés par certains pour le détacher de la réalité et créer un concept différent qui n’est pas acceptable. La trajectoire que suit le gouvernement Trudeau renforce la nécessité de faire preuve de clarté — d’une grande clarté — au sujet de ce dont nous parlons.

Le Dr Sonu Gaind, le très estimé ex-président de l’Association des psychiatres du Canada, a dit ceci au Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir :

Cette augmentation n’est pas vraiment une pente glissante. C’est un train dont on a perdu le contrôle [...] Une multitude de signes montrent au gouvernement qu’il ne devrait pas aller de l’avant. S’il choisit de le faire, il ne pourra pas dire qu’il n’aura pas été averti.

Le mécontentement du public face aux cas scandaleux qui ont été rapportés a été considérable et, en réalité, c’est la véritable raison pour laquelle le gouvernement n’a pas encore procédé à l’élargissement.

Comment le gouvernement a-t-il répondu à cette préoccupation croissante du public? Est-ce en améliorant l’accès aux soins de santé mentale, en rendant les logements plus abordables ou bonifiant les services aux anciens combattants? Bien sûr que non. En fait, dans chacun de ces domaines, notre système s’est dégradé.

Les gens se sentent abattus. Les cas de dépression et de troubles anxieux généralisés ont considérablement augmenté. L’accès aux soins de santé mentale demeure catastrophique. Pourtant, le gouvernement reste fermement décidé à ouvrir la porte au suicide assisté par l’État pour les Canadiens qui souffrent de maladies mentales.

Les partisans du projet savent qu’ils sont allés beaucoup trop loin. Le public canadien n’en veut pas. Les provinces et les territoires ne sont pas prêts à cela. Les médecins ne sont pas prêts. Pourtant, le gouvernement Trudeau refuse de faire marche arrière. Il a clairement indiqué que l’élargissement de l’accès au suicide assisté aux personnes souffrant d’une maladie mentale n’est pas une question de « si », mais de « quand ». Comme l’a déclaré le sénateur Kutcher, qui est à l’origine de l’amendement sur l’élargissement de la portée, la question est tranchée.

En matière de politiques, rien ne convient mieux à la métaphore de L’apprenti sorcier que la trajectoire du régime d’aide au suicide au Canada. On a d’abord ouvert la porte sous le couvert et la promesse d’une application « restreinte et exceptionnelle » pour finir par devenir la capitale mondiale du suicide. Nous avons maintenant les mains liées par une future politique si ignoble que même ses plus grands partisans doivent continuer d’en retarder la mise en œuvre. Il ne s’agit pas de la reconsidérer, juste de la reporter.

Chers collègues, je sais que la déclaration suivante vous réjouira: cela conclut la première partie de mon analyse des expériences ratées de Justin Trudeau. J’invite tous mes collègues à rester à l’écoute pour la suite, mais en attendant, je propose l’ajournement du débat pour le temps de parole qu’il me reste.

(2120)

Des voix : Bravo!

Son Honneur la Présidente : L’honorable sénateur Plett, avec l’appui de l’honorable sénatrice Seidman, propose que le débat soit ajourné à la prochaine séance du Sénat.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Des voix : Avec dissidence.

(Sur la motion du sénateur Plett, le débat est ajourné avec dissidence.)

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

L’honorable Yvonne Boyer propose que le projet de loi S-250, Loi modifiant le Code criminel (actes de stérilisation), tel que modifié, soit lu pour la troisième fois.

 — Honorables sénateurs, je voudrais d’abord reconnaître que nous nous trouvons sur les territoires ancestraux non cédés de la nation algonquine anishinaabe. Les peuples de ces nations sont les premiers intendants de la terre que nous occupons aujourd’hui, et il est important, dans nos reconnaissances territoriales, de faire preuve d’humilité, de gratitude et de respect à leur égard en les reconnaissant et en les remerciant. En rendant hommage aux ancêtres, nous réaffirmons nos relations les uns avec les autres. Ce faisant, nous participons activement à la réconciliation dans le cadre de notre travail et du temps que nous passons ensemble.

Je prends la parole en tant que marraine du projet de loi S-250, Loi modifiant le Code criminel (actes de stérilisation), à l’étape de la troisième lecture. Le projet de loi propose de modifier l’article 268 du Code criminel, qui porte sur les voies de fait graves. Il a pour objet d’ajouter une disposition de précision qui vise à indiquer explicitement qu’un « acte de stérilisation constitue une blessure ou une mutilation ». Le projet de loi comprend également une définition qui précise qu’un « acte de stérilisation » est un acte « qui a pour effet d’empêcher la procréation de façon définitive, que l’acte soit ou non réversible ». Les voies de fait graves entraînent une peine maximale d’emprisonnement de 14 ans.

Comme beaucoup de sénateurs se souviendront de mon premier discours ici, il y a presque sept ans, et de mes discours ultérieurs, l’éradication de la stérilisation forcée ou contrainte a été l’un des principaux objectifs de ma vie professionnelle. Pour vous rappeler pourquoi je suis si passionnée par ce sujet, je vous renvoie à ma tante Lucy, avec qui j’ai vécu et qui me racontait, à l’heure du coucher, des histoires sur les 10 années qu’elle avait passées dans un sanatorium de Fort Qu’Appelle, à Fort San plus précisément, pour soigner sa tuberculose. Elle parlait des monstres qui se promenaient dans les couloirs la nuit, des expériences sur les enfants et du fait qu’elle n’avait pas vu sa famille pendant une décennie. Je crois que ma tante a peut-être été stérilisée à cette époque; elle n’a jamais eu d’enfants. J’étais sa fille.

Des années plus tard, j’ai travaillé comme infirmière dans le centre de l’Alberta et de la Saskatchewan, des régions ayant d’importantes populations autochtones. Plus d’une fois au fil des ans, on m’a dit que le « problème indien » serait résolu lorsque toutes les femmes indiennes seraient stérilisées. Les gens me parlaient ainsi parce qu’ils pensaient que j’étais comme eux, ce qui n’était pas le cas. Enragée par ces paroles, je me suis inscrite à une faculté de droit parce que je croyais que si je devenais avocate, je pourrais empêcher une telle situation de se produire. C’était il y a plus de 40 ans.

Aujourd’hui, dans mon discours, je soulignerai à nouveau l’importance de ce projet de loi et le fait que la stérilisation forcée n’est pas simplement une affaire du passé, mais qu’elle est plutôt toujours bien présente dans le Canada d’aujourd’hui. J’évoquerai également l’important travail réalisé par le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles dans le cadre de son étude du projet de loi S-250.

J’ai présenté le projet de loi S-250 en juin 2022 à la suite de deux études du Sénat sur la question de la stérilisation forcée et contrainte. Plusieurs femmes autochtones et noires ont témoigné pour le deuxième rapport du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, intitulé Les cicatrices que nous portons : La stérilisation forcée et contrainte de personnes au Canada —Partie II.

La criminalisation de l’acte de stérilisation forcée et contrainte était la première recommandation du rapport intitulé Les cicatrices que nous portons. Le témoignage des neuf femmes et les appels subséquents à criminaliser l’acte de stérilisation forcée m’ont incité à présenter cet important projet de loi.

Au fil des ans, j’ai rencontré des centaines de femmes autochtones qui ont été stérilisées ou dont une membre de la famille a été stérilisée. Je les porte toutes avec moi dans le cadre de ce travail important.

Pour vous donner un exemple de la prévalence de ce problème, j’aimerais vous raconter une histoire qui s’est déroulée il y a quelques années, alors que je voyageais dans l’Ouest.

Je me suis enregistrée dans un hôtel tard dans la nuit. J’étais seule. J’avais ma valise, je la faisais rouler, et il n’y avait personne d’autre que l’employée derrière le comptoir. J’ai dit : « Je suis ici pour m’enregistrer. » Elle m’a dit : « Oh, bonjour, sénatrice. Vous êtes la sénatrice de la stérilisation. » J’ai répondu : « Eh bien, c’est un dossier auquel je travaille, effectivement. » J’étais un peu troublée. C’était une jeune femme. Elle m’a regardée, ses yeux se sont écarquillés, puis elle s’est mise à pleurer. Elle a dit : « On me l’a fait. » J’ai été vraiment déconcertée parce que j’ai eu l’impression qu’elle avait gardé tout cela en dedans jusqu’à ce que j’arrive. Elle s’est écriée :

On m’a stérilisée quand j’avais 21 ans, et j’avais quatre enfants. J’ai maintenant 35 ans et un nouveau conjoint. Mes enfants sont grands. Je ne peux pas tomber enceinte et je n’ai pas les moyens de recourir à la fécondation in vitro.

Je la tenais dans mes bras, elle me tenait dans les siens, et nous pleurions toutes les deux.

À la deuxième lecture du projet de loi S-250, j’ai fait remarquer, comme bon nombre de mes collègues qui se sont exprimés en faveur du projet de loi, que nous disposons de preuves que des stérilisations forcées étaient encore pratiquées en décembre 2023. Les gens me demandent « Comment une telle chose peut-elle encore se produire? » Je sais que le sénateur Wells a mentionné cette personne, mais je voudrais expliquer plus en détail comment une telle chose peut se produire et se produit effectivement. Je vous présente le Dr Andrew Kotaska.

Andrew Kotaska est un médecin qui peut être considéré comme un modèle pour les jeunes médecins ou comme un collègue très respecté. Il a été président de l’Association médicale des Territoires du Nord-Ouest. Il a pratiqué la médecine pendant de nombreuses années et il a été professeur au Département d’obstétrique et de gynécologie de l’Université de Toronto, à l’Université du Manitoba et à l’école de santé publique et des populations de l’Université de la Colombie-Britannique. Il a publié des articles sur les soins aux patientes autochtones et — chose surprenante — sur le consentement éclairé et l’éthique. Andrew Kotaska est un ancien directeur clinique de l’obstétrique à l’Hôpital territorial Stanton de Yellowknife. Étant donné ses succès professionnels, Andrew Kotaska peut être considéré comme un maître à penser et un modèle à suivre.

En juillet 2019, au moyen d’une échographie à distance, il a diagnostiqué un kyste ovarien à une Inuite de 37 ans et il a décidé qu’elle devait être opérée. En novembre 2021, il a retiré un kyste douloureux présent sur l’ovaire droit de cette femme à l’Hôpital territorial Stanton de Yellowknife. Elle n’avait consenti qu’à l’ablation de sa trompe de Fallope et de son ovaire droits, si cela s’avérait nécessaire. Andrew Kotaska a retiré la trompe de Fallope droite et l’ovaire droit, puis il a déclaré à voix haute dans la salle d’opération, sans la moindre vergogne : « Voyons si je peux trouver une raison d’enlever la trompe gauche ». Et il l’a fait. Andrew Kotaska n’a pas seulement retiré l’ovaire droit et la trompe de Fallope droite, il a également retiré l’ovaire gauche et la trompe de Fallope gauche, sans le consentement de la patiente. Il l’a ainsi laissée stérile à jamais.

En avril 2021, des poursuites au civil pour un montant de 6,5 millions de dollars ont été intentées contre M. Kotaska et l’Administration des services de santé et des services sociaux des Territoires du Nord-Ouest, qui ont tous deux présenté une défense. Andrew Kotaska a nié avoir stérilisé la patiente sans son consentement. Un an plus tard, il a présenté ses excuses publiquement. Pour se défendre, il a déclaré que son étudiant en médecine avait entendu la patiente inuite dire qu’elle ne voulait plus d’enfants, semblant ainsi laisser entendre que le retrait d’un organe qui ne servait plus ne devrait pas poser de problème, comme si la patiente n’en avait pas quand même besoin.

Une plainte officielle a été déposée contre Andrew Kotaska auprès du ministère de la Santé et des Services sociaux des Territoires du Nord-Ouest, qui délivre les permis d’exercice aux médecins du territoire, et des audiences à distance ont eu lieu les 10 et 11 février 2022. La commission d’enquête a conclu qu’il avait enfreint le Code d’éthique et de professionnalisme de l’Association médicale canadienne. Son permis d’exercice a été suspendu pendant cinq mois, mais cette sanction était déjà arrivée à échéance. On lui a ordonné de payer 20 000 $ en frais liés aux audiences, et il a dû suivre un cours d’éthique à ses frais. Au moment de formuler ses recommandations, la commission a pris en considération une lettre signée par ses collègues qui le décrivait comme « un chirurgien accompli et attentionné capable de prendre d’excellentes décisions ».

Malgré tout, Andrew Kotaska pratique actuellement la médecine dans un hôpital de l’intérieur de la Colombie-Britannique. Il est membre à part entière du College of Physicians and Surgeons of British Columbia.

(2130)

Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres qui montre pourquoi il faut absolument adopter le projet de loi S-250. Il est déjà extrêmement difficile pour les femmes autochtones d’accéder à des soins génésiques, plus particulièrement dans les collectivités nordiques et éloignées. Or, même lorsqu’elles ont accès à ces soins, certains médecins soi-disant intègres et hautement qualifiés voudraient mettre un terme au besoin des femmes autochtones de bénéficier de ces soins, en procédant à des actes de stérilisation sans obtenir leur consentement en bonne et due forme.

Le 21 avril 2023, après les discours à l’étape de la deuxième lecture, le projet de loi S-250 a été renvoyé au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles pour qu’il l’étudie. En février et en mars 2024, le comité a étudié le projet de loi et a entendu un large éventail de témoins, y compris Nicole Rabbit, une survivante de la stérilisation forcée et membre du conseil d’administration du cercle des survivantes pour la justice reproductive. Des représentants de l’Association médicale canadienne, de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, et de la Régie de la santé des Premières Nations; Alisa Lombard, avocate principale de l’un des recours collectifs intentés au Canada; des représentants du Conseil national des sages-femmes autochtones, du Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes, et de l’Association des femmes autochtones du Canada ont tous témoigné. Notre comité a aussi entendu des fonctionnaires du ministère de la Justice et de Services aux Autochtones Canada.

Lors de son témoignage devant le comité sénatorial, la survivante Nicole Rabbit, aussi connue sous le nom pied-noir d’Eagle Woman, a exhorté les membres du comité à appuyer le projet de loi. Elle a présenté un témoignage émouvant de ses expériences et de celles de sa famille avec la stérilisation forcée. Dans la seule famille de Nicole, sa mère, sa nièce et elle-même ont toutes été stérilisées contre leur gré. Pour conclure son témoignage, elle a puisé sa force dans la mémoire de sa mère récemment décédée et elle a déclaré ce qui suit :

[...] quelqu’un doit rendre compte de l’acte de génocide auquel nous, les Autochtones, avons été confrontés et continuons d’être confrontés à l’égard de la stérilisation forcée. Nous, les Autochtones, avons toujours été mal traités et nous aimerions que cela cesse et que le racisme systémique prenne fin. C’est pourquoi l’amendement recommandé doit être inscrit dans le Code criminel. Nos droits de la personne continuent d’être violés à ce jour.

Entendre Nicole parler avec une telle émotion a ému toutes les personnes présentes dans la pièce et mis en évidence l’importance cruciale d’agir sur cette question en adoptant le projet de loi S-250.

La Dre Kathleen Ross, présidente de l’Association médicale canadienne, a aussi témoigné devant le comité. Elle a affirmé qu’elle appuie pleinement le projet de loi S-250. Elle a parlé de l’importance de prendre cette question au sérieux, en plus de mentionner que la modification du Code criminel ne peut suffire en elle-même. Il faut aller au-delà du projet de loi. Elle a dit ce qui suit :

L’Association médicale canadienne a fermement dénoncé les actes odieux de stérilisation forcée ou contrainte, y compris les interventions chirurgicales visant à prévenir la grossesse, notamment toute intervention altérant les trompes de Fallope, les ovaires ou l’utérus, ou toute autre action exécutée sur une personne dans le but premier de prévenir la grossesse de manière permanente. Ces pratiques sont enracinées dans la discrimination et le racisme systémique. Comme le comité l’a déjà entendu, elles ont infligé des dommages irréversibles à des femmes, principalement autochtones, et elles ont nourri les cycles d’inégalité et d’injustice. Le sombre héritage de la stérilisation forcée ou contrainte fait partie de l’histoire pas si lointaine de notre pays [...]

Des membres de la profession médicale et des membres du gouvernement se réunissent donc aujourd’hui pour remédier à cette iniquité, à cette injustice.

Cependant, bien que le ton des réunions du comité ait été majoritairement favorable à l’intention du projet de loi S-250 et que tous ceux qui ont témoigné au comité aient convenu que cette pratique devait cesser une fois pour toutes, des témoins et des sénateurs siégeant au comité se sont inquiétés, au cours de ces réunions, du fait que le libellé initial du projet de loi S-250 était trop compliqué et qu’il pourrait avoir des conséquences inattendues, en particulier dans les cas d’interventions chirurgicales d’urgence ou d’actes médicaux aboutissant à une stérilisation.

Après avoir entendu ces préoccupations, j’ai consulté le ministre de la Justice et ses conseillers, et nous avons élaboré un amendement qui simplifie considérablement le projet de loi tout en maintenant l’objectif principal, qui est de préciser explicitement dans le Code criminel que la stérilisation forcée, qui répond aux critères prévus pour les voies de fait graves, est illégale et fera l’objet de poursuites. Cet amendement, qui a été appuyé à l’unanimité par le comité, a grandement simplifié le projet de loi S-250, le faisant passer de 55 à 14 lignes.

Le projet de loi amendé indique clairement que l’article 45 du Code criminel protège un fournisseur de soins médicaux qui, lors d’une opération chirurgicale urgente, stérilise une personne par inadvertance ou parce qu’il doit intervenir en raison d’un risque divulgué au préalable, lorsque c’est possible. Par ailleurs, le projet de loi vise clairement la stérilisation sans consentement, de sorte que cela n’aura pas d’incidence sur les libertés en matière de procréation pour les personnes qui souhaitent être stérilisées.

Avant l’étude article par article, pendant laquelle j’ai proposé cet amendement, le comité a entendu des experts en droit pénal du ministère de la Justice qui appuyaient sans réserve ce changement et qui ont de nouveau expliqué comment cela permettra d’atteindre les objectifs initiaux du projet de loi S-250 tout en évitant les complications et les problèmes potentiels qui ont été soulignés plus tôt dans l’étude en comité.

Le Canada a causé beaucoup de torts aux femmes autochtones, notamment par la stérilisation forcée. Pendant de nombreuses années, la stérilisation forcée a été pratiquée, justifiée puis niée. J’ai déjà évoqué le fait que les provinces ont fait la promotion de l’eugénisme dans le cadre de la prestation des soins de santé. L’Alberta et la Colombie-Britannique ont toutes deux adopté des lois sur des méthodes eugéniques de contrôle de la population qui ont permis la stérilisation forcée de 1928 à 1973, et les femmes autochtones ont été ciblées de manière disproportionnée pour ces procédures. Merci, sénatrice Simons, pour votre discours et pour cette plongée dans l’histoire de l’eugénisme en Alberta.

J’ai également expliqué que la Saskatchewan, le Manitoba et l’Ontario avaient présenté des projets de loi similaires qui, bien qu’ils n’aient pas été adoptés, mettent en évidence la normalisation de la stérilisation en tant que moyen de contrôle de la population.

Les provinces ne sont pas les seules à blâmer. Au cours de notre vie, des sénateurs et des députés ont préconisé la stérilisation forcée ou n’ont pas pris la mesure de la gravité du problème. La question de la stérilisation des femmes autochtones figure régulièrement dans le hansard depuis 1924. En 2024, 100 ans plus tard, nous en parlons encore, et la dernière femme que l’on sait avoir été stérilisée contre son gré l’a été en décembre 2023.

Dans le cadre d’une cérémonie tenue en septembre, il y a tout juste deux semaines, l’Association médicale canadienne, l’AMC, a présenté des excuses publiques officielles aux peuples autochtones pour le rôle qu’elle-même et la profession médicale ont joué dans les torts passés et présents causés aux peuples autochtones au sein du système de santé. La stérilisation forcée fait partie des torts pour lesquels des excuses ont été présentées.

Bien que l’AMC prenne des mesures importantes pour résoudre ce problème, parmi beaucoup d’autres, une action législative rapide et sérieuse est également nécessaire. Il nous incombe, en tant qu’occupants actuels des sièges du Sénat, d’envoyer un message clair selon lequel la stérilisation forcée, quelle qu’elle soit, est inacceptable et ne sera plus tolérée.

Je remercie le porte-parole du projet de loi, le sénateur David Wells, pour son soutien constant. Je remercie également le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, les greffiers, le personnel et en particulier les présidents, les sénateurs Jaffer et Cotter, qui ont aidé le projet de loi S-250 à franchir toutes les étapes nécessaires. Je remercie aussi l’équipe de mon bureau, Sky et Veronica, tous les sénateurs et tous mes collègues parlementaires de l’autre endroit qui m’ont apporté un soutien incroyable. Ce projet de loi est l’aboutissement d’une vie de travail non seulement pour moi, mais aussi pour de nombreuses personnes avec qui j’ai eu l’honneur de travailler au fil des ans.

Comme je l’ai fait chaque fois que j’ai abordé cette question au Sénat, je voudrais remercier les femmes qui m’ont fait confiance — les femmes qui nous regardent, celles qui m’ont téléphoné, celles qui m’ont envoyé un courriel ou qui m’ont rencontrée en personne pour me raconter leur histoire et les femmes courageuses qui se sont présentées pour témoigner. Pour celles qui n’ont pas encore pu faire entendre leur voix, sachez que chaque pas que nous franchissons rend les choses plus faciles. Je vous encourage, vous et les autres, à continuer à communiquer avec moi — je serai toujours à l’écoute et j’apporterai mon aide dans la mesure du possible.

En tant que sénateurs, nous devons utiliser notre plateforme pour défendre les intérêts des personnes qui n’ont pas de voix et nous efforcer de protéger l’avenir de leur santé génésique. Le projet de loi S-250 nous donne la possibilité de faire un pas vers l’éradication de cette forme de violence flagrante. Unissons nos forces pour être du bon côté de l’histoire. J’espère que le Sénat adoptera ce projet de loi rapidement et que l’autre endroit lui accordera l’attention et l’importance qu’il mérite pour qu’il franchisse rapidement toutes les étapes. Les femmes attendent.

Pour toutes nos relations. Marsee, meegwetch, merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable Jane Cordy : Puis-je vous poser une question?

La sénatrice Boyer : Oui.

La sénatrice Cordy : Tout d’abord, je vous remercie pour l’excellent travail que vous avez effectué. Ce n’est pas une question, mais une observation. Vous avez travaillé sans relâche pour sensibiliser les Canadiens, en particulier les sénateurs, à ce qui se passe depuis beaucoup trop longtemps. Pendant l’étude par le Comité des droits de la personne, nous avons entendu que cela ne s’était plus produit ces dernières années. Vous entendre dire aujourd’hui qu’il y a eu un cas en 2023 est plus que déchirant; c’est très cruel, en fait.

(2140)

Lorsque le Comité des droits de la personne a étudié cette question, nous avons entendu parler de la stérilisation forcée, en particulier dans les communautés des personnes autochtones, noires et à faible revenu. Nous avons entendu l’histoire d’une femme qui a raconté qu’elle était en train d’accoucher à l’hôpital. On lui a présenté un formulaire à remplir pour autoriser qu’on la stérilise lorsqu’elle aurait eu son bébé. Pour ceux d’entre nous qui ont eu des enfants, l’idée que quelqu’un vienne vous voir pendant que vous êtes en train d’accoucher pour vous demander de signer quelque chose, eh bien, il serait chanceux de ne pas se faire arracher un bras.

Quoi qu’il en soit, j’ai dit que les femmes autochtones, noires et à faible revenu semblent être les plus touchées. Selon vous, s’agit-il d’une forme de racisme systémique au sein de la société?

La sénatrice Boyer : Merci, sénatrice Cordy. Oui, c’est certainement une forme de racisme systémique, mais la stérilisation ne touche pas seulement les femmes autochtones. Des personnes handicapées, intersexuées, vulnérables et marginalisées nous ont également dit que la stérilisation les touche également.

D’après ce que j’ai entendu des femmes autochtones, et aussi des hommes, les hommes autochtones ont également été touchés par cette situation. Je dirais que oui, le racisme systémique est certainement répandu.

La sénatrice Cordy : Merci.

L’honorable Joan M. Kingston : Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer le projet de loi S-250, Loi modifiant le Code criminel (actes de stérilisation), parrainé par la sénatrice Boyer.

J’aimerais d’abord féliciter la sénatrice Boyer pour le leadership dont elle a fait preuve en présentant ce projet de loi, qui fournira des mesures de protection à de nombreuses personnes aux prises avec la discrimination systémique.

Comme on l’a déjà entendu en ces murs, le Canada a une longue histoire de stérilisation forcée et contrainte de personnes victimes de discrimination systémique, incluant des personnes ayant des vulnérabilités intersectorielles liées à la pauvreté, à la race et à un handicap. Même si les lois et les politiques eugéniques explicites ont été abrogées, les attitudes discriminatoires ayant entraîné leur création demeurent présentes dans la société canadienne et, comme vous l’avez entendu, il se pratique toujours des stérilisations forcées et contraintes. Dans un rapport publié en 2022 intitulé Les cicatrices que nous portons : La stérilisation forcée et contrainte de personnes au Canada —Partie II, le Sénat a déjà reconnu que les personnes handicapées forment une population victime de stérilisation non consentie.

À l’époque, les formes de coercition décrites par les témoins incluaient la manipulation, l’exploitation des vulnérabilités ou l’omission de consulter les patients avant de les priver de leur capacité de concevoir.

Inclusion Canada et Personnes d’abord du Canada — deux groupes nationaux qui défendent les intérêts des personnes ayant une déficience intellectuelle — ont partagé, entre autres, l’expérience suivante pour montrer à quel point le filet était jeté. La femme en question a grandi dans la pauvreté et a été victime de mauvais traitements pendant son enfance. On a déterminé qu’elle avait un faible QI à l’âge de 11 ans et on l’a stérilisée à l’âge de 14 ans, à son insu et sans son consentement, après lui avoir dit qu’elle avait besoin d’une appendicectomie. On a appris plus tard que son test de QI était invalide; pourtant, elle avait subi le sort d’une personne ayant une déficience intellectuelle.

Le projet de loi S-250 établit explicitement que le fait de stériliser une personne sans son consentement constitue une infraction criminelle au Canada. Étant donné que les interventions chirurgicales blessent nécessairement le patient, elles constituent des voies de fait graves si elles sont pratiquées sans son consentement.

Comme l’a clairement expliqué l’avocat principal de la Section de la politique en matière de droit pénal du ministère de la Justice du Canada au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, le consentement légal est soumis à plusieurs critères. Premièrement, pour qu’il y ait consentement, il ne doit pas y avoir de fraude ni de contrainte. Par conséquent, cette règle est enfreinte quand le patient est contraint de consentir à un acte médical sous la pression ou la tromperie. Deuxièmement, pour consentir à la nature de l’acte, il faut posséder une base de connaissances, que l’on décrit comme la connaissance de l’objet de l’intervention et des événements et le fait d’avoir une idée de ce qui est sur le point de se produire en ce qui a trait à la nature de l’intervention. Cette règle est enfreinte quand le patient ne dispose pas d’informations suffisantes pour comprendre la nature de l’acte auquel il consent.

Troisièmement, pour qu’il y ait consentement, il faut avoir la capacité de comprendre, ce qui signifie que le patient doit être capable de comprendre la nature de l’acte. Cette règle est enfreinte quand le patient est un enfant, une personne âgée de moins de 18 ans ou une personne atteinte de troubles cognitifs.

Le projet de loi S-250 souligne que la loi sur les voies de fait continue de s’appliquer à tous les actes de stérilisation — absolument tous — qui sont effectués sans le consentement effectif sur le plan légal du patient. Il souligne également qu’un consentement valide doit être fourni pour tous les actes de stérilisation, que la stérilisation soit ou non le but premier de l’intervention chirurgicale et qu’une intervention chirurgicale subséquente puisse ou non l’annuler.

Il est important de prendre note d’une observation que le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles a faite dans son rapport. Par le passé, le comité a déposé de manière fréquente des rapports sur la façon dont le Code criminel était modifié à la pièce. Le comité réitère donc sa recommandation antérieure selon laquelle un organisme indépendant devrait entreprendre une révision approfondie du Code criminel. La Commission du droit du Canada, rétablie, pourrait entreprendre cette révision, qui devrait intégrer une étude portant sur toutes les dispositions du Code relatives aux crimes et infractions contre les personnes vulnérables.

Le Canada a signé et ratifié la Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations unies en mars 2010. En ce qui concerne l’eugénisme au Canada, l’article 23 de la convention exige que les États parties protègent les personnes handicapées contre la stérilisation forcée, quel qu’en soit l’auteur, ainsi que contre toute autre pratique discriminatoire qui compromet leur santé génésique. Il exige que l’État prenne des mesures efficaces et appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des personnes handicapées dans tout ce qui a trait au mariage, à la famille, à la fonction parentale et aux relations personnelles, sur la base de l’égalité avec les autres, et veille à ce que les personnes handicapées, y compris les enfants, conservent leur fertilité, sur la base de l’égalité avec les autres.

Veuillez vous joindre à moi pour appuyer le projet de loi S-250, qui respecte l’esprit de cette convention des Nations unies.

Merci, woliwon.

L’honorable Mary Jane McCallum : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-250, Loi modifiant le Code criminel (actes de stérilisation), dont la marraine est la sénatrice Boyer, et qui propose de modifier l’article 268 du Code criminel. L’article 268 traite des infractions de voies de fait graves, et le projet de loi S-250 érige en infraction le fait de stériliser une personne sans son consentement.

Je tiens à remercier la sénatrice Boyer et son bureau pour l’ardeur qu’ils ont déployée à écouter attentivement les expériences des survivantes de la stérilisation forcée et contrainte. Il faut du courage, de la ténacité, de la détermination et de la persévérance pour faire sortir ces actes inadmissibles de l’obscurité et les révéler au grand jour.

Je commencerai par évoquer le mois de septembre 2022. Je me souviens de cette date, car j’ai pris conscience que j’étais dans une position privilégiée à plusieurs égards. Je me souviens d’avoir regardé tous les sénateurs présents dans cette enceinte. J’ai alors réalisé que je ne voudrais être avec aucun autre groupe de sénateurs, et que j’avais bien des raisons d’être reconnaissante de réaliser une partie de mon parcours terrestre avec vous. J’ai repensé aux moments où on a fait preuve de gentillesse et de compassion à mon égard : un sénateur qui a porté ma lourde valise sur trois étages parce que l’ascenseur ne fonctionnait pas; un sénateur dont les yeux ont pétillé quand j’ai sollicité son appui; un sénateur dont j’ai compris, à travers les mots de quelqu’un d’autre, qu’il n’y avait pas de meilleur patron; un sénateur qui m’a fait savoir qu’il était là si j’avais besoin de quelqu’un pour m’écouter; et les sénateurs qui ont sacrifié leur temps de parole pour me laisser m’exprimer pendant les déclarations de sénateurs.

Dans ce moment de réflexion, j’ai pensé aux sénateurs qui se passionnent pour leurs dossiers et qui les présentent dans le but de nous instruire et de nous sensibiliser aux dossiers qui sont importants pour eux et pour leurs régions; aux sénateurs qui ont pris le temps de faire des recherches pour pouvoir parler des questions relatives aux Premières Nations qui leur étaient jusqu’alors peu familières; et aux votes qui ont permis de faire progresser de manière concrète les droits des Premières Nations.

(2150)

Je remercie tous les sénateurs et les membres du personnel qui incarnent des valeurs et des principes comme la vérité, la compassion, le courage, la justice, la bravoure, l’éloquence, l’équilibre, la conciliation, la patience, le partage et la grâce, car, ce faisant, ils me rappellent notre humanité commune. L’un des enseignements des Premières Nations, c’est que toutes les personnes que nous rencontrons nous aident à devenir meilleurs et à réussir. Vous l’avez fait pour moi.

Honorables sénateurs, j’aimerais que vous songiez aux diverses réalisations qui ont marqué votre vie et votre séjour au Sénat. Imaginez le changement transformateur auquel vous avez participé dans le cadre de votre travail au sein de vos collectivités, de vos provinces et à l’échelle nationale en apportant de véritables changements pour les personnes qui ont fait appel à vous et pour celles que vous représentez.

Imaginez maintenant toutes les habitants du pays ainsi que leurs réalisations et leurs contributions qui ont permis au Canada de devenir un pays inclusif et juste.

Imaginez maintenant que certains d’entre nous au Sénat et de nombreux autres Canadiens ayons perdu la vie avant même qu’elle ait commencé. À quel point mon monde serait différent si je n’avais pas rencontré beaucoup d’entre vous. Imaginez que les contributions inestimables de ces personnes à la collectivité et que leur droit inhérent et spirituel à la vie aient été éradiqués en raison de la stérilisation forcée de leur mère. Imaginez les nombreuses lumières qui ont été éteintes avant d’avoir eu la chance inouïe de briller. Nous sommes privilégiés que le droit de nos mères à la création ne leur ait pas été retiré.

Honorables sénateurs, je parlerai de la situation unique des femmes des Premières nations, métisses et inuites, qui ont été expressément ciblées dans la société canadienne en raison de la fausse notion d’infériorité raciale.

Les citations dans mon discours sont tirées du livre intitulé An Act of Genocide: Colonialism and the Sterilization of Aboriginal Women, publié par Karen Stote en 2015.

À titre d’exemple, en 1945, on pouvait lire ce qui suit dans les dossiers cliniques de l’Hôpital Essondale :

Le milieu social de cette jeune femme ayant une déficience mentale révèle des antécédents de promiscuité, de maladies vénériennes et de tuberculose, ainsi qu’une grossesse illégitime. En raison de son intelligence limitée, de l’absence de supervision familiale et de sa propension à adopter un comportement sexuel illicite, sa réadaptation sous les auspices du ministère des Affaires indiennes est très problématique [...] il est donc souhaitable de lui offrir la protection de la stérilisation sexuelle [...] Elle continuera sans aucun doute à être un problème social à sa sortie de l’hôpital, mais la stérilisation sexuelle l’empêcherait d’avoir d’autres enfants, qui pourraient à leur tour devenir des problèmes sociaux.

Chers collègues, les personnes contraintes de vivre dans l’ombre à cause de la colonisation, du colonialisme, du racisme et du sexisme vivent une injustice parce qu’elles sont placées dans une position de vulnérabilité et d’impuissance et qu’on les réduit au silence. Sinon, comment un acte violent comme la stérilisation forcée pourrait-il être pratiqué pendant si longtemps et sans répercussions pour ceux qui prennent de façon unilatérale de telles décisions inhumaines et scandaleuses?

Honorables sénateurs, fondamentalement, l’assimilation est l’imposition d’un mode de vie particulier aux dépens d’un autre dans le but de le détruire. Cette assimilation permet de priver les femmes autochtones de leur liberté en matière de procréation et de leur refuser la possibilité d’élever leurs enfants dans le respect de leur mode de vie culturel.

En 1883, alors qu’il discute du programme d’éducation mis en place pour les peuples autochtones, le député Edward Blake souligne l’importance de cibler les filles indiennes. Sa déclaration démontre que l’idéologie raciste a joué un rôle dans la justification de la politique à l’égard des Indiens :

Si [nous] laiss[ons] la jeune fille indienne qui deviendra une squaw garder les habitudes barbares de la tribu, l’Indien, lorsqu’il épousera une telle squaw, sera vraisemblablement converti par elle à la sauvagerie indienne. Pour que cette astuce ait au moins une chance de réussir, il faudra [...] civiliser les épouses projetées [...] J’ai pu constater [...] à quel point il est difficile d’éradiquer cette tare héréditaire.

Chers collègues, comme l’a déclaré la sénatrice Boyer et l’a répété la sénatrice Simons, la stérilisation a été inscrite dans la loi provinciale en Alberta et en Colombie-Britannique.

En Alberta, la loi sur la stérilisation sexuelle est restée en vigueur de 1928 à 1972. Durant cette période, la commission de l’eugénique a statué sur 4 739 cas. Il en a résulté 2 834 stérilisations. Selon une étude des dossiers des patients réalisée par Timothy Christian, les patients les plus susceptibles d’être choisis pour être soumis à la stérilisation se trouvaient dans des groupes socialement marginalisés. Les personnes les plus susceptibles de correspondre à cette catégorie [...] étaient les Autochtones. Lorsque l’opposition à la loi a pris de l’ampleur et que son abrogation est devenue plus probable, le taux de stérilisation des Autochtones a connu une augmentation considérable, représentant plus de 25 % des personnes stérilisées. M. Christian dit :

Il est incroyable que de 1969 à 1972, plus d’Indiens et de Métis aient été stérilisés que de Britanniques, surtout si l’on considère que les Indiens et les Métis constituaient le groupe racial le moins important statistiquement et les Britanniques, le plus important.

Les modifications apportées à la loi ont augmenté la probabilité que les peuples autochtones soient soumis à la stérilisation. En 1937, l’obligation d’obtenir le consentement dans les cas de déficience mentale a été supprimée. Cette modification a permis à la commission de l’eugénique d’imposer la stérilisation de tout patient qu’elle plaçait dans la catégorie des déficients mentaux et qui était susceptible de transmettre sa déficience à sa progéniture. Grekul et ses collègues estiment que 77 % des patients autochtones présentés à la commission de l’eugénique ont été diagnostiqués comme déficients mentaux [et] n’ont plus guère eu leur mot à dire quant à leur stérilisation.

Chers collègues, l’auteur poursuit :

On sait que la stérilisation des Autochtones en vertu de la loi sur la stérilisation de l’Alberta pourrait causer des problèmes à l’avenir. [...] Il ne semble pas que le ministère ait été nécessairement motivé par un souci d’ordre humanitaire ou juridique à l’égard des peuples autochtones, mais plutôt par la volonté d’éviter une accusation qui s’apparente à un génocide [...]

Le ministère des Affaires indiennes a déclaré :

Il n’est pas impossible que les Indiens en viennent à croire qu’un complot a été ourdi pour éliminer leur race par tous les moyens possible.

Le fait que le ministère n’ait pas publié de déclaration condamnant la stérilisation des peuples autochtones revient à tolérer cette pratique et peut être interprété comme un aveu: le ministère savait, à tout le moins, que cette stérilisation avait lieu.

Le ministère a affirmé qu’il n’avait :

[...] aucune objection à ce que les lois de la province soient appliquées et que toute mesure prise pour ce faire ne serait pas désapprouvée.

La même année, en 1942, une autre modification a été apportée à la loi de manière à d’accorder l’immunité contre d’éventuelles poursuites à toute personne ayant pris part à une intervention chirurgicale, ou à toute personne en position d’autorité ayant travaillé dans un établissement psychiatrique et ayant participé à une recommandation de stérilisation. La proportion d’Autochtones stérilisés en vertu de la loi a augmenté régulièrement à partir de 1939 et a triplé de 1949 à 1959. Malgré l’obligation d’obtenir le consentement, celui-ci n’a été demandé que dans 17 % des cas, parmi les Autochtones.

En 1951, une modification a également été apportée à la Loi sur les Indiens afin d’accroître l’application des lois provinciales aux Indiens. [...] Cette modification comprenait la première définition d’un Indien mentalement incapable. C’était un Indien considéré comme mentalement incapable selon les lois de la province dans laquelle il résidait. Autrement dit, un Indien mentalement incapable était celui qu’une province considérait comme tel.

(2200)

Honorables sénateurs, avoir le privilège de créer la vie nous relie à l’humanité, à nos familles, à nos communautés, à notre environnement et à nos ancêtres.

Dans le livre intitulé Quest for Respect, l’aîné Rarihokwats dit ceci :

Les anciens parlent du moment où la septième des sept générations de l’Esprit viendra vers nous, celle qui posera des questions sur nous, qui voudra savoir ce que nous avons fait pour préparer le monde dans lequel elle allait arriver et vivre.

Vous vous souviendrez que je rends hommage à mes ancêtres des Premières Nations avec la persévérance, la détermination et le second regard objectif dont ils ont eux-mêmes fait preuve lorsqu’ils se sont battus pour que nous, gens de la septième génération, ne soyons plus dans la situation déplorable qui leur avait été imposée vu les politiques et les lois coordonnées par le gouvernement fédéral et les Églises. Il leur était notamment interdit de venir sur la Colline du Parlement.

Chers collègues, c’est la raison pour laquelle je tiens tant à la responsabilité qui m’incombe d’être porteuse de vérité dans cette enceinte sacrée — une vérité qui, dans ce cas, concerne le génocide de peuples autochtones.

La question qui se pose aujourd’hui aux Canadiens et aux parlementaires, c’est de savoir comment notre pays, qui est censé avoir progressé pendant des décennies en matière de droits des femmes, a pu cacher ou ne pas reconnaître ce crime.

Chers collègues, ce projet de loi criminalise les activités génocidaires. Il doit transcender les marchandages politiques auxquels se livrent les leaders du Sénat. Je vous exhorte à faire front commun contre cette horrible pratique qu’est la stérilisation forcée et le génocide qu’elle implique et de soutenir le projet de loi S-250 lors de sa mise aux voix.

Kinanâskomitin.

L’honorable David M. Wells : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en tant que porte-parole pour le projet de loi S-250, Loi modifiant le Code criminel (actes de stérilisation).

Le projet de loi S-250 vise à modifier le Code criminel pour ériger en infraction la stérilisation non consentie comme voies de fait graves passibles d’une peine maximale de 14 ans d’emprisonnement. Le projet de loi est une réponse à plus de 12 000 cas documentés de stérilisation forcée ou sous la contrainte au Canada, sans que des accusations aient été portées ou des condamnations prononcées en vertu des lois existantes.

La stérilisation forcée est une violation de l’autonomie corporelle et des droits de la personne et, plus encore, une attaque contre l’âme. La criminaliser, c’est communiquer clairement que cette pratique est inacceptable et ne sera pas tolérée.

Le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles du Sénat a fait un examen approfondi, et le projet de loi établit désormais une protection pour les établissements et les fournisseurs de soins de santé.

De nombreuses femmes, en particulier des femmes autochtones, des femmes handicapées et d’autres, ont été victimes de stérilisation forcée, par exemple Sylvia Tuckanow, qui a été stérilisée de force après un accouchement, et d’autres qui ont été contraintes de subir la procédure à des moments où elles étaient vulnérables. Certaines victimes ont été délibérément mal informées concernant le caractère permanent de la procédure ou contraintes de signer des formulaires de consentement dans des circonstances de vulnérabilité émotionnelle et physique. En dépit des dispositions existantes dans le Code criminel, il n’y a eu ni poursuites ni condamnations. Cela, chers collègues, devrait en soi être considéré comme un crime.

Les détracteurs soutiennent que les lois existantes devraient couvrir ces crimes, mais l’absence de procès ou d’application montre la nécessité d’une infraction criminelle spécifique pour la stérilisation forcée. Le projet de loi comble cette lacune en matière de protection juridique et d’application de la loi. Ces procédures ont laissé des traumatismes physiques, émotionnels et psychologiques durables, ainsi qu’une méfiance à l’égard du système de santé. Ce projet de loi ne répare pas les préjudices passés, mais il contribuera grandement à prévenir les violations futures et offre aux survivants un certain degré de justice.

La stérilisation forcée est une violation manifeste des droits de la personne et, avec le projet de loi S-250, le Canada prend des mesures pour empêcher qu’elle ne se poursuive. Le projet de loi a été amendé pour en simplifier le libellé et protéger les prestataires de soins de santé lorsqu’ils effectuent des procédures d’urgence nécessaires, mais le message principal reste le même : la stérilisation sans consentement constitue une agression grave, et toute personne qui la commet sera poursuivie en vertu du Code criminel. Le projet de loi est une réponse directe aux recommandations de 2018 du comité des Nations unies contre la torture afin de lutter contre la stérilisation forcée au Canada.

Je prends un moment pour remercier la sénatrice Boyer pour les efforts inlassables qu’elle a déployés afin d’attirer l’attention sur ce dossier extrêmement important. Madame la sénatrice, vous approchez de la ligne d’arrivée.

L’engagement de la sénatrice Boyer en faveur des droits de la personne et des victimes de la stérilisation forcée témoigne de son dévouement pour la justice. Le leadership dont elle a fait preuve pour faire avancer le projet de loi S-250 n’est rien de moins qu’une source d’inspiration, et nous lui sommes reconnaissants — le Canada lui est reconnaissant — d’avoir pris fait et cause pour les plus vulnérables de notre société.

Sur ce, chers collègues, je demande le vote. Merci.

Son Honneur la Présidente : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi modifié, lu pour la troisième fois, est adopté.)

Projet de loi sur le cadre national sur la publicité sur les paris sportifs

Troisième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Marty Deacon propose que le projet de loi S-269, Loi concernant un cadre national sur la publicité sur les paris sportifs, soit lu pour la troisième fois.

 — Honorables sénateurs, d’abord, je félicite ma collègue la sénatrice Boyer pour l’adoption de son projet de loi ce soir.

Je prends la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-269, Loi concernant un cadre national sur la publicité sur les paris sportifs. J’ai eu le privilège d’être membre du Comité des transports et des communications au moment de l’étude de ce projet de loi et je veux remercier tous les députés du comité directeur d’avoir invité autant de témoins experts. Je remercie le président et la vice-présidente d’avoir dirigé les discussions, dont certaines étaient fascinantes. Je veux également remercier les autres membres du comité des questions réfléchies qu’ils ont posées, ainsi que de m’avoir permis de prendre part à l’examen article par article le plus rapide auquel je n’aie jamais participé. J’espère que ce sera de bon augure.

Comme je l’ai dit lors de mon discours à l’étape de la deuxième lecture, je voudrais donner un peu de contexte. Beaucoup de nouveaux sénateurs se sont joints à nous, et il est important de se souvenir des raisons qui nous ont amenés jusqu’ici.

En 2021, le Parlement a adopté le projet de loi C-218, qui modifiait le Code criminel en abrogeant l’interdiction de longue date de parier sur le résultat d’une course, d’un combat ou d’une épreuve ou manifestation sportive. L’adoption de ce projet de loi était l’œuvre d’un travail de longue haleine des conservateurs. Les moutures précédentes de cette mesure comprennent le projet de loi C-290, présenté en 2011, qui s’était rendu jusqu’à l’étape de la troisième lecture au Sénat avant la prorogation du Parlement, à l’automne 2013.

Deux autres versions du projet de loi ont été présentées à la Chambre des communes, mais les élections ont entravé l’une d’entre elles lorsqu’elle a été présentée au Sénat. Il convient de noter que le gouvernement Trudeau a également présenté en 2020 son propre projet de loi concernant les paris sur une seule épreuve sportive, le projet de loi C-13. Cependant, étant donné ses similarités avec le projet de loi C-218, le gouvernement l’a retiré.

Pourquoi y a-t-il tant de mesures visant à rendre légaux les paris sur une seule épreuve sportive? On soutenait que cela se produisait de toute façon sur les marchés clandestins illicites, dont bon nombre étaient à l’étranger, alors pourquoi ne pas réglementer cette pratique et la sortir de l’ombre en générant des recettes fiscales au Canada? La majorité d’entre nous à l’époque était d’accord et a voté en faveur du projet de loi C-218, moi y compris. J’ai soutenu ce projet de loi, et je le soutiens toujours. C’est ce qui se passait au Sénat.

Ma vie à l’extérieur du Sénat m’influençait également. Dans le cadre de mes engagements internationaux, j’avais été exposée au côté sombre du sport, et plus particulièrement du sport amateur. Il y avait des matchs truqués, ce que nous appelons maintenant de la manipulation de matchs. En 2012, les Jeux olympiques de Londres ont révélé ce phénomène en direct à la télévision. Des athlètes se sont fait dire par leur entraîneur de truquer les matchs. Cette pratique est très répandue dans d’autres régions du monde, elle représente une industrie considérable, et elle est aussi bien présente au Canada.

(2210)

Lorsque je suis devenue sénatrice, je me suis acquittée de l’obligation d’organiser pour la dernière fois au Canada un championnat mondial auquel ont participé 60 pays et 800 athlètes. Nous avons travaillé avec le Comité international olympique, ou CIO, afin de créer un programme d’intégrité dans le sport. Conformément aux valeurs canadiennes, un athlète en sol canadien ne pouvait pas entrer sur le terrain de jeu à Markham, en Ontario, sans avoir suivi le programme portant sur la manipulation de matchs et le dopage. Pendant cette période, j’ai aussi appris comment on conditionne des athlètes. Des athlètes sont amenés à manipuler des matchs ou à prendre part à un pari gagnant. Je savais que je devais prendre toutes les mesures possibles à cet égard.

Avec l’adoption du projet de loi C-218, l’interdiction a été supprimée. On a laissé aux provinces le soin de déterminer si elles allaient ouvrir leurs marchés aux entreprises de paris privées. En 2021, l’Ontario l’a fait et a ouvert son marché de jeux en ligne. C’est la seule province à l’avoir fait jusqu’à maintenant, mais l’Alberta semble sur le point de le faire également.

L’une des conséquences imprévues de tout cela — nous ne voyons peut-être pas la gravité de ces conséquences — a été, bien sûr, les publicités. Nous les avons tous vues. Les Canadiens d’un bout à l’autre du pays les ont vues. Selon Raffaello Rossi, un chargé de cours en marketing à l’Université de Bristol, qui a comparu devant le comité, la recherche qu’il a menée avec la CBC a révélé que, lorsqu’ils regardent des sports sur un réseau de chaîne privée, les téléspectateurs sont exposés à trois publicités sur les jeux par minute. Les Canadiens les ont bel et bien remarquées, et il ne leur a pas fallu de temps pour en avoir assez. Selon un sondage mené en février par Maru Group, 75 % des Canadiens estiment qu’il faut protéger les enfants et les jeunes contre les publicités sur les paris sportifs, 66 % estiment que ces publicités ne devraient pas être autorisées lors de diffusions en direct et 59 % estiment qu’une interdiction nationale des publicités devrait être mise en œuvre immédiatement.

De nombreuses entreprises de paris publient de la publicité sur les médias sociaux. Elles visent principalement les enfants et les jeunes, dont bon nombre sont mineurs. Le message sous-jacent de ces publicités, c’est que les paris font partie intégrante du sport, ce que, en tant que fervent partisan du sport, je trouve offensant.

Au début, ces publicités étaient déplorables. Des légendes du hockey et des célébrités défilaient continuellement sur les écrans de tous ceux qui osaient s’asseoir dans leur salon pour regarder un match. Fait encourageant, la Commission des alcools et des jeux de l’Ontario a mis en place un nouveau règlement en 2023, qui interdit l’apparition d’athlètes ou de célébrités dans ces publicités, avec une énorme exception — ils ne pourront prêter leur image que si la publicité contient un message faisant la promotion du « jeu responsable ».

Comme un témoin l’a dit au comité, « Il s’agit toujours de publicités de marque [...] ». Il a ajouté :

[...] il est très pratique de pouvoir dire: « Nous allons vous inonder de publicités et d’occasions de jouer. Vous n’avez qu’à jouer de manière responsable et tout ira bien. »

Cependant, les messages concernant le jeu responsable passent généralement inaperçus. Ils sont écrits en petits caractères au bas de l’écran et ne mentionnent aucun des risques bien documentés de la dépendance au jeu. Or, chers collègues, il est prouvé que les messages explicites sur les risques, comme ceux que l’on voit sur les paquets de cigarettes, sont beaucoup plus efficaces. Il existe des pratiques exemplaires, mais elles ne sont pas encore exercées ici.

Il y a aussi le fait que tout le pays est à la merci d’une seule province en matière de publicité. Je rappelle que, jusqu’à présent, les paris sur les manifestations sportives individuelles auprès des compagnies dont vous voyez les publicités ne sont légaux qu’en Ontario. Cela entraîne de nombreux problèmes. Will Hill, directeur général de la Canadian Lottery Coalition, a dit au comité:

Lorsqu’un joueur d’une autre province que l’Ontario voit l’une de ces publicités à la Soirée du hockey pendant un entracte, qu’il se connecte à son ordinateur et que, sur le site Web d’actualités sportives de son choix, il trouve une bannière numérique d’un exploitant, il a l’impression que le jeu doit être légal. Si je l’ai vu à la télévision et je le vois sur mon ordinateur alors que je suis assis ici au Manitoba, en Saskatchewan ou ailleurs, si cela m’est présenté, c’est qu’il doit y avoir une certaine légitimité. Il y a un vernis de légalité et d’authenticité dans la publicité qui dépasse les frontières de l’Ontario.

Pendant ce temps, qu’est-ce qui empêche un joueur, après avoir été incité par une publicité, de se rendre sur le marché très illicite que le marché légal a été mis en place pour combattre? Les publicités sont également préjudiciables aux jeunes et à d’autres populations vulnérables, comme je l’expliquerai plus tard. Pourquoi une réglementation laxiste dans une province devrait-elle soumettre le reste du pays à ces publicités lorsque les provinces concernées ont décidé, à juste titre, qu’elles pouvaient être préjudiciables?

Cela nous amène au projet de loi S-269 et à la raison pour laquelle je l’ai présenté.

Commençons par ce que ce projet de loi ne fera pas. Il n’interdira pas complètement les publicités sur les paris. Après de nombreux mois de consultations auprès du Bureau du légiste, d’examen de cas et d’écoute de constitutionnalistes comme notre collègue le sénateur Cotter, il a été décidé que les dommages causés par les publicités sur les paris n’atteignent peut-être pas le seuil de dommages que nous observons dans le cas des cigarettes, desquelles, après des décennies de batailles judiciaires, il est effectivement interdit de faire la publicité. C’est le seuil qu’une interdiction devrait atteindre pour être approuvée par la Cour suprême. Bien que mon aspiration et mon approche initiales aient été d’imposer l’interdiction, nous avons décidé qu’il était prudent ici de ne pas laisser le mieux être l’ennemi du bien.

Le présent projet de loi exigerait plutôt que le ministre du Patrimoine canadien élabore un cadre national sur la publicité des paris sportifs. Le ministre doit énoncer :

[...] des mesures visant à réglementer la publicité sur les paris sportifs au Canada en vue d’en restreindre l’utilisation, de limiter les annonces en ce qui a trait à leur nombre, à leur portée et à leur emplacement — ou à toute combinaison de ceux-ci —, et à limiter ou interdire la participation de célébrités et d’athlètes à la promotion des paris sportifs;

des mesures visant à promouvoir, d’une part, la recherche et la communication intergouvernementale de renseignements au sujet de la prévention et du diagnostic du jeu pathologique chez les personnes mineures et, d’autre part, des mesures de soutien destinées aux personnes touchées;

des normes nationales relatives à la prévention et au diagnostic du jeu pathologique et de la dépendance au jeu, et relatives aux mesures de soutien destinées aux personnes touchées.

Ce faisant, le ministre doit consulter :

[...] le ministre de l’Industrie, le ministre de la Justice, le ministre de la Santé, le ministre de l’Emploi et du Développement social, le ministre responsable de la santé mentale et des toxicomanies, le ministre des Services aux Autochtones, et tout autre ministre dont il estime les responsabilités pertinentes;

Il doit alors consulter « [...] des représentants des gouvernements provinciaux et territoriaux, notamment ceux responsables de la protection du consommateur, de la santé, de la santé mentale et des dépendances [...] »

Il doit aussi consulter :

[...] divers intéressés, notamment des auto-intervenants, des prestataires de services et des représentants des milieux de la santé et de la recherche et d’organisations œuvrant dans les secteurs de la publicité et des jeux de hasard qui, de l’avis du ministre, possèdent une expérience et une expertise pertinentes en ce qui concerne le jeu pathologique et la publicité sur les jeux de hasard comme facteur pouvant y contribuer;

[...] des communautés autochtones et des organisations principalement dirigées par des Autochtones;

[...] toute autre personne ou entité que le ministre estime indiquée.

Enfin, cette mesure législative fait référence au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC. Selon l’article 6, le CRTC doit :

[procéder] à l’examen de ses règlements et politiques afin d’en évaluer la pertinence et l’efficacité pour réduire l’incidence des préjudices résultant de la prolifération de la publicité sur les paris sportifs.

En ce qui concerne la reddition de comptes, le CRTC doit présenter ses conclusions et ses recommandations au ministre au plus tard au premier anniversaire de la date de sanction de la présente loi. Le ministre, lui, doit à son tour faire déposer le rapport devant chaque Chambre du Parlement dans les 15 premiers jours de séance de celle-ci suivant la date de sa réception.

Je suis sûre que vous avez la tête qui tourne à cette heure de la journée.

Ce faisant, le projet de loi vise à encadrer les publicités sur les paris sportifs parce que, comme nous le savons tous, le jeu peut causer beaucoup de tort aux gens et à la société. La recherche internationale, qui est en avance sur la nôtre, montre de manière concluante que l’outil le plus efficace pour limiter les préjudices causés par les paris sportifs et d’autres formes de jeu est de limiter les publicités.

La grande majorité des paris sportifs se font dans le creux de la main, et, comme nous l’a dit la Commission de la santé mentale du Canada, le jeu en ligne est extrêmement problématique. Il est plus courant chez les gens qui jouent fréquemment, et, pour certains, cette forme de jeu peut contribuer de façon importante aux problèmes de jeu. En fait, le jeu en ligne pourrait être le facteur de risque le plus important pour le développement d’un trouble lié au jeu d’argent. Il existe une relation de cause à effet entre l’exposition à la publicité sur le jeu et le fait d’avoir une perception positive du jeu, ainsi qu’entre les intentions de jouer et le jeu à proprement parler. Les enfants et les jeunes, ainsi que ceux qui ont déjà des problèmes de jeu, sont particulièrement vulnérables à ces effets.

(2220)

Pour la personne qui a des problèmes de jeu, le taux de récidive est supérieur à 90 %. Une fois que la dépendance s’installe, il est pratiquement impossible d’arrêter. Un alcoolique peut éviter d’aller dans les bars, mais, pour un joueur compulsif, le simple fait de s’asseoir pour regarder un match de hockey l’expose, comme nous l’avons entendu, à des publicités et à des messages l’incitant à jouer jusqu’à trois fois par minute. Avec un taux de récidive de 90 %, la tentation serait probablement trop forte.

Les méfaits du jeu peuvent avoir de graves conséquences. Il y a, bien sûr, l’aspect financier. Cardus, un groupe de réflexion canadien qui a comparu devant le comité, a constaté que, en Ontario, le compte de pari moyen décaisse 283 $ par mois. S’il s’agit d’un seul compte par joueur, ce qui est peu probable, cela représente 3,2 % du revenu mensuel moyen des ménages canadiens. Les pertes nettes sont donc trois fois supérieures à ce que les experts considèrent comme sans danger, c’est-à-dire pas plus de 1 % du revenu des ménages avant impôts.

Les recherches montrent que lorsque les joueurs dépassent 1 %, ils sont 4,3 fois plus susceptibles de subir des préjudices financiers tels que la faillite, 4,7 fois plus susceptibles de subir des préjudices relationnels tels que la violence conjugale et le divorce, et 3,9 fois plus susceptibles de subir des préjudices émotionnels ou psychologiques tels que la dépression, l’anxiété et ainsi de suite.

Il y a aussi les torts causés à l’économie. Des recherches menées récemment aux États-Unis ont révélé que, dans les États où le jeu a été légalisé, les ménages ont vu une diminution considérable de leurs économies, ainsi qu’une réduction de leurs investissements dans des actifs comme les actions, généralement considérées comme étant plus viables sur le plan financier.

Au comité, certains ont parlé du faible nombre de personnes touchées et se sont demandé si ce projet de loi allait un peu trop loin. Cependant, même une faible proportion d’un grand nombre de personnes représente beaucoup de personnes. Au Canada, même si Statistique Canada estimait, avant la légalisation, que 1,6 % des joueurs présentaient un risque modéré ou élevé de troubles du jeu, cela représentait quand même 304 000 personnes. Les estimations à l’échelle internationale sont beaucoup plus importantes. Selon le Centre de toxicomanie et de santé mentale de Toronto, pour chaque personne aux prises avec une dépendance au jeu, on compte en moyenne huit personnes de son entourage qui subissent des conséquences; il peut s’agir de ses frères et sœurs, de ses partenaires, de ses enfants, de sa famille, et cetera.

Fait inquiétant, depuis 2019, le nombre de joueurs compulsifs a augmenté. Par exemple, Matthew Young, de Greo Evidence Insights, a dit au comité que le nombre de personnes qui appellent la ligne d’aide aux joueurs compulsifs de l’Ontario a augmenté considérablement depuis 2021, principalement en raison des appels liés au jeu en ligne. De plus, un récent sondage en ligne mené par Recherche en santé mentale Canada a révélé que 7 % des Canadiens répondaient aux critères relatifs au jeu compulsif. Cela représente une augmentation de plus de 1 000 % depuis 2018. Nous avons reçu certaines de ces données jeudi soir dernier; ce sont des données assez récentes.

Le taux de problèmes de jeu était encore plus élevé chez les jeunes Canadiens âgés de 18 à 34 ans, atteignant 15 %. Le pire, chers collègues, c’est que le taux de participation aux jeux de hasard a augmenté chez les enfants canadiens. Le Centre de toxicomanie et de santé mentale indique que le nombre d’élèves de la 7e à la 12e année ayant joué en ligne est passé de 4 % en 2019 à 15 % en 2021. Il suffit de se rendre dans une école secondaire et d’en faire le tour pour le constater. Ce n’est pas caché.

Ces jeunes peuvent ou non parier sur des sites réglementés, mais c’est aussi l’effet secondaire de toutes les publicités que nous voyons : la normalisation des paris en tant que partie intégrante du sport. Pour une génération de jeunes qui grandissent en regardant leurs athlètes favoris pratiquer leur sport favori, les paris et les jeux de hasard seront imbriqués dans la façon même dont ils vivent et savourent le sport. Plutôt que de se réjouir quand Connor McDavid marque le but de la victoire, un partisan des Oilers pourrait être déçu parce que ce n’est pas son défenseur qui a marqué, comme le pari accessoire l’avait prédit. La pulsion de parier désincarne le sport. Elle prive le sport de ses bonnes associations culturelles.

Ce phénomène n’a jamais été aussi évident que lors des derniers Jeux olympiques d’été. Si vous les avez regardés à la télévision, vous avez sans doute été inondé de publicités pour une entreprise de paris. J’ai profité de cette occasion pour voir sur quoi on pouvait parier. Il y avait de tout, chers collègues. Chaque épreuve olympique était présentée comme une possibilité de gagner ou de perdre de l’argent rapidement; c’est mal. À mesure que la pratique des paris s’installe dans les sports à coups de contrats de commandite, de publicités, et même de logos sur certains uniformes, l’esprit et l’intention de la compétition s’en trouveront affaiblis.

Le sport peut être très puissant. Il peut inculquer de nombreuses valeurs positives. Il aide les jeunes à acquérir des compétences pour la vie, mais il ne peut pas faire cela s’il offre davantage d’occasions de tricher ou s’il accroît les comportements abusifs. De plus en plus, des athlètes se font menacer et harceler en ligne parce qu’ils ne répondent pas aux attentes des parieurs. Pour lutter contre ces pratiques déplorables et les préjudices causés aux athlètes universitaires, la NCAA américaine a récemment demandé l’interdiction totale des paris accessoires, c’est-à-dire les paris qui portent sur le déroulement d’un match.

En tant que responsable olympique, je trouve franchement dégoûtante l’idée que des athlètes amateurs, tels que les athlètes olympiques, risquent de subir des effets négatifs et qu’une promotion régulière puisse être permise. Ces athlètes amateurs n’ont pas la même plateforme que les professionnels. Bon nombre d’entre eux sont jeunes. À titre d’exemple, la planchiste chinoise Zheng Haohao avait 11 ans quand elle est entrée dans le bol du parc de planche à roulettes installé cet été à Place de la Concorde, à Paris. Il faut agir avant que des athlètes comme elle subissent ces effets négatifs.

En comité, nous avons bien sûr entendu parler des limites de ce projet de loi. Nous savons, par exemple, qu’il est plus difficile de réglementer ce qui se passe en ligne. La publicité sur les médias sociaux peut cibler les personnes les plus vulnérables. Toutefois, je ne pense pas qu’on puisse complètement nier l’effet de la réglementation sur les formes traditionnelles de publicité. Selon une étude menée en 2023 par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, bien que l’écoute de la télévision ait diminué ces dernières années, les jeunes Canadiens âgés de 2 à 11 ans et de 12 à 17 ans ont regardé, respectivement, 12,8 heures et 12,4 heures de télévision traditionnelle par semaine, en moyenne.

Si l’on examine de plus près la diffusion continue de contenu sportif en ligne, on constate que les droits de diffusion canadiens des quatre grandes ligues nord-américaines sont détenus par Rogers et Bell. Ces deux entreprises occupent environ 70 % de ce créneau, par le truchement de Sportsnet et de TSN. Ces diffusions continues en ligne sont généralement semblables à ce qu’on peut voir sur les chaînes de télévision par câble, y compris au chapitre des publicités.

En outre, chers collègues, nous avons entendu au comité la représentante de ThinkTV, qui a dit que, de façon admirable, les entreprises de paris sportifs soumettent déjà leurs annonces en ligne pour s’assurer qu’elles sont conformes aux normes de diffusion à la télévision. Nous avons déjà vu cela dans la pratique avec les entreprises qui vendent de la bière et des spiritueux, et qui, en général, ne produisent pas une série distincte de publicités pour la diffusion en ligne. Elles se conforment à leurs responsabilités au titre du Code de la publicité radiodiffusée en faveur de boissons alcoolisées du CRTC.

Sénateurs, seuls ceux qui ont des intérêts directs dans le jeu et les paris sportifs — les entreprises de paris, les annonceurs et les radiodiffuseurs, et nous avons même reçu des lettres de la Ligue canadienne de football et de la Ligue nationale hockey — s’opposent à ce projet de loi. Les radiodiffuseurs qui ont bénéficié d’un apport de fonds grâce à ces annonces sont bien sûr hésitants à la perspective d’un resserrement de la réglementation applicable aux annonces. Ils soutiennent que ces marques ont besoin de s’établir et qu’elles diminueront naturellement leur promotion au fil du temps.

Je ne suis pas de cet avis, bien sûr. Nous n’interdisons pas complètement la publicité pour les raisons que j’ai déjà mentionnées ce soir. Il s’agit d’un secteur qui a engrangé 2,4 milliards de dollars en recettes l’an dernier. Assurément, ses acteurs ont les moyens de payer des annonces créatives qui correspondent à une approche plus raisonnable et responsable, des annonces qui tiennent compte des mesures de protection autant que des profits.

Un argument qui ne me plaît guère, c’est que nous devrions mener plus de recherches pour déterminer si ces publicités sont réellement nuisibles et que nous devrions attendre qu’elles soient diffusées avant d’essayer d’y mettre un frein. Chers collègues, c’est tout simplement trop risqué. Si nous adoptons cette approche, on causera énormément de dommages, car nous savons où cela va nous mener.

Des pays où les paris sur une seule épreuve sportive et la publicité subséquente existent depuis plus longtemps qu’ici adoptent maintenant des mesures très sévères en matière de publicité et de promotion. Depuis peu, en réponse à la commercialisation excessive du jeu, divers pays européens interdisent presque entièrement la publicité. Ces pays comprennent la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie, l’Espagne, la Pologne et, depuis cette année, l’Ukraine.

Lord Michael Grade, qui a présidé un comité de la Chambre des lords sur le jeu compulsif, a eu l’amabilité de faire part au comité de l’expérience du Royaume-Uni. Il nous a dit :

[...] Avec la connaissance que vous avez de ce qui se passe un peu partout dans le monde, particulièrement au Royaume-Uni, en Australie et dans d’autres pays, vous manqueriez à votre devoir — si je peux parler crûment — en ignorant le problème à présent que vous avez légiféré sur la question. Vous devez à présent combler une grave lacune dans la réglementation. Pour tracer la ligne entre la restriction et la liberté de faire des paris, vous pouvez vous appuyer sur plusieurs études de cas. Comme vous en êtes aux premiers stades, vous avez de la chance, d’une certaine manière, d’avoir accès à toute cette jurisprudence et à l’expérience provenant d’un peu partout dans le monde, qui vous aideront à prendre les bonnes décisions pour le Canada.

(2230)

Voilà, chers collègues, ce que j’essaie de corriger avec la mesure législative qui nous est présentée. Je ne peux pas dire avec certitude à quoi ressemblera le cadre réglementaire s’il est adopté. Toutefois, à la lumière de l’historique des cas, j’ai bon espoir que des limites plus raisonnables seront imposées à ces publicités, en prenant appui sur la recherche et les meilleures pratiques. Après tout, puisque les Canadiens réclament ces modifications, la volonté politique est palpable au sein de toutes les instances gouvernementales pour faire la bonne chose.

Avant de terminer, chers collègues, je tiens à remercier le Dr Bruce Kidd, de l’Université de Toronto et de la campagne Ban Ads for Gambling, qui défend si ardemment les intérêts des jeunes. Le travail qu’il a accompli tout au long de sa vie a été indispensable pour sensibiliser la population non seulement à ce projet de loi, mais aussi à l’ampleur du problème auquel nous sommes actuellement confrontés. Je tiens également à remercier le sénateur Cotter, qui a participé dès le début à la rédaction de ce projet de loi et qui l’a défendu au comité et à la Chambre.

J’aimerais remercier mon personnel et les légistes qui ont fait un excellent travail, en particulier dans les débuts, lorsque nous faisions et défaisions le projet de loi pour voir comment il fonctionnerait le mieux. Ils ont beaucoup contribué à l’élaboration du projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui et qui, à mon avis, est une mesure législative importante.

Il y a de nombreux experts à saluer et à remercier, mais aujourd’hui, je pense aux centaines de conversations informelles que j’ai eues avec des familles, aux longues lettres racontant des histoires de répercussions du jeu sur les jeunes, aux pères de jeunes garçons qui ne savent plus quoi faire et qui ne connaissent plus leurs fils. Beaucoup d’entre eux regardent ce discours à l’étape de la troisième lecture ce soir.

Aujourd’hui, au nom d’un grand nombre de personnes, je vous demande de soutenir ce projet de loi et de voter en sa faveur. En tant que sénateurs, nous avons le devoir du second examen objectif. Nous avons appuyé, par le nombre, un projet de loi qui porte sur les paris sur une seule épreuve sportive. Il y avait un risque de répercussions négatives. Nous devons résoudre ce problème rapidement. Je vous prie de m’aider à franchir une étape de plus et à renvoyer ce projet de loi à l’autre endroit pour corriger le tir, sans tarder.

Merci. Meegwetch.

Des voix : Bravo!

L’honorable Tony Loffreda : Sénatrice Deacon, je vous remercie de votre discours éclairant. Je partage vos préoccupations. Je conviens qu’interdire les publicités sur les jeux de hasard est une initiative louable visant à protéger les membres vulnérables de notre société, entre autres. Cependant, comment pouvons-nous nous assurer que cette mesure ne donne pas par inadvertance un avantage aux applications de paris internationales qui ne sont pas assujetties à la réglementation canadienne, ce qui pourrait nuire au marché légal et réglementé au Canada? Avez-vous pris en compte cette préoccupation?

La sénatrice M. Deacon : Merci. Il s’agit là d’une bonne question. Nous en avons parlé au comité, ainsi qu’avec d’autres pays. Nous avons ce que nous qualifions de « médias traditionnels », dont il est question dans le projet de loi, ainsi que des applications nationales auxquelles nos jeunes en particulier sont exposés puis, comme vous y avez fait allusion, des applications internationales ou d’origine inconnue qui peuvent être réglementées ou non. C’est là que des discussions deviennent nécessaires. Nous devons tenter de mieux comprendre comment nos partenaires dans le domaine des jeux, tant au niveau national qu’international, gèrent le problème, déterminer certaines des mesures que nous pouvons prendre et ce que nous ne pouvons pas contrôler. Il ne faut pas régler un problème et en créer un autre. Je pense que c’est ce que vous voulez dire, mais il semble qu’il y ait des leçons et des stratégies que nous pouvons apprendre de certains pays qui ont quelques années d’avance sur nous dans ce domaine.

Le sénateur Loffreda : J’ai aimé votre observation lorsque vous avez dit que, selon des travaux de recherche réalisés à l’étranger, l’approche la plus efficace consiste à limiter ce genre de publicités plutôt que de les interdire complètement. Comme vous, je suis préoccupé par le fait que, quand on regarde un match de hockey ou la télévision, on peut voir des publicités qui mettent en scène de grandes vedettes. C’est un gros problème, pour toutes les raisons que vous avez mentionnées.

Nous vivons dans un marché international où les jeunes ne regardent pas la télévision traditionnelle, même lorsqu’il s’agit de parties de la Ligue nationale de football ou de hockey. Nous vivons dans ce monde, mais pas eux. Sur Internet, il y a d’innombrables applications hébergées un peu partout dans le monde qui diffusent des publicités avec des vedettes.

Notre cadre pourrait-il atténuer les risques à ce chapitre? C’est un problème grave, car ce sont ces publicités qui ciblent les jeunes.

La sénatrice M. Deacon : Merci, c’est un excellent point. Nous nous sommes interrogés à ce sujet au comité avec certains de nos témoins, et la question est de savoir ce que nous pouvons faire pour contrôler cela. Il a été question par exemple de l’accès avec une carte de crédit : il y a toutes sortes de paramètres quand on se connecte et qu’on fait les transactions. Certains pays, certaines entreprises disent avoir les choses en main et avoir des moyens pour exclure les jeunes. Nos efforts visent en effet les jeunes en particulier.

Il a même été question des paiements par débit par rapport aux paiements par crédit, des étapes qu’il faut franchir en ligne. On en parle vraiment beaucoup, c’est un sujet chaud. Que peut-on faire? Vous savez que le projet de loi vise les publicités, mais je vois que vous vous préoccupez de certaines de ses implications. C’est là‑dessus qu’il faut vraiment se pencher. Nos partenaires disent qu’ils ont les choses en main. Ils essaient de montrer que les entreprises pratiquent un jeu responsable. Ils travaillent sur les leviers dont ils pourraient se servir pour faire un meilleur tri parmi les personnes qui se connectent en ligne et sur ces applications

Il faut le reconnaître, et je sais qu’il s’agit d’un travail de longue haleine. Quand le gouvernement met un cadre en place, vous m’avez entendu parler des cadres un, deux et trois lors de la consultation. C’est sur le deuxième qu’ils travailleront avec les organismes internationaux.

(Sur la motion du sénateur Housakos, le débat est ajourné.)

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Batters, appuyée par l’honorable sénatrice Seidman, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-291, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence (matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels).

L’honorable Rebecca Patterson : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-291, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence relativement au matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels.

Avant de commencer mon discours, comme nous débattons de projets de loi portant sur des sujets particulièrement délicats, je tiens à préciser que la teneur de celui dont nous sommes saisis en ce moment pourrait en traumatiser certains. Comme nous n’avons pas tous le même vécu, j’invite mes collègues, le personnel du Sénat ou les personnes du public qui nous écoutent à faire une pause s’ils se sentent dépassés et à chercher du soutien au besoin.

Chers collègues, comme la sénatrice Batters l’a mentionné dans son discours jeudi dernier, ce projet de loi est une question de mots. Les mots sont des instruments très puissants. Nous utilisons tous des mots pour conceptualiser et décrire la vie, les objets, les êtres vivants, mais nous utilisons aussi des mots pour qualifier les gens. Les mots peuvent être positifs, mais ils peuvent aussi être négatifs.

Dans le cas du projet de loi C-291, on demande aux sénateurs et à nos collègues de l’autre endroit, en tant que parlementaires, de changer les mots qui servent à nommer ce que nous appelons actuellement la pornographie juvénile.

Ce que nous appelons pornographie n’est pas nécessairement illégal en soi et jouit même de la protection de la liberté d’expression lorsqu’il s’agit d’adultes consentants. Cependant, lorsqu’il s’agit d’un enfant, d’un mineur qui ne peut en aucun cas consentir à ce qui lui arrive, c’est quelque chose d’horrible qui ne relève pas de la liberté d’expression.

Le fait de qualifier quelque chose de pornographie juvénile brouille les pistes, car, je le rappelle, les enfants, par définition — et je ne saurais trop insister sur ce point —, ne peuvent pas consentir à ce qui se passe. Par conséquent, je crois que le mot « pornographie » est impropre quand le matériel concerne des enfants et qu’il fait horreur à la plupart des Canadiens.

(2240)

J’applaudis et je remercie les députés Mel Arnold et Frank Caputo d’avoir défendu cette cause et fait les premiers pas relativement au projet de loi C-291. Le projet de loi C-291 vise, à juste titre selon moi, à remplacer le terme « pornographie juvénile » par « matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels », car c’est bien de cela qu’il s’agit, et ce n’est pas seulement l’acte de créer ce genre de matériel qui est abusif et exploiteur; chaque fois qu’une image est retransmise, qu’une vidéo est téléchargée ou diffusée en continu, la victime — l’enfant — est revictimisée, si bien que, dans les faits, elle continue d’être exploitée indéfiniment.

Dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, j’ai mentionné qu’on utilise le terme actualisé à l’échelle internationale et j’ai présenté des statistiques sur la victimisation sexuelle des enfants. Je n’ai pas l’intention de revenir sur ces points aujourd’hui. Je veux plutôt vous parler de devoir et de responsabilité : le devoir que nous avons, en tant que parlementaires, de clarifier la loi.

En tant que législateurs, nous avons tous la responsabilité de veiller à ce que nos lois contiennent des termes clairs qui ne laissent aucune ambiguïté, qu’il s’agisse d’un projet de loi du gouvernement, d’un projet de loi d’intérêt public du Sénat ou d’un projet de loi d’initiative parlementaire, et c’est ce que fait le projet de loi C-291. Il fournit un langage clair exempt d’ambiguïté au sujet d’un crime dont les victimes sont des enfants.

Lorsque le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles a étudié le projet de loi, les sénateurs ont débattu de l’observation qui a été annexée au rapport du comité sur le projet de loi C-291 et qui souligne :

[...] la façon dont le Code criminel [a été] modifié à la pièce depuis des décennies et [est] devenu trop lourd, parfois même répétitif ou contradictoire, et qu’il [doit] faire l’objet d’une réforme approfondie [...]

Je ne suis pas juriste, mais j’ai trouvé cela intéressant, en particulier dans le contexte du projet de loi C-291, car il s’agit en quelque sorte d’une modification à la pièce du Code criminel. Son champ d’application est assez restreint pour ce qu’il entend changer, mais opérer un changement de culture concernant quelque chose comme le libellé a beaucoup d’importance.

Bien que la modification du libellé soit un grand pas en avant, je me demande où nous allons maintenant, car comme je l’ai dit plus tôt, le projet de loi C-291 est un premier pas. J’appelle cela un premier pas parce que, lors de son témoignage devant le Comité des affaires juridiques, j’ai demandé à l’auteur du projet de loi, le député Frank Caputo, ce que nous, en tant que parlementaires, allions faire à partir de maintenant. Il a soulevé un certain nombre de points intéressants en réponse à ma question, et en revenant sur ce qu’il avait répondu à d’autres honorables sénateurs, trois choses m’ont frappée quant à ce qui semble être des lacunes du projet de loi.

Je suis la porte-parole du projet de loi et je me dois d’en faire amicalement la critique, alors je voudrais vous faire part de ces lacunes.

Le premier point que je veux soulever concerne la sensibilisation du public et des victimes elles-mêmes aux crimes d’abus et d’exploitation pédosexuels. M. Caputo a raconté comment son expérience de procureur de la Couronne lui a montré qu’une victime peut ne réaliser que plus tard dans sa vie qu’elle a été agressée sexuellement pendant son enfance.

Pour quelqu’un qui, comme moi, a une formation en soins de santé, ce constat se vérifie à bien des égards. Nous savons que de nombreuses victimes d’abus et d’exploitation pédosexuels peuvent avoir peur d’en parler, surtout si l’agresseur est un proche. Beaucoup refoulent également leurs souvenirs en réaction au traumatisme et, pire encore, de nombreuses victimes continuent souvent à se sentir coupables. Nous savons tous qu’il y a probablement beaucoup d’autres victimes et que ce crime est plus répandu que nous pouvons l’imaginer.

Même si le projet de loi ne prévoit rien pour promouvoir la prise de conscience de l’ampleur et la portée du matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels, nos débats ont un pouvoir. À l’avenir, à titre de parlementaires, nous avons le devoir d’élargir les discussions et les débats sur les abus visant les membres plus vulnérables de la société. Si nous négligeons ce devoir, des crimes comme ceux-ci peuvent plus facilement passer inaperçus, ne pas être signalés et ne pas être détectés. Dans nos conversations, et même ici aujourd’hui, nous devons viser à sensibiliser davantage la population à la question. Les gens sont à l’écoute.

La deuxième lacune du projet de loi concerne les difficultés à rassembler des preuves et à poursuivre les auteurs de crimes liés à l’abus et à l’exploitation d’enfants. En effet, l’identification positive des victimes peut s’avérer difficile en raison de la nature mondiale des crimes et, une fois que les images ont été diffusées par voie électronique, nous savons qu’elles se propagent indéfiniment dans le temps et l’espace — et ce n’est pas faute d’avoir essayé.

Ici, au Canada, la GRC a mis sur pied le Centre national contre l’exploitation des enfants, que nous avons visité, et en assure la gestion. Le centre travaille en étroite collaboration avec le département de la Justice des États-Unis, qui s’est associé au National Center for Missing and Exploited Children. Ensemble et en collaboration avec d’autres alliés, ces pays fournissent aux forces de l’ordre les moyens d’identifier les victimes de matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels, mais il y a des limites puisqu’une grande partie de ce matériel est trouvé, stocké et échangé en ligne et, comme je l’ai dit précédemment, il peut sillonner le monde instantanément dans le cyberespace, ce qui entraîne des difficultés et souvent des retards lorsqu’il s’agit de mettre la main sur le matériel et d’identifier les victimes. Le manque de preuves rend les poursuites très difficiles, mais cela peut être encore plus difficile pour les forces de l’ordre lorsque la terminologie ne correspond pas à celle utilisée par nos partenaires internationaux.

À ce stade, je dois reconnaître le traumatisme indirect subi par les enquêteurs et les analystes qui examinent ce matériel des plus odieux et déshumanisant qui victimise les enfants. Nous vous sommes éternellement reconnaissants du dévouement et de la persévérance dont vous faites preuve pour tenter de protéger les enfants.

Je vais revenir un instant sur la sensibilisation, car même le débat que nous avons aujourd’hui sur le projet de loi favorise la sensibilisation. Grâce à une sensibilisation accrue, quelqu’un pourrait signaler à la police un cas potentiel d’abus et d’exploitation pédosexuels. Or, ce signalement ne sert à rien si les forces de l’ordre ne peuvent pas trouver les gens qui victimisent un enfant, enquêter sur eux et éventuellement les poursuivre en justice. Afin de trouver les agresseurs, d’enquêter sur eux et de les poursuivre en justice, nous devons, en tant que parlementaires, demander des ressources accrues et durables pour mieux soutenir toutes les procédures judiciaires afin de traduire les auteurs des crimes en justice.

La troisième lacune que je tiens à porter à votre attention est la disparité des peines infligées aux personnes reconnues coupables d’abus et d’exploitation pédosexuels. Je peux vous dire que j’ai été frappée par la disparité des peines infligées au Canada.

Honorables sénateurs, saviez-vous que la peine maximale pour l’entrée par effraction est l’emprisonnement à vie? En revanche, la peine d’emprisonnement maximale pour une agression sexuelle est de 10 ans, et celle pour une agression sexuelle contre un enfant est de — devinez — 14 ans.

Compte tenu de cette disparité, comment peut-on regarder dans les yeux une victime d’abus et d’exploitation pédosexuels, qui ne pourra jamais échapper à la source de son mal, qui gardera des séquelles permanentes et qui restera traumatisée — qui purgera essentiellement une peine à perpétuité —, alors que son agresseur, lui, s’il est reconnu coupable, pourrait purger une peine plus courte qu’une personne reconnue coupable d’entrée par effraction?

Je ne cherche pas à entrer dans le débat plus général sur les peines minimales obligatoires, mais M. Caputo a souligné dans son témoignage que malgré la propension du gouvernement précédent pour les peines minimales obligatoires, la plupart des peines minimales obligatoires adoptées concernaient les armes à feu et la drogue, et non les crimes sexuels et certainement pas les crimes commis à l’égard d’enfants. Il semblerait donc que même le gouvernement précédent ignorait ou sous-estimait l’ampleur de ces crimes. C’est pourquoi la sensibilisation est si importante.

C’est là que nous, parlementaires, pouvons travailler à la mise à jour du Code criminel et examiner si les peines sont adéquates dans les cas où des enfants sont victimes de sévices sexuels et d’exploitation sexuelle. En effet, toute la sensibilisation du monde, et même les enquêtes et les poursuites menées correctement et dans des délais acceptables, ne signifieront rien s’il n’y a pas de peines appropriées pour les crimes d’exploitation et d’abus sexuels sur des enfants.

Ce que je considère comme les trois lacunes du projet de loi que j’ai soulignées aujourd’hui, à savoir la sensibilisation, les enquêtes ainsi que les poursuites et la détermination de la peine, ne sont pas abordées dans le projet de loi C-291, mais cela ne signifie pas que je ne le soutiens pas. Comme je l’ai dit, l’adoption de ce projet de loi est une première étape essentielle, et je tiens à dire aux sénateurs que ce n’est que le début d’une conversation plus générale que nous devons avoir en tant que législateurs.

En terminant, j’aimerais vous faire entendre l’autre partie des observations du comité, et je cite à nouveau :

Le comité réitère sa recommandation antérieure selon laquelle un organisme indépendant devrait entreprendre une révision approfondie du Code criminel. La Commission du droit du Canada, rétablie, pourrait entreprendre cette révision, qui devrait intégrer une étude portant sur toutes les dispositions du Code relatives aux crimes et infractions contre les personnes vulnérables.

Les enfants sont des personnes très vulnérables.

Chers collègues, je pense que c’est une excellente suggestion. Toutefois, je crois que nous pourrions entreprendre une telle révision à titre de sénateurs d’un Sénat indépendant. Dans le cadre d’une telle révision, le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles pourrait examiner le Code d’une manière plus exhaustive, et je vous laisse à tous le soin d’y réfléchir pour la suite des choses.

(2250)

Cependant, encore une fois, nous devons faire ce premier pas, c’est-à-dire adopter le projet de loi C-291 et mettre à jour ce qu’on appelle actuellement la pornographie juvénile pour la désigner comme ce qu’elle est : du matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels. Bien que je sois la porte-parole pour ce projet de loi, je vous demande de vous joindre à moi pour l’appuyer à l’étape de la troisième lecture. Je vous remercie.

Des voix : Bravo!

L’honorable Yuen Pau Woo : Sénatrice Patterson, accepteriez-vous de répondre à une question?

La sénatrice Patterson : Oui.

Le sénateur Woo : J’ai l’impression que la raison pour laquelle on veut changer l’expression « pornographie juvénile » par « matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels » est qu’il y aurait des formes de pornographie qui sont légales ce qui ferait, au sens juridique strict, qu’il serait possible que des formes de pornographie juvénile soient également légales. Je ne dis pas que c’est le cas, mais j’ai l’impression que c’est la conclusion logique à laquelle on peut arriver.

Je suis certain qu’il en a été question au comité, et il serait intéressant de savoir comment le comité a dénoué cette question.

La sénatrice Patterson : Je vous remercie, sénateur Woo. Avant d’aller plus loin, je souligne que l’exploitation sexuelle des enfants est illégale. Il est donc illégal de regrouper, dans un même terme, la notion de « pornographie » et celle d’« enfant ». Nous avons eu des discussions à ce sujet, en effet. Si le terme a été élargi, c’est notamment en raison d’un certain nombre de recommandations faites par l’autre endroit et par nos partenaires internationaux, y compris par les Nations unies et d’autres organismes de premier plan qui s’emploient à repérer ce genre de cas, à mener des enquêtes et à poursuivre les responsables en justice. À titre d’exemple, le Comité de la justice et des droits de la personne a dit qu’il fallait inclure le mot « exploitation », éviter « pornographie », parler plutôt d’« exploitation » et utiliser des mots qui décrivent bien de quoi il est question.

Le ministère de la Justice a aussi souligné que l’ajout de l’expression « matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels » pourrait servir à englober certains des aspects que vous avez mentionnés au début de votre intervention, y compris des œuvres de fiction et bien d’autres choses. Je ne souhaite pas m’étendre là‑dessus ici.

Bref, la pornographie est légale entre des adultes consentants, et le partage doit se faire entre adultes consentants. Dès qu’on ajoute la notion d’« enfant » à l’idée de pornographie, ces activités sont toujours illégales, puisque les enfants ne peuvent pas donner leur consentement.

Le sénateur Woo : Je ne suis pas en désaccord avec votre caractérisation de l’exploitation des enfants et ainsi de suite, mais vous avez en quelque sorte déjà dit pourquoi la pornographie juvénile, par sa nature, est mauvaise. Il s’agit peut-être simplement d’utiliser des termes qui décrivent plus précisément le problème.

Je me demande simplement si un avocat astucieux payé par un ignoble fournisseur de ce type d’activité et de matériel serait en mesure d’utiliser une échappatoire précisément parce que nous nous sommes éloignés d’un terme, parce que le mot « pornographie » a un caractère légal dans certaines circonstances. Je me demande simplement si cette possibilité a été évoquée et si nous y avons mis fin.

La sénatrice Patterson : Merci encore. Je ne suis pas avocate, mais je comprends très bien où vous voulez en venir. Le problème, c’est le mot « pornographie », si c’est bien ce que vous voulez dire. Un avocat habile pourrait-il dire : « Eh bien, c’est de la pornographie juvénile »? La pornographie juvénile est illégale.

Je le répète, je ne suis pas avocate et je vais devoir laisser cela aux gens brillants dans la salle, mais ce que les différentes personnes qui ont témoigné ont dit, y compris les représentants du ministère de la Justice, c’est que cela aidera à colmater cette faille et nous permettra de nous attaquer aux comportements réellement illégaux contre la victime, c’est-à-dire l’enfant. Je suis désolée de ne pas avoir été plus claire. Je crois que c’est une question juridique.

L’honorable Denise Batters : Je vous remercie pour votre discours aujourd’hui et pour votre appui à cet important projet de loi.

Je suis avocate et j’ai assisté à cette réunion. N’est-il pas exact que le projet de loi remplace le terme « pornographie juvénile » — qui est un terme tout à fait inapproprié et offensant puisqu’il implique un consentement alors que l’enfant ne consent pas à cet abus et à cette exploitation — chaque fois qu’il est mentionné dans le Code criminel et dans toutes nos lois fédérales, par celui beaucoup plus approprié de « matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels »? Il ne change pas la définition. Il ne change que le terme, n’est-ce pas?

La sénatrice Patterson : Sénatrice Batters, vous avez raison.

Son Honneur la Présidente : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)

Projet de loi favorisant l’identification de criminels par l’ADN

Projet de loi modificatif—Vingt-deuxième rapport du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Cotter, appuyée par l’honorable sénateur Woo, tendant à l’adoption du vingt-deuxième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (projet de loi S-231, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le casier judiciaire, la Loi sur la défense nationale et la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques, avec des amendements), présenté au Sénat le 12 décembre 2023.

L’honorable Leo Housakos propose :

Que la séance soit maintenant levée.

 — Honorables sénateurs, le projet de loi S-231 est très important, et j’aurai beaucoup à dire à ce sujet, mais, étant donné qu’il se fait très tard, je propose l’ajournement du Sénat.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

(À 22 h 56, conformément à l’ordre adopté par le Sénat plus tôt aujourd’hui, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)

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